Les Kurdes de Syrie et d'Irak : dénégation, déplacements et éclatement - article ; n°1 ; vol.15, pg 73-84

Jean-François Pérouse

Description

Espace, populations, sociétés - Année 1997 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 73-84
La Syrie et l'Irak possèdent chacune, à leurs périphéries, des portions de l'ensemble trans-étatique qu'est le Kurdistan et des populations kurdes (à l'intérieur et hors de ces «bastions»), estimées à plus de quatre millions d'individus, mais mal connues et peu reconnues dans leurs droits et identité par les Etats centraux. Ces populations sont sujettes à diverses formes de mobilité (exil, déplacements forcés, exode rural ...) et habitent de moins en moins dans les «bastions» traditionnels. En outre, elles se tertiairisent et s'internationalisent.
The Kurds in Syria and Irak : Denial, Transfers and Explosion.
Iraq and Syria own, in the periphery of their territory, fragments of the Kurdistan, a trans-etatic and imaginative space. They own too Kurdish populations, both inside and outside these fragments, who are believed to be about five million people. But these populations are less known and suffer from mistreatments from the central governments : their proper identity and their fundamental rights are denied. More, they are obliged to move from the Kurdistan (sometimes far outside these two countries) and become more and more urbanized and internationalized.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ESPACE-_POPULATIONS-_SOCIETES
• Publié le: 01 janvier 1997
• Nombre de lectures: 27
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Jean-François Pérouse
Les Kurdes de Syrie et d'Irak : dénégation, déplacements et
éclatement
In: Espace, populations, sociétés, 1997-1. Les populations du monde arabe - People of the Arab Middle East. pp.
73-84.
Résumé
La Syrie et l'Irak possèdent chacune, à leurs périphéries, des portions de l'ensemble trans-étatique qu'est le Kurdistan et des
populations kurdes (à l'intérieur et hors de ces «bastions»), estimées à plus de quatre millions d'individus, mais mal connues et
peu reconnues dans leurs droits et identité par les Etats centraux. Ces populations sont sujettes à diverses formes de mobilité
(exil, déplacements forcés, exode rural ...) et habitent de moins en moins dans les «bastions» traditionnels. En outre, elles se
tertiairisent et s'internationalisent.
Abstract
The Kurds in Syria and Irak : Denial, Transfers and Explosion.
Iraq and Syria own, in the periphery of their territory, fragments of the Kurdistan, a trans-etatic and imaginative space. They own
too Kurdish populations, both inside and outside these fragments, who are believed to be about five million people. But these
populations are less known and suffer from mistreatments from the central governments : their proper identity and their
fundamental rights are denied. More, they are obliged to move from the Kurdistan (sometimes far outside these two countries)
and become more and more urbanized and internationalized.
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Pérouse Jean-François. Les Kurdes de Syrie et d'Irak : dénégation, déplacements et éclatement. In: Espace, populations,
sociétés, 1997-1. Les populations du monde arabe - People of the Arab Middle East. pp. 73-84.
doi : 10.3406/espos.1997.1791
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/espos_0755-7809_1997_num_15_1_1791PÉROUSE Université de Toulouse - Le Mirail Jean-François
UFR de Géographie
5, allées Antonio Machado
31058 Toulouse Cedex
Les Kurdes de Syrie et d'Irak :
dénégation, déplacements
et éclatement
«Voilà ce qu'est le peuple kurde, un peuple qui n'a ni
histoire, ni civilisation, ni langue, ni origine ethnique,
il n'a que les qualités de la violence, qualités inhérent
es d'ailleurs à toutes les populations montagnardes»
(M.T. HILAL, 1963, p. 3; cité par NAZDAR, M., 1981,
p. 317).
Anciens «pays frères», champions du renou l'histoire duquel ils participent depuis des siè
veau arabe -mais ayant rompu leurs relations cles. C'est pourquoi, pas plus qu'il n'existe
au début des années quatre-vingt-, la Syrie et de frontière (spatiale) nette entre zones de
l'Irak englobent le «Kurdistan du Sud», se langue arabe et zones de langues kurdes, il
lon une terminologie cardinale désormais n'existe pas, n'en déplaise aux essentialistes
couramment utilisée, qui intègre la fragment en quête de vérités intemporelles, d'identité
ation de l'espace kurde en sous-ensembles kurde parfaitement et en tout point
obéissant à des États différents. En d'autres différenciable de l'identité arabe. C'est là une
termes, chacun des deux pays est en conti des difficultés de notre sujet, qu'il ne s'agit
nuité avec le Kurdistan Nord (ou turc) sur pas de traiter en termes d'opposition (irr
ses marges septentrionales, soit sur une zone éductible?) -Kurdes versus Arabes-, comme
de plus de 1 000 km de long; l'Irak, en outre, nous y inviteraient une actualité souvent vio
jouxte le Kurdistan oriental (ou iranien) sur lente et des représentations partisanes.
son flanc est. Mais le fait kurde dans ces Dans la mesure du possible donc, en s' af
deux pays ne se limite pas à ces territoires franchissant des clichés coutumiers et tena
périphériques, en raison de mouvements mi ces (figure du Kurde belliqueux et no
gratoires, qui ont eu pour effet de redistr made...) -et malgré les difficultés considérab
ibuer la population kurde vers des zones à les, d'ordre statistique notamment-, voyons
population majoritairement arabe. à quelles dynamiques et transformations spé
Cependant, pour éviter de se fourvoyer dans cifiques sont soumises les populations kur
des oppositions et analyses stériles, il faut des, que l'on peut estimer sans certitude ab
bien souligner que les Kurdes ne sont pas solue pour nos deux pays, à plus de quatre
des «corps étrangers» dans le monde arabe, à millions d'individus. 74
I) DES KURDES CHEZ LES ARABES : PÉRIPHÉRIE TERRITORIALE ORIGI
NELLE, FAIBLE VISIBILITÉ ET IMPOSSIBLE DÉCOMPTE
A) Des bastions ou poches périphériques, kurde.
mal délimités et grignotés Mais s'il existe bien officiellement un
La Syrie et l'Irak ne possèdent chacune Kurdistan en Irak (formé de trois provinc
qu'une portion réduite du «Grand Kurdis es), il faut préciser que ses limites admin
tan» tel qu'imaginé depuis le XVIe siècle istratives sont très restrictives et excluent
une fraction importante des espaces à popul(O'SHEA, 1994) et d'une extension approxi
mative de plus de 400 000 km2 : soit, ation (originellement) kurde. En effet, aux
72 000 km2 pour l'Irak et 18 300 pour la termes de la «l'accord d'autonomie» de
Syrie. Ces éléments du Kurdistan sont en mars 1970, seuls trois gouvernorats sont of
situation périphérique au sein des espaces ficiellement admis comme formant le
syrien et irakien (de construction arbitraire Kurdistan irakien : ceux de Sulaimâniya,
et récente); ce qui leur confère une sensiblité d'Erbîl et de Dahûk. Ce qui représente en
surface un peu plus de la moitié (37 060 géopolitique propre, compte tenu des ant
agonismes prévalant entre les divers pays de km2) de l'espace kurde traditionnel. Ce
la région (ainsi les rivalités frontalières syro- «Kurdistan-croupion», étendu en février
turques, comme à propos de l'ancien 1976 à 42 138 km2, est celui qui à partir
Sandjak d'Alexandrette, devenu départe d'octobre 1991 -au lendemain de la
deuxième Guerre du Golfe- a accédé à une ment d'Antioche) impliquent au premier
chef les populations kurdes. nouvelle (et fragile) autonomie, que les af
frontements d'août-septembre 1996 ont foOutre la différence de dimension des terri
toires perçus comme kurdes, insistons sur rtement ébranlée. En conséquence, pour
l'absence d'un Kurdistan syrien (NAZDAR : l'Irak, il est essentiel de distinguer le
309). En effet, par rapport à l'Irak où le Kurdistan «reconnu», du Kurdistan hors-li
Kurdistan constitue un bastion montagnard mite (ou renié), qui mord sur les gouvernor
ats de Nînawâ (ex-gouvernorat de Mos- bien individualisable -culminant à 3 811 m.
(1) et presque d'un seul tenant, en Syrie on soul), At Ta'mîm (3) (qui résulte du red
a plutôt affaire à des «poches» séparées les écoupage de celui de Kirkûk en février
unes des autres : une première à l'Ouest, 1976), Salâhuddîn (4), Diyâlâ, Wâsit et
Maisân. Aussi comprend-on pourquoi le 36° jouxtant le département turc d'Antioche :
Kurd-Dagh,ya^a/ (2) Sama'an et A'zâz, une parallèle (érigé en ligne remarquable par la
autour de 'Ayn al arab, puis une au Nord de résolution 688 du Conseil de Sécurité de
la Jazîrah (soit la frange Nord du «bec de l'ONU, avril 1991) n'est pas une bonne l
imite sud pour le Kurdistan (pas plus que la canard» syrien, de Ra's al 'ayn à al
Malikiyyeh à l'extrême Est). Enfin, symét frontière «officielle»).
rique âujabal Sinjâr irakien, lejabal 'abd On est donc autorisé à parler, en Irak
al'azîz à l'Ouest d'Al Hasakah, forme la comme en Syrie, de politiques de dénégat
quatrième poche de kurdicité en Syrie, en ion du fait kurde par les autorités centrales,
situation moins septentrionale. Au total, quat qui prend des formes assez analogues. Le
re gouvernorats (mohafazat) englobent ces découpage administratif en est une. L'autre
poches kurdes de Syrie, sans qu'aucun ne consiste en une active arabisation de la t
soit majoritairement kurde; soit d'Ouest en oponymie, qui vise à rendre moins identifia
bles les zones à peuplement kurde. Les Est ceux d'Idlib, d'Alep, Ar Raqqah et Al
Hasakah. Et on touche ici à une autre diffé exemples ne manquent pas. Côté syrien, au
rence par rapport à l'Irak : l'absence, en début des années soixante, la très kurde
Syrie, de découpa