Notes psychologiques sur les auteurs dramatiques - article ; n°1 ; vol.1, pg 60-118
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Description

L'année psychologique - Année 1894 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 60-118
59 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1894
Nombre de lectures 12
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Alfred Binet
J. Passy
Notes psychologiques sur les auteurs dramatiques
In: L'année psychologique. 1894 vol. 1. pp. 60-118.
Citer ce document / Cite this document :
Binet Alfred, Passy J. Notes psychologiques sur les auteurs dramatiques. In: L'année psychologique. 1894 vol. 1. pp. 60-118.
doi : 10.3406/psy.1894.1046
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1894_num_1_1_1046m
ÉTUDES DE PSYCHOLOGIE
SUR LES AUTEURS DRAMATIQUES
Nous relatons dans les pages qui vont suivre de simples
conversations avec des auteurs dramatiques, conversations dans
lesquelles nous avons essayé d'e'claircir la question si importante,
si mal connue, si peu étudiée, de l'imagination créatrice.
Le lecteur aurait donc bien tort de chercher ici une étude de
psychologie approfondie ; qu'il se contente d'une esquisse, d'une
ébauche, qui n'a d'autre valeur que d'être faite d'après nature.
M. VICTORIEN SARDOU
I
Nous trouvons M. Sardou dans un appartement gai, bien
éclairé, riche et surtout assez spacieux pour permettre au maître
de pérorer en marchant.
Dès notre entrée, M. Sardou vient à nous, le regard franchet
ment fixé sur le nôtre et la main tendue. Son accueil, ouver-
et vif, épargne les froideurs des premiers moments d'une entrevue
entre gens qui ne se connaissent pas. C'est un homme de petite
taille, — il a exactement lm,64 — ni gras, ni maigre, plutôt
maigre, au teint brun, un peu bistré, figure glabre, menton
énergique, œil vif et malin. Il est difficile de faire de lui un
portrait d'après nature, parce qu'il a une figure d'une expression
extrêmement mobile.
On a parfois trouvé à M. Sardou une ressemblance curieuse
avec le compositeur Wagner. D'autres l'ont comparé à Bona- BINET ET J. PASSY. — AUTEURS DRAMATIQUES 61 A.
parte, un Bonaparte jeune qui n'a pas encore commis le
18 Brumaire. Nous ajoutons une troisième comparaison : quand
M. Sardou est penché sur un de ses manuscrits, sa petite toque
de velours posée sur ses longs cheveux, il fait songer à l'Érasme
d'Holbein. qui compulse, lui aussi, un manuscrit dans le salon
carré du Louvre. La seule possibilité d'établir des analogies
aussi nombreuses sert à dépeindre une physionomie. On ne
pourrait pas en trouver de semblables pour l'anatomie si pré
cise et si caractéristique de M. Dumas. M. Dumas est M. Dumas
et ne ressemble qu'à lui-même. Au contraire, M. Sardou est tout
en expression, et, comme l'expression est infiniment variable
et nuancée, il en résulte qu'on voit, suivant le costume, l'e'clai-
rage et, surtout, l'émotion qui l'anime passer sur cette figure
mobile comme des reflets d'autres physionomies.
Pour achever le portrait, disons que M. Sardou a dans la
tournure du corps comme dans celle du visage une finesse
toute féminine; rien de lourd, d'épais, de massif; pas de carrure
des épaules ni de gros pouces. Sous cet air trompeur de délica
tesse physique se cache la vigueur de santé que l'on rencontre
chez presque tous les grands travailleurs. Quant au costume,
que nous notons pour ne rien omettre, il n'attire pas les regards,
aucune recherche, pas un bijou ; quelque chose de gris et d'éteint,
veston, jaquette, on ne sait.
Avant d'étudier ses procédés de travail, disons un mot de sa
famille et de ses antécédents.
II
La question de l'hérédité, nous dit M. Sardou, est importante
chez l'auteur dramatique ; pour être complet, l'auteur doit ren
fermer deux hommes : l'artiste, qui est séduit par une idée, et
l'homme de raisonnement, de critique, qui dit à l'artiste : « II
faut faire ceci et éviter cela. » Plus d'un auteur dramatique
n'est qu'un artiste : Victor Hugo, par exemple, qui manquait
totalement de bon sens.
M. Sardou est le produit curieux de deux races; sa mère
appartient à une race champenoise, sérieuse, travailleuse, ra
isonnable, sans imagination ; elle est fille de tisserands qui,
depuis Henri IV, pendant plusieurs générations, passent leur
vie dans le même métier. Du côté paternel, race sarde brouil
lonne, mal équilibrée ; son grand-père paternel, médecin très 62 L'ANNÉE PSYCHOLOGIQUE. 189i
intelligent, était dépourvu du sens des affaires. Chez son père,
même nature méridionale, active, travailleuse, mais peu pra
tique.
M. Sardou a fait ses classes à Paris, au lycée Henri IV ; c'était
un bon élève, seulement pour les lettres; il mettait dans ses
discours un horrible mélange de romantique et de classique
qui indignait ses professeurs. A seize ans, il écrivit une tra
gédie, avec le titre d'Othon ; peu après, il en faisait une autre
dont la versification était singulière ; le roi y parlait en alexand
rins, les seigneurs en vers de dix pieds et le peuple en petits
vers alternés.
L'ambition de sa famille était de le faire entrer dans l'Univers
ité ; on ne rêvait pas pour lui de plus beau titre que celui de
professeur. Le jeune homme refusa; il y eut des discussions
orageuses. On consentit à grand'peine à lui laisser faire sa
médecine, c'était pour lui un moyen de gagner du temps. La
médecine l'intéressa surtout, à ce qu'il semble, par l'aspect
extérieur et un peu dramatique des opérations chirurgicales et
des dissections à l'école pratique. Il allait voir tout cela avec
cette curiosité du pittoresque qui fait partie de son être, mais il
ne renonçait pas au théâtre, cachait son jeu et faisait des vers
en allant le matin à la visite de l'hôpital. Au bout de deux ans,
il jette le masque et déclare hautement qu'il veut faire du
théâtre et pas autre chose. Alors commencèrent les années de
misère et de privation. Obligé de se suffire à lui-même, il donna
des leçons à deux francs l'heure et écrivit des articles dans les
petits journaux.
La première pièce qu'il parvint à faire représenter est la
Taverne : elle est de 1854 ; elle fut jouée à l'Odéon ; pour mieux
faire, le directeur l'intitula la Taverne des étudiants, et les
étudiants se croyant attaqués sifflèrent. Puis vinrent trois ou
quatre pièces qui ne furent pas jouées ; puis le Bossu, en colla
boration avec Paul Féval, puis les Armes de Figaro, pastiche de
Beaumarchais et son premier succès.
Nous avons été curieux de connaître la méthode de travail
que M. Sardou emploie, et nous avons été, disons-le tout de
suite, émerveillés de cette méthode, de sa logique et de son
ingéniosité, et aussi de la masse considérable de travail qu'elle
suppose. On ne peut pas, à première vue, se faire une idée du
long effort qui aboutit à trois ou cinq actes d'une pièce de
théâtre. Il faut abandonner ici l'idée d'un théâtre qui se ferait
d'inspiration, dans un moment heureux, et ne prendrait pas BINET ET J. PASSY. — AUTEURS DRAMATIQUES 63 A.
plus de quelques heures; on parle souvent de pièces écrites d'un
bout à l'autre dans l'espace d'une matinée ou même pendant la
causerie d'un déjeuner entre amis. Gela n'a rien de commun
avec ces œuvres longuement mûries où tout est arrangé, comb
iné, raisonné comme dans une machine d'horlogerie énorme
et délicate où il faut prévoir l'action de chaque ressort.
Après avoir causé avec M. Sardou, on comprend qu'un théâtre
comme le sien, où rien n'est livré au hasard, où l'inspiration
elle-même est, comme nous le verrons, canalisée et mise en
réserve pour une heure déterminée, accapare toutes ses idées
et résume toute son énergie. C'est bien là la caractéristique de
son œuvre, et on ne croirait pas, nous le répétons, en écoutant
au théâtre l'acteur débiter ses fameuses tirades, que toutes ces
paillettes brillantes viennent d'un manuscrit où chaque mot a
reçu une moyenne de cinq à six ratures.
M. Sardou est, avant tout, homme de théâtre, et toutes ses
facultés semblent s'être adaptées à cette forme de la production
littéraire. En dehors du théâtre, il n'a écrit qu'une nouvelle; il
ne détesterait pas, dit-il, faire du roman, et ne s'en croit pas
incapable, mais le temps lui manque. Son opinion e

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