Pour une définition des classes inférieures à l époque moderne - article ; n°3 ; vol.18, pg 459-474
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1963 - Volume 18 - Numéro 3 - Pages 459-474
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1963
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

François Furet
Pour une définition des classes inférieures à l'époque moderne
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 18e année, N. 3, 1963. pp. 459-474.
Citer ce document / Cite this document :
Furet François. Pour une définition des classes inférieures à l'époque moderne. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.
18e année, N. 3, 1963. pp. 459-474.
doi : 10.3406/ahess.1963.421006
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1963_num_18_3_421006CHRONIQUE DES SCIENCES SOCIALES
POUR UNE DEFINITION
DES CLASSES INFÉRIEURES
A L'ÉPOQUE MODERNE
seule des par ignoré. démographique inférieures Pour Car l'étude classes histoire les L'histoire l'histoire évoque classes quantitative inférieures — ou celle inférieures d'abord d'aujourd'hui d'hier sociologique qui n'existe des et honore celle sociétés sont pour de ; le l'histoire majoritaires d'aujourd'hui et nombre du réintègre l'historien récompense passé et noble, : d'anonymat. dans mais par que \ les qui la le il l'aventure perdu personnalités nombre, y notion fut reste longtemps Car dans silencieux. de mais l'homme humaine l'étude classes — pril'a la
vées de prestige et d'influence. En ce sens, ceux que les textes du xvne et
du xvme siècle appellent « le menu peuple » et plus tard le peuple tout
court s'opposent aux classes dirigeantes : ils sont exclus des zones sociales
où se circonscrit la puissance, et où s'exprime la culture. Ils sont « la
canaille » des seigneurs de l'Ancien régime, ou « la vile multitude » de
M. Thiers. Us sont le nombre et ils ne comptent pas.
Comme il serait simple que l'usage, ou la loi, aide à préciser les évi
dences du bon sens, et à fixer, ne fut-ce que pour un temps, les exactes
limites du ghetto où l'histoire a enfermé les classes inférieures ! Et on
pense tout de suite à l'Europe de l'Ancien régime : dans les sociétés à
ordres de l'ancienne Europe, ce qui est né noble, c'est-à-dire cette frac
tion si faible de la population des États, monopolise le prestige social.
Et de l'autre côté de cette barrière de la naissance, si longue, si difficile,
si onéreuse à franchir, il y a le reste de la société civile.
Mais ce Tiers-État, qui mêle la misère à l'aisance, et même, souvent,
à la fortune, ce Tiers-État dont les élites s'aperçoivent progressivement
qu'il est la Nation, peut-il mesurer globalement le volume des classes
1. Communication faite au Colloque franco-allemand tenu à Saint-Cloud en octobre
1962.
459 ANNALES
inférieures ? On sait bien qu'en réalité, avant l'époque contemporaine
et le développement du capitalisme industriel, la richesse roturière ne
peut être confondue avec la pauvreté roturière. L'infériorité du « rang »
qui les rassemble ne peut masquer la disparité des fortunes qui les sépare,
l'inégalité des chances qui les oppose. Ceux qu'un texte du xvine siècle x
nomme déjà « les citoyens nés dans un ordre mitoyen », et qui devien
dront la classe moyenne de Guizot et de Tocqueville, sont distingués des
classes inférieures dès l'aube de l'époque moderne. Ils se pressent très tôt
aux barrières des ordres privilégiés que leur richesse ou leur culture, et
parfois leur seule ambition, veulent selon les cas et les époques, franchir
élargir, ou détruire.
Les riches, les pauvres : nous voici ramenés des prestiges sociaux aux
réalités économiques. Il faut en prendre son parti : quelles que soient les
hypothèses de travail, et les présuppositions de la recherche, l'histoire
sociale oscille toujours entre deux pôles ; l'observation économique et
l'étude politique, au sens large du terme. Évitons ici la vieille querelle
de la causalité. Interrogeons l'économie. Interrogeons la politique.
Partir de l'économie, c'est d'abord partir du salaire. Non pas par
hasard, ou par préjugé d'école. Mais parce que cela nous est recommandé,
bien avant Marx, bien avant le développement de la société industrielle,
par presque tous les observateurs français du siècle qui a inventé les
sciences sociales. On ne dit jamais assez tout ce que la pensée contem
poraine doit dans ce domaine à l'extraordinaire floraison du xvine siècle
A la question : qu'est-ce que le peuple ? Necker 2 répond : « C'est la
classe la plus nombreuse de la société, et la plus misérable par consé
quent, puisque sa subsistance dépend uniquement de son travail
journalier ». Pour Linguet3, le peuple « renferme tous les hommes sans
propriétés et sans revenus, sans rentes ou sans gages ; qui vivent avec
des salaires quand ils sont suffisants ; qui souffrent quand ils sont
trop faibles ; qui meurent de faim quand ils cessent ». Et Condorcet 4 :
«Toute famille qui ne possède ni propriétés foncières, ni mobilier, ni
capitaux, est exposée à tomber dans la misère au moindre accident. »
C'est Cliquot de Blervache б qui trouve pour la même définition la fo
rmule la plus frappante : « Le travail est le seul patrimoine du peuple. Il
faut qu'il travaille ou qu'il mendie. »
1. Fortonnais, Eléments du commerce, II, 268.
2. Necker, Sur la législation et le commerce des grains, I, chap. XXV.
3. Linguer, Annales, IX, 326.
4. Condorcet, Sur les Assemblées provinciales, 453.
5. Cliquot de Blervache, Essai sur les moyens d'améliorer en France la condition
des laboureurs, 102.
460 GLASSES INFÉRIEURES
C'est donc déjà, très clairement, — et les physiocrates, qui d'ailleurs
ne s'occupent guère du salaire, n'y apportent que des nuances d'opt
imisme — la théorie du salaire-subsistance. Elle exclut toute possibilité
d'épargne pour le peuple ; elle explique l'extrême vulnérabilité des classes
populaires à la conjoncture économique et à la hausse des prix du grain ;
elle rend compte du volume des classes flottantes et de la mendicité
dans les sociétés d'Ancien régime, volume que le comité de mendicité
de l'Assemblée constituante estimait au moins au vingtième de la popul
ation globale, en France et en Angleterre. Mais elle pose à l'historien
de multiples questions, dont plusieurs sont encore ouvertes.
Les unes tiennent aux sources, qui sont difficiles à interpréter et à
réduire en quantités comparables, et surtout discontinues, dans le temps
et dans l'espace. En France, il n'y a pas de séries nationales de salaires
avant le xixe siècle. C'est à partir de données provinciales que la clas
sique « Esquisse » de M. Labrousse en a reconstitué les grandes lignes
pour le xvine siècle. Mais que dire du xvne siècle et de l'évolution du
prix de la main-d'œuvre pendant la longue phase В qui déborde le règne
de Louis XIV ? A s'en tenir à deux ouvrages récents, et à leur seul dia
gnostic du salaire, comment choisir entre un Beauvaisis misérable et une
Provence relativement heureuse 1 ? Il n'y a qu'un arbitrage national
qui le permettrait.
Par ailleurs, la définition du salaire-subsistance n'a en tout état de
cause qu'une valeur tendancielle. Quelle a été l'évolution saisonnière,
cyclique, et surtout séculaire du salaire ? Quel est le niveau de l'emploi,
le volume du chômage ? Sur l'anatomie économique des sociétés anciennes,
nous disposons des deux grandes enquêtes classiques, celles d'E. Labrousse
et de E.-J. Hamilton, qui concluent toutes les deux à une forte baisse du
salaire réel, au cours du xvine siècle, selon les limites chronologiques
de Г « Esquisse », mais aussi, selon Hamilton, entre le xvie et la fin du
xvine siècle. Mais à supposer acquise cette paupérisation continue des
classes inférieures à l'époque moderne, la chute de la mortalité populaire
qui caractérise la révolution démographique du xvine siècle devrait
donner naissance à un prolétariat innombrable, qu'on n'aperçoit guère
que dans l'histoire anglaise. Et surtout, autre problème, posé par Pierre
Vilar à Stockholm 2, à quel niveau faut-il situer les salaires du xvie siècle
pour que ceux du xvnie permettent encore de vivre ?
En réal

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