Le roman de Šklovskij Zoo : un exemple de prose poétisée - article ; n°4 ; vol.67, pg 577-587
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Description

Revue des études slaves - Année 1995 - Volume 67 - Numéro 4 - Pages 577-587
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 56
Langue Français

Extrait

Madame Manon Waller
Le roman de Šklovskij Zoo : un exemple de prose poétisée
In: Revue des études slaves, Tome 67, fascicule 4, 1995. pp. 577-587.
Citer ce document / Cite this document :
Waller Manon. Le roman de Šklovskij Zoo : un exemple de prose poétisée. In: Revue des études slaves, Tome 67, fascicule 4,
1995. pp. 577-587.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1995_num_67_4_6283LE ROMAN DE ŠKLOVSKU ZOO
Un exemple de prose poétisée
PAR
MANON WALLER
On sait que les recherches initiales des formalistes, telles qu'elles furent
publiées dans les tout premiers recueils de l'Opojaz (c'est-à-dire en 1916-1917),
étaient presqu' exclusivement tournées vers la poésie : à l'instigation des lin
guistes (Jakubinskij, Polivanov, Jakobson), l'Opojaz avait établi au départ la
distinction entre « langue poétique » (stixotvomyj jazyk) et langue pratique
(praktice skij jazyk) ; comparant les deux « langues » dans son article Des sons
de la langue poétique, Jakubinskij oppose la fonction de communication de la
langue pratique à la fonction essentiellement esthétique de la langue poétique,
dans laquelle l'expression, sous sa forme phonique est perçue en soi, est en elle-
même son propre but. Dans le même sens, Jakobson affirme que
la poésie n'est rien d'autre qu'un énoncé visant à l'expression [...]. La fonction com-
municative, propre à la fois au langage quotidien et au langage émotionnel, est réduite
ici au minimum. La poésie est indifférente à l'égard de l'objet de l'énoncé, de même
que la prose pratique [...] est indifférente, mais en sens inverse, à l'égard, disons, du
rythme... La poésie, c'est le langage dans sa fonction esthétique.1
L'opposition est devenue classique depuis entre langue expressive et
langue référentielle, affective et cognitive, connotative et dénotative, etc.
Mais il convient toutefois de souligner que, dans les articles formalistes de
cette période (1916-1920), l'emploi de stixotvomyj et depoèticeskij fait l'objet
d'un certain flottement, en particulier dans l'article de Sklovskij l'Art comme
procédé, où l'opposition entre poésie et prose équivaut en fait, et sans que l'au
teur le précise jamais, à une opposition entre prose littéraire et prose courante ;
même fluctuation, mais plus dominée, chez Jakubinskij, où la « langue en vers »
(stixotvomyj jazyk) est souvent considérée comme un cas particulier de la
langue poétique, c'est-à-dire de la langue littéraire. Tynjanov, lui, s'en tient à
l'étude de la « langue en vers » stricto sensu, et c'est grâce à son affinement
conceptuel que sera, non pas supprimée, mais dépassée la distinction première
1. R. Jakobson, « La nouvelle poésie russe », in : id., Questions de poétique, Paris,
Seuil, 1973, p. 14-15.
Rev. Étud. slaves. Paris, LXVII/4, 1995, p. 577-587. MANON WALLER 578
entre poésie et prose : les deux domaines restent en effet bien distincts pour lui
(rythme comme facteur constnictif pour la première, sémantique comme facteur
constnictif pour la seconde), mais au-delà de la réalité de ces deux « séries
constructives » fermées, il dégage un principe qui les transcende, à savoir la
fonction même du facteur constnictif sur le matériau (facteur constnictif comme
dominant, matériau comme dominé) dans toute œuvre littéraire, et, partant, dans
la littérature en général. De cette idée de domination du facteur sur le
matériau, les formalistes passent à celle de contrainte. Jakobson, par exemple,
parle de la « violence organisée exercée par la forme poétique sur le langage ».
Cette idée fondamentale fera son chemin, et les linguistes et poéticiens par
leront jusqu'à nos jours de « violation systématique du code du langage »,
ď« infraction aux règles », « d'écart par rapport aux normes », voire de « patho
logie du langage ».
La poétique formaliste, la première, puis à sa suite la poétique structural
iste, se pose donc pour objet, comme l'écrit Todorov « cette propriété abstraite
qui fait la singularité du fait littéraire, la littérarité » ; propriété abstraite, certes,
mais dont les formalistes (les « spécificateurs ») vont s'emparer de manière on
ne peut plus robuste. La jeune science a « soif de concret », et Šklovskij, par
exemple, réaffirme dans la Marche du cavalier que « le chêne naît du gland [...]
et que le but de l'art a été et sera toujours la création de choses artistiques, de la
forme artistique ». Le but de l'écrivain est précisément de rendre sensible cette artistique. L'article de Šklovskij l'Art comme procédé (1917) montre que
dans le discours ordinaire (la « langue pratique »), l'expression est automatisée,
réduite, comme le disait Potebnja, à des « signes algébriques » :
Dans ce processus d'algébrisation, d'automatisation de l'objet, nous obtenons
l'économie maximale des forces perceptives : les objets nous sont donnés soit par un
seul de leurs traits, [...] soit sont reproduits comme d'après une formule, sans même
effleurer la conscience. [...] L'objet passe à côté de nous comme empaqueté — nous
n'en voyons que la surface.
Jakobson ne dit pas autre chose en précisant que, « dans la langue poétique,
[...] le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l'objet
nommé ; [...] les mots et leur syntaxe, leur signification, leur forme externe et
interne ne sont pas des indices indifférents de la réalité, mais possèdent leur
propre poids et leur propre valeur2 ».
C'est précisément ce « mot en tant que tel » que l'art doit délivrer de son
sommeil prosaïque pour lui rendre tout son oščutimosť. L'art doit permettre de
passer de la perception automatisée, fossilisée (uznávanie) à une vision fraîche,
à une perception renouvelée (videnie).
Le but de l'art, c'est de faire percevoir l'objet en tant que chose vue et non en
tant que chose reconnue ; le procédé de l'art c'est le procédé de la défamiliarisation
des choses (ostranenie) et le qui consiste à obscurcir la forme, à augmenter la
difficulté et la durée de la perception. En art, le processus de perception est une fin en
soi et doit être prolongé ; l'art est un moyen d'éprouver le devenir de l'objet...
Šklovskij précise cette idée dans le Développement du sujet (1921) :
Pour transformer une chose en fait littéraire, il faut l'isoler de l'ensemble des
faits de la vie. Pour cela, il faut avant tout ľ« asticoter » comme Ivan le Terrible quand
2. R. Jakobson, Qu'est-ce que la poésie ?, ibid., p. 124. LE ROMAN DE ŠKLOVSKIJ ZOO 579
il « s'occupait » de ses gens. Il faut l'extraire de la série des associations habituelles où
elle se trouve. Il faut retourner cette chose comme une bûche dans le feu. [...] Le poète
opère ainsi un déplacement sémantique [...] en transportant le concept [...] dans une
série nouvelle. Le mot nouveau habille la chose comme un vêtement neuf. [...]
L'écrivain est toujours l'instigateur d'une révolte des choses.
Cette révolte des choses représentait, pour les formalistes comme pour les
futuristes (Xlebnikov en particulier), outre une « débâcle des formes », une
« crise de signifîance », une crise de civilisation. Mais au niveau où nous nous
situons, disons simplement que cette « révolte des choses » affirmait un nouveau
rapport entre art et réalité : la forme n'est plus conçue comme « l'enveloppe »
d'un « contenu » (récipient/liquide, verre/vin), mais principe représent
ant en lui-même son propre contenu.
La forme se crée donc un contenu, « elle est traitée comme le véritable
fond du discours poétique » (Èjxenbaum) — ce que Šklovskij illustre dans son
article de 1919 la Relation des procédés de construction du sujet avec les
procédés généraux du style, où il démontre que la « du sujet », au
même titre que le rythme de l'œuvre poétique, remplit dans l'œuvre en prose la
fonction de facteur « intégrant ».
Ce g

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