Mouvements sociaux et idéologies dans les sociétés dépendantes - article ; n°57 ; vol.15, pg 217-232
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Description

Tiers-Monde - Année 1974 - Volume 15 - Numéro 57 - Pages 217-232
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Alain Touraine
Mouvements sociaux et idéologies dans les sociétés
dépendantes
In: Tiers-Monde. 1974, tome 15 n°57. pp. 217-232.
Citer ce document / Cite this document :
Touraine Alain. Mouvements sociaux et idéologies dans les sociétés dépendantes. In: Tiers-Monde. 1974, tome 15 n°57. pp.
217-232.
doi : 10.3406/tiers.1974.1996
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1974_num_15_57_1996MOUVEMENTS SOCIAUX ET IDÉOLOGIES
DANS LES SOCIÉTÉS DÉPENDANTES
par Alain Touraine*
II semble naturel de parler des mouvements sociaux dans les sociétés
dépendantes. Ne peut-on analyser le populisme et le nationalisme, la guérilla
révolutionnaire et le syndicalisme comme on étudie le mouvement ouvrier
dans les sociétés de capitalisme industriel ? En fait ce parallélisme est trompeur.
Les mouvements sociaux sont toujours en dernière analyse l'expression d'un
conflit de classes. Or ce concept appartient à l'analyse d'un mode de production,
d'un type de société, tandis que la dépendance définit un mode de dévelop
pement, de passage d'un mode de production, d'un type de société à un
autre. On ne peut employer sans précaution ce concept, qui relève de l'analyse
synchronique, pour étudier la diachronie. Ou tout au moins il faut le trans
former, l'adapter. Cette création d'un nouveau concept qu'on peut nommer
d'avance mouvements sociaux de développement commande les analyses
concrètes qui doivent être menées. Faute d'une telle réflexion, on se limite
à des descriptions monographiques, ou, dans un cas plus favorable, on dépasse
la reconstitution d'une action collective pour analyser un changement histo
rique. Travail rendu indispensable par l'extrême diversité des situations à
étudier, mais qui n'exclut pas le travail proprement sociologique d'analyse
générale des mouvements sociaux dans les sociétés dépendantes.
Il faut avant tout définir la nature de ces sociétés. Elles doivent l'être
en deux temps : d'abord elles s'opposent aux sociétés dominantes; ensuite,
à l'intérieur des sociétés dominées, elles s'opposent aux sociétés que je nomm
erai « despotiques ». Chacune de ces catégories se définit par la nature
de son élite industrialisatrice. Dans les sociétés dominantes, il s'agit d'une
bourgeoisie nationale. Dans les sociétés despotiques l'industrialisation intro
duite le plus souvent par l'étranger est ou bien menée par un Etat national
mobilisant une partie des anciennes classes dirigeantes ou bien dirigée par un
* Directeur d'Etudes à ГЕ.Р.Н.Е. (VIe section), professeur à l'I.E.D.E.S.
217 ALAIN TOURAINE
Etat conquis par un parti révolutionnaire ayant renversé un ordre politique
et culturel archaïque et décomposé par une crise nationale liée à l'initiative
de puissances plus industrielles. Dans les sociétés dépendantes l'industrialisation
est introduite et dirigée par une bourgeoisie étrangère, soit directement, soit
indirectement, c'est-à-dire à travers la domination du système des échanges
internationaux.
I. L'ÉCLATEMENT DE LA CONSCIENCE DE CLASSE
Les mouvements sociaux sont toujours à la fois défensifs, c'est-à-dire
revendicatifs et contestataires, c'est-à-dire contre-offensifs. La classe ouvrière
par exemple cherche à protéger son emploi, son milieu, son autonomie
professionnelle, sa culture contre l'emprise directe et indirecte de la classe
capitaliste. En même temps elle vise la réappropriation collective des instru
ments et des produits de l'industrialisation au nom du droit du travail. D'autre
part tout mouvement social est consacré à ce qu'on peut nommer une « action
critique », c'est-à-dire une lutte contre l'ordre établi par la classe dominante
et qui exclut ce qui est inacceptable pour cette classe. L'action critique ne
repose pas sur le conflit, mais sur la contradiction.
Il fallait rapprocher ces définitions et ces instruments élémentaires d'analyse
pour situer les mouvements sociaux de développement.
Plus on considère des sociétés dominantes, plus les mouvements sociaux
y ont d'importance par rapport aux actions critiques et à l'intérieur des
mouvements sociaux, plus la contestation positive au nom des droits du
travail l'emporte sur la simple défense. Ce qui s'est marqué en Europe
par le rôle central des ouvriers qualifiés, des militants, de la composante
« morale » du mouvement ouvrier, par une tendance permanente à affirmer
le caractère plus fondamental du mouvement social que de l'action politique.
Le mot qui nomme le principal des sociétés industrielles
n'est-il pas mouvement ouvrier, donc une dénomination de classe ? Au contraire,
dans les sociétés « bloquées » par leur appareil politique et idéologique, un
mouvement social « positif » se trouve très affaibli et la lutte politique donne
une importance centrale à une stratégie reposant sur la rupture des contra
dictions. L'action bolchevique l'emporte sur le mouvement menchevik. La
lutte contre le Kuo-min-tang et contre les Japonais conduit à la prise du
pouvoir de Mao tandis que le mouvement ouvrier et intellectuel de Canton
et de Shanghai s'était terminé par un échec tragique.
Dans les sociétés dépendantes le fait le plus visible est la coexistence
sans intégration véritable de ces différentes formes d'action collective des
mouvements sociaux d'un côté, de l'action critique de l'autre. Chacune
218 IDÉOLOGIES DANS LES SOCIÉTÉS DÉPENDANTES
de ces formes semble même poussée à l'extrême dans une structure dualiste.
Le dualisme est un attribut fondamental d'une société dépendante. Si nul
ne peut accepter aujourd'hui les premières formulations de cette notion — la
simple juxtaposition de régions riches et de régions pauvres — il est bien de
la nature d'une société dépendante qu'elle ne constitue pas un marché national,
qu'une part de la production, la plus importante et la plus dynamique, soit
liée au système capitaliste international et ne diffuse pas d'appel d'entra
înement dans le reste du pays, maintenu dans une position subordonnée,
réservoir de matières premières, d'hommes et parfois même de capitaux,
exploité par le secteur intérieurement dominant et extérieurement dominé.
De la même manière que la théorie léniniste de l'impérialisme a impliqué
l'idée que se formait dans les pays dominants une aristocratie ouvrière, mais
d'une manière beaucoup plus accentuée, on voit s'opposer ici deux types de
mouvements qui représentent deux fractions profondément différentes et
même opposées des classes populaires. A l'intérieur du secteur dominant
se forme une catégorie de travailleurs qui occupe une position relativement
privilégiée, mais qui aussi se trouve davantage définie par son appartenance
au mode de production capitaliste. D'où à la fois son réformisme et son
militantisme. Dans le secteur dominé et sous-développé, faiblement capitalisé
en général, il n'est pas question de réformisme : la violence s'établit souvent,
mais elle est dirigée contre une domination culturelle et politique autant
qu'économique. Elle a assurément une dimension de classe mais plongée
à l'intérieur d'une rupture plus globale, complétée par un repli communautaire
qui gêne la formation d'un mouvement de grande ampleur et capable de
se donner des objectifs de développement national.
Cette opposition se retrouve partout. Dans le Nord-Est brésilien les
ligues paysannes s'appuient sur des minifundistes ou des travailleurs dépen
dants mais possédant une certaine autonomie professionnelle, tandis que
les syndicats agraires étaient davantage portés par des travailleurs plus proches
de la condition prolétarienne sur les domaines plus capitalistes du sud de
l'Etat de Pernambuco en particulier. Les ligues sont radicales, mais sont
politiquement hétéronomes, tandis que les syndicats agraires participent à
une vision politique nationale mais sont socialement réformistes, et ne sont
pas tellement différents des syndicats ouvriers pelegos. Au Pérou, plus nett

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