Une rencontre avec Everett C. Hughes - article ; n°1 ; vol.27, pg 73-77
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Sociétés contemporaines - Année 1997 - Volume 27 - Numéro 1 - Pages 73-77
The article describes the initial contact between French sociology and Hughes’ sociology by placing them in the wider context of contacts between French and American sociology during the years 1945-1955.
L’article décrit les premiers contacts de la sociologie française avec la sociologie de Hughes en replaçant ceux-ci dans le contexte des contacts franco-américains en sociologie des années 1945-1955.
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 28
Langue Français

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J E A N - R E N ÉT R É A N T O N
UNE RENCONTRE AVEC EVERETT C. HUGHES
RÉSUMÉ :L’article décrit les premiers contacts de la sociologie française avec la sociologie de Hughes en replaçant ceux-ci dans le contexte des contacts franco-américains en sociologie des années 1945-1955. C’est à George Friedmann, lors d’un voyage qu’il fit aux États-Unis en 1949, que la sociologie française doit ses premiers contacts avec Everett C. Hughes. L’époque était favorable au renforcement des liens entre les universitaires des deux pays. Le Plan Marshall venait d’être lancé, et une partie de ses crédits, gérés par l’European Recovery Administration, était réservée aux missions outre-atlantique d’experts et d’intellectuels français, vite traités de « marshallisés » par la presse du parti communiste et de ses satellites. Friedmann fut très bien accueilli là-bas et revint enchanté de son voyage. Il en rend largement compte dans quelques articles de revue, repris dans son livreOù va le travail humain? publié au printemps 1951. L’étape de Chicago avait été pour lui fondamentale : c’est là qu’il avait pris lan-gue avec les leaders noirs de l’«Urban League», qui l’avaient initié à leur lutte contre la ségrégation urbaine. C’est là aussi qu’il avait rencontré Everett C. Hughes, dont il avait signalé les travaux, dès 1948, dans un article desAnnales, Économies, 1 Sociétés, Civilisations. Les deux hommes avaient en commun une ouverture d’esprit et un libéralisme fonciers qui les prédisposaient à s’entendre. Il y avait en outre chez Hughes, comme chez beaucoup d’universitaires de cette époque (ou de « l’Amérique de Gary Cooper »,pour parler comme Romain Gary), un intérêt sin-cère pour le Vieux Monde à peine sorti de sa catastrophe historique. Un long séjour au Québec, d’où il avait ramené son premier livre:French Canada in Transition,inclinait ce jeune professeur, intellectuel typique du « New Deal », à s’intéresser aux choses françaises et donc à réserver un accueil cordial au visiteur parisien. À cette date – et mises à part les trois pages que Friedmann lui a consacrées dans lesAnnales– l’œuvre de Hughes n’est guère familière aux Français qui s’intéressent à la sociologie américaine. LesCahiers internationaux de sociologie, créés par
1.Industrie et société aux États-Unis », «Annales E.S.C., 1948, nos. 1 et 2, p. 69-80 et 150-165. C’est en fait un résumé détaillé du livre de William F. Whyte, ed.,Industry and Society. Trois pages (p. 77-80) y sont consacrées à la contribution d’Everett C. Hughes sur les relations raciales dans l’industrie américaine (reprise dans son livreMen and their Work).
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Gurvitch à son retour des États-Unis, et qui sont alors le seul périodique de la disci-pline (c’est une revue « trimestrielle » qui a pris, dès sa création, la fâcheuse routine de sortir deux fois par an sous forme de « cahiers doubles ») ignorent totalement son nom. Parcourons les sommaires semestriels de cette publication, d’un niveau d’ailleurs très honorable. Parmi les sociologues américains qui y figurent, les uns, Robert H. Lowie, Florian Znaniecki et Pitirim Sorokin (ces deux derniers sont des émigrés européens, l’un polonais, l’autre russe comme Gurvitch) représentent les États-Unis au Comité de rédaction, revue « internationale » oblige. D’autres, comme Ernest W. Burgess, Robert S. Lynd, Jacob L. Moreno (ainsi que son bras droit Helen H. Jennings), Robert McIver et, enfin, Louis Wirth, sans oublier, bien sûr, Znaniecki et Sorokin, fournissent des articles aux trois premiers numéros, publiés en 1946-47. Ce sont tous des noms connus de la génération des 50-60 ans : celle qui a accueilli Gurvitch dans son exil américain et l’a aidé à publier, en 1945, avec 2 Wilbert E. Moore, les deux volumes de laTwentieth Century Sociology. Gurvitch lui-même consacre, dans le numéro 3, un article « Microsociologie et sociométrie » à l’œuvre de Jacob Moreno (autre immigré d’Europe centrale) et d’Hélène Jennings, alors que leur revueSociometryde publier un article de P. vientH. Maucorps, « Sociometric tests in the French army », dont celui-ci n’est pas peu fier. Le même numéro contient un compte-rendu de Gurvitch sur un autre américain, James Burnham, dont le livreL’ère des organisateurs, aujourd’hui fort oublié, vient de sortir en France et auquel, sous son impulsion, le CNRS va consacrer un colloque 3 international . Si les trois premiers numéros desCahiers internationauxsont bien fournis, on le voit, en contributions américaines et en textes consacrés à des sociologues d’outre-Atlantique, les cinq numéros suivants, pour en présenter moins, n’en sont pas tota-lement dépourvus. Dans les numéros 4 et 5, Robert Badinter, alors disciple préféré e du maître, publie un compte-rendu surLa sociologie auXXsiècle, traduction fran-çaise du « magnum opus » de Gurvitch et Moore, parue en 1947 aux Presses Uni-versitaires de France, et un autre sur lePsychodramaMoreno. Celui-ci rend la de politesse en donnant au numéro 6 (1949-1) un article «Méthode expérimentale, sociologie et marxisme ». Maucorps prend le relais, dans le numéro 7 (1949-2), en publiant un article-programme «Enquête psychosociologique sur la cohérence fonctionnelle des groupes restreints», qui est une contribution supplémentaire au culte morénien. La première et unique fois où le nom d’Everett C. Hughes est men-tionné, c’est dans le numéro 8 (1950 – 1) où un article de Georges Friedmann, « L’industrie américaine et le facteur humain », basé sur sa récente expérience amé-ricaine, signale le recueil de William F. WhyteIndustry and Society. Il s’agit d’une série de conférences organisées par le « Committee on human relations in industry » de l’Université de Chicago, où Everett C. Hughes est responsable des questions raciales. Sa contribution s’intitule «Race relations in industry», et c’est une des plus intéressantes.
2.Publié aux États-Unis en 1945 et traduit en français aux PUF. en 1947. 3.Georges Gurvitch (sous la direction de),Industrialisation et technocratie, Paris,Armand Colin, 1949.
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À cette époque, Gurvitch, en partie sous l’influence de P.-H. Maucorps, est trop 4 coiffé de Moreno et de sa sociométriepour s’intéresser à la génération qui monte, surtout quand elle gîte à Chicago, si éloigné de la côte Est où il a passé l’essentiel de son séjour américain et constitué la plupart de ses relations. Parmi les collaborateurs desCahiers, une seule exception à la moyenne d’âge mûrissante : Richard Williams, un jeune Américain qui séjourne alors à Paris. Il publie dans le numéro 3 (1947-2) un article sur la psychologie sociale aux États-Unis et annonce, aux Éditions Éco-nomie et Humanisme, un livre sur la sociologie américaine contemporaine qui ne 5 verra jamais le jour. Plus tard, il fera carrière dans l’administration de la santé. C’est vers l’Année sociologique qu’ilfaut se tourner pour voir apparaître des mentions moins sommaires d’Everett C. Hughes. Comme lesCahiers Internatio-naux, cette publication « annuelle » pratique la politique contestable des « numéros doubles », que des retards systématiques dans la parution ne sont pas sans aggraver. Sa renaissance, au lendemain de la guerre, est marquée par la publication, en deux volumes, d’un millésime « 1940-1948 » qui sort en fait au deuxième trimestre 1949 et liquide l’arriéré des années de conflit. Georges Friedmann y a la responsabilité d’une rubrique «Technologie » oùil est question des ouvrages de Warner et Low (The social System of the Modern Factory), des inévitables Moreno et Jennings, recensés par Jacques Lobstein, et d’Elton Mayo, le dada de Friedmann, tandis que François et Viviane Isambert rendent compte de son propre ouvrageLes problèmes humains du machinisme industriel, paru en 1947, et de bien d’autres encore. Mais surtout on y trouve deux pages sur le livre de William F. WhyteIndustry and Society dontFriedmann vient de faire une longue recension dans lesAnnales (voir plus haut) et dans lequel les lecteurs français ne peuvent décidément plus ignorer la contribution d’Everett C. Hughes. La livraison 1948-49 parait, en fait, au premier trimestre 1951. Elle contient pour la première fois une rubrique de «Sociologie du travail» dirigée par Georges Friedmann et Alain Touraine, avec pour collaborateurs Paul-H. Maucorps (Paul-Hassan et non Paul-Henry comme Chombart de Lauwe: hasard d’une naissance à Constantinople où son père était attaché militaire), François et Viviane Isambert,
4.Voir notamment ses «Remarques sur la sociographie des groupements » dans le premier numéro desÉchanges sociologiques(Paris, Centre de documentation universitaires, 1947), revue créée par un groupe d’étudiants de la Sorbonne sous la houlette de Robert Badinter, avec le concours d’Éric de Dampierre (futur universitaire), de Jean-Baptiste Dardel (plus tard, homme d’affaires) et de Jean-François Deniau (destiné à la politique et à la navigation), dontMémoires de sept viesles (voir p. 265-273 du tome 1) évoquent avec humour ce qu’étaient, à cette époque, les études de sociologie à la Sorbonne.  Dansle même numéro on trouve, de J. B. Dardel, un article sur « Quelques antécédents français à la pensée nationale-socialiste», original, mais téméraire, qui suscita quelques remous (voir la note vengeresse d’Armand Cuvilier dans sonManuel de sociologie, Paris, PUF, 1950, p. 8). 5.On peut lire de lui, toujours dans le n°1 (1947,p. 40-50) de cesÉchanges sociologiquesdont la vie fut brève, un article sur la stratification sociale où mention est faite, pour la première fois, de la remarquable étude d’Everett C. Hughes « Dilemmas and contradictions of status », publiée en 1945 dans l’American Journal of Sociology.  Laseconde livraison (1948) contient des articles de Deniau sur «la géographie des grands hommes », de Dardel sur la sociologie du « beau linge » et de Dampierre – que je remercie de toutes e ces indications – sur la sociométrie d’Auguste Chirac, un sociologue méconnu duXIXsiècle, qu’il tente de réhabiliter (il met aussi quelque malice à établir que Moreno n’a pas été le premier « sociomètre »...).
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Jacques Lobstein, Georges Canguilhem, Marcel Roncayolo et enfin Étienne Verley, 6 qui ne sera qu’une étoile filante dans le firmament de la sociologie française. C’est à ce dernier que Friedmann et Touraine ont confié le soin de rendre compte (p. 470-472) de plusieurs articles d’Everett C. Hughes, sans doute reçus par Friedmann sous forme de tirés à part. Un peu plus loin, François et Viviane Isambert traitent du livre de William F. WhyteHuman Relations in the Restaurant Industry, où beaucoup d’entre nous feront leur initiation à la théorie des relations humaines, alors en vogue aux États-Unis.
Arrivé là-bas en septembre 1950, je n’aurai pas connaissance avant mon retour en France, un an plus tard, de cette deuxième livraison de l’Annéeressuscitée. Une halte à Chicago, en juin 1951, va me permettre toutefois de rencontrer Everett C. Hughes, pour qui Georges Friedmann m’a remis une lettre d’introduction et dont 7 Éric de Dampierre, qui y réside avec quelques autres Français, me vante l’accueil qu’il réserve à nos compatriotes mal acclimatés, auxquels il fait la charité de parler leur langue. Manque de méthode: je n’ai pas conservé de notes détaillées sur l’entretien qu’il m’accorda. Je garde seulement à la mémoire la cordialité de l’homme, sa distinction raffinée et l’indignation qu’il m’exprima du récent refus de visa récemment opposé à Georges Friedmann par les autorités américaines, alors en pleine frénésie maccarthyste. Il me parla aussi de quelques-uns de ses étudiants dont, me dit-il, il attendait beaucoup : Melville Dalton, en particulier, qui venait de publier trois articles fondamentaux dans l’American Journal of Sociologyetdans 8 l’American Sociological Review etaussi Donald Roy, auteur d’une remarquable étude empirique, basée sur l’observation participante, dont je pourrai bientôt, me dit-il, prendre connaissance dans un numéro spécial de l’AmericanJournal of 9 Sociologyque Hughes achevait alors de préparer.
6.Enquête française de sociologie industriellel’article «» publié dans le tome 7 des VoirCahiers internationaux de sociologiela double signature d’Étienne Verley et d’Alain Touraine, qui sous dresse un bilan provisoire des recherches entreprises sous le patronage de Georges Friedmann. 7.Quatre Français sont alors en stage à l’université de Chicago : Éric de Dampierre, Henri Mendras, Claude Tardits et Edmond Malinvaud. Traversant les États-Unis de New-Haven à San Francisco, où je devais enseigner dans une « Summer School », je séjournai moi-même quelques jours à Chicago, en juin 1951, où j’en rencontrai certains. 8.Dalton sera plus tard l’auteur d’un livre important MelvilleMen who manage(1959), fondé sur vingt ans d’observation participante dans une grande entreprise, où il analyse, à la manière de Goffman, la « gestion des apparences ». Il avait alors publié quatre articles de premier ordre, l’un « Worker response and social background »,Journal of Political Economy, août 1947, deux autres : « Conflictsbetween staff and line managerial officers» et «Unofficial union-management relations »,American SociologicalReview, t. 15 (1950), p. 342-351 et 611-619, et le quatrième « Informal factors in carreer achievement »American Journal of Sociology, t. 56 (1950-51), p.407-415. Il est également l’auteur d’un chapitre capital dans Phillip E. Hammond, ed.Sociologists at Work. The Craft of Social Research(Basic Books, 1964) où il expose la manière dont il a mené son observation et écrit son livre. Sa carrière s’est poursuivie à l’Université de Californie (Los Angeles).  Surles travaux de Donald Roy, on peut consulter les références que donne Jean-Daniel Reynaud, qui le cite longuement, dans leTraité de sociologie, tome 1 (p. 466) de Georges Gurvitch. 9.Voir le numéro spécial de l’American Journal of Sociology, t.57, n° 5 (mars 1952) «The social study of men at work » sous la direction d’Everett C. Hughes : on y trouve des articles de Donald Roy, d’Ely Chinoy, d’Howard S. Becker, de William Kornhauser et d’autres auteurs dont la plupart collaboreront, en 1968, au volume d’hommage à Everett C. Hughes,Institutions and the Person, publié sous la direction d’Howard S. Becker, Blanche Geer, David Riesman et Robert S. Weiss.
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Ces indications étaient très précieuses pour un néophyte de mon espèce. Je ren-contrai Dalton dès le lendemain, qui me donna un aperçu de son expérience en entreprise et me dit tout le profit qu’il avait tiré de l’enseignement d’Everett 10 C. Hughes, mais aussi de William Foote Whyte. On comprend donc qu’à la sortie du livre de HughesMen at work, recueil de treize articles de revue qu’il publia en 1958, j’aie eu à cœur de signaler aux lecteurs français, dans la première livraison deSociologie du travail(octobre 1959) et de la Revue française de sociologie(même date), l’importance de l’homme et de son œu-vre, sans me douter cependant du regain d’intérêt – dont je me réjouis, cela va sans dire – que cette œuvre susciterait, un jour, parmi mes jeunes collègues de la décen-nie 1990.
Jean-René TRÉANTON 975, avenue de la République 59700 MARCQ EN BARŒUL
10.Dalton et Donald Roy ont travaillé avant tout sous la tutelle de William Foote Whyte, Melville comme en témoignageMoney and Motivation(voir la recension dans l’Année sociologique, 1955-56, p. 471). Il est temps que les Français accordent à W.F. Whyte une importance au moins égale à celle d’Everett C. Hughes, même s’il était moins francophile. J’ai encore dans l’oreille sa petite phrase sur Georges Friedmann (« He lacks a critical mind »), lors de notre rencontre sur le campus de Cornell, toujours en juin 1951. Ce n’est pas un mauvais début qu’on vienne de traduire saStreet Corner Society.
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