Un thème magique dans les « Bacchantes » d Euripide. - article ; n°4 ; vol.34, pg 1056-1066
12 pages
Français

Un thème magique dans les « Bacchantes » d'Euripide. - article ; n°4 ; vol.34, pg 1056-1066

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
12 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Revue belge de philologie et d'histoire - Année 1956 - Volume 34 - Numéro 4 - Pages 1056-1066
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1956
Nombre de lectures 35
Langue Français

Extrait

Michel Theunissen
Un thème magique dans les « Bacchantes » d'Euripide.
In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 34 fasc. 4, 1956. pp. 1056-1066.
Citer ce document / Cite this document :
Theunissen Michel. Un thème magique dans les « Bacchantes » d'Euripide. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 34
fasc. 4, 1956. pp. 1056-1066.
doi : 10.3406/rbph.1956.2012
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1956_num_34_4_2012MÉLANGES
UN THÈME MAGIQUE DANS LES « BACCHANTES »
D'EUEIPIDE
Penthée persiste dans son dessein de gravir le Cithéron pour aller
espionner les Bacchantes. Dionysos, qui entend bien ridiculiser sa
victime avant d'en finir avec elle, l'a déjà frappée de la folie fatale
et persuadée de revêtir la longue robe des femmes thébaines. Et voici
que Penthée accourt, déguisé en Bacchante. Complètement égaré,
il croit distinguer deux Thèbes et deux soleils, et voit Dionysos sous
la forme d'un taureau. Un dialogue s'engage, au cours duquel le roi
et son guide divin règlent les derniers détails de leur expédition i1).
Conversation remplie de terribles sous-entendus, mais où frappe avant
tout cette curieuse précision que Penthée sollicite de Dionysos : « Sera-ce
en tenant le thyrse dans la main droite ou bien avec cette main (il montre
sa main gauche), que je pourrai le mieux ressembler à une Bacchante »?
A quoi le dieu répond : « II faut le prendre dans la main droite, et le
soulever en même temps du pied droit » (2).
Voilà un scrupule bien singulier, qui n'a pas manqué d'étonner les
commentateurs. Paley (3) estime que le thyrse était tenu dans la main
droite parce qu'il était considéré comme une arme, par analogie avec
(1) V. 912-976.
(2) V. 941-944 : ΠΕ. πότερα δε θύρσον δεξιφ λαβών χέρι
■ή Tfjôs, βάκχβ μάλλον είκασθήσομαι ;
ΔΙ. εν δεξιφ χρή χαμα δεξιφ πόδι
αϊρειν νιν ■
Nous nous sommes aidés pour les citations françaises de la traduction de M. Meu
nier (Paris, 1923).
(3) Londres, 1858. UN THÈME MAGIQUE DANS LES « BACCHANTES » D'EURIPIDE 1057 (2)
la lance. On sait que les insignes proprement religieux étaient, pour
la plupart, portés de la main gauche i1). R. Y. Tyrrel (2) décèle dans
cette précaution les traces d'un lointain mysticisme. J. E. Sandys (3)
observe simplement que l'attitude prescrite par Dionysos était con
traire au bon équilibre de la marche et propre, par conséquent, à pro
duire un effet comique. Son explication a été reprise par E. R. Dodds (4)
qui se refuse à déduire des textes et des monuments figurés aucune
règle fixe dans la manière de porter le thyrse.
Écartons l'hypothèse de Sandys, suivie par Dodds, qui ne voit dans
la prescription qui nous intéresse qu'une fantaisie du poète. Les deux
autres interprétations, sans apporter de solution définitive, paraissent
mieux orientées et, celle de Tyrrel surtout, plus lourdes de promesses
pour peu que l'on considère le symbolisme particulièrement riche et
précis du thyrse dans l'antiquité.
Si le thyrse se définit au premier chef comme l'attribut du dieu Dio
nysos passé par la suite aux mains de ses Ménades, il n'en acquiert pas
moins au cours de son évolution une valeur magique certaine. Comme
emblème funéraire, il relève de la magie, souvent mêlée au monde
infernal. Aiguillon magique entre les mains du dieu θνρσομανής, il sème
l'enthousiasme parmi les Thyases et frappe de folie les ennemis de Dio
nysos ; facteur magique de prospérité, il fait jaillir du sol et des rochers
des sources d'eau et de vin ; enfin, javelot rudimentaire et pourtant
irrésistible, le thyrse passe pour une arme surnaturelle « qui agit plus
à la façon d'une baguette de magicien que de la lance d'un guerrier » (5).
On décèle ainsi dans le thyrse un aspect magique primordial, sans
lequel sa puissance merveilleuse ne s'explique pas. Envisageons à la
lumière de ces observations l'acceptation du thyrse par Penthée : étant
donné la nature de l'objet transmis, ce geste acquiert lui-même une
valeur magique qui jette sur l'épisode un jour singulièrement nouveau.
(1) A. Reinach, dans D.S., Diet, des Ant., s.v. Thyrsus, et L'origine du thyrse,
dans Rev. de l'HisL des Rel., LXVI (1912), p. 1-48 ; F. Von Lorentz, dans P. W.,
Real. Enc, s.v. Thyrsos.
(2) Londres, 1871.
(3) Cambridge, 1880.
(4) Oxford, 1944.
(5) A. Reinach, Le, où l'on trouvera les documents invoqués à l'appui de ces
considérations ; voir p. 1062, n. 5. 1058 M. THEUNISSEN (3)
L'hypothèse est raisonnable. En effet, la magie procède par con
trainte. Son but est de déterminer à coup sûr l'état d'une chose ou le
comportement d'un être. Elle tend à réaliser un envoûtement et cherche
à prendre possession de son objet. Tantôt l'action magique s'exerce
directement sur sa victime (magie directe), tantôt elle influence des
êtres surnaturels intermédiaires qui agissent à leur tour sur la victime
(méthode indirecte). La méthode directe procède par sympathie ;
sous sa forme la plus simple, celle-ci consiste dans la communication,
à la personne visée, d'un objet doué de propriétés magiques Q). C'est à
ce procédé, tout à fait élémentaire, que recourt l'auteur des Bacchantes,
quand il montre Dionysos apprenant au roi de Thèbes à porter le thyrse
de la main droite. C'est le thyrse qui apparaît ici comme le véhicule
principal de l'action magique. Il n'est pas invraisemblable qu'Euripide
ait songé à corser l'effet dramatique de la scène en faisant intervenir
une influence magique, d'autant que Penthée accepte le présent fatal
dans une attitude décrite avec tant de minutie qu'elle évoque un geste
rituel.
Ces quatre vers ne constituent pas un thème isolé ; ils représentent,
au contraire, le point culminant d'un long processus d'envoûtement
que nous allons tenter de reconstituer maille après maille.
La croyance à une fascination exercée dans certaines circonstances
par le thyrse et les autres emblèmes de la religion dionysiaque sur celui
qui les reçoit est abondamment illustrée dans cette tragédie. Ainsi
Penthée, qui vient de surprendre Cadmos et Tirésias en tenue de Bacchant,
adjure son beau-père de « délivrer sa main du thyrse » (2), exactement
comme si la main de l'initié était soumise, sous l'empire du thyrse
qu'elle tient, à une sorte d'inhibition redoutable. Ailleurs, nous voyons
Penthée repousser brutalement Cadmos qui s'apprête à le couronner
de lierre (3), c.-à-d. à lui donner malgré lui l'investiture magique qui
consacre le Bacchant. Penthée, avant de succomber à la folie, était
donc conscient des conséquences d'un geste apparemment aussi inno
cent. Il le savait susceptible de communiquer la détestable frénésie
orgiastique. En particulier, il devait avoir connaissance de la redoutable
(1) H. Hubert, dans D.S., Diet, des AnL, s.v. Magia.
(2) V. 253-254.
(3) V. 341-343, UN THÈME MAGIQUE DANS LES « BACCHANTES » D'EURIPIDE 1059 (4)
puissance du thyrse, car, à peine a-t-il fait comparaître devant lui Dio
nysos enchaîné, qu'il le somme de remettre son thyrse et le menace de
couper sa chevelure (1). Peut-être même Penthée, au moment où il va
être tué par Agave, se rend-il tardivement compte de la contrainte
néfaste qu'exerce sur lui un des ornements dont l'a paré Dionysos :
sa mitre, car il la rejette loin de lui « afin que l'intrépide Agave le r
econnût et ne le tuât point » (2).
Dans ces passages, choisis parmi les plus significatifs, le rôle magique
des attributs bacchiques, celui du thyrse en particulier, paraît se con
centrer sur le thème de l'investiture magique de l'initié. Mais, dès le
début de la tragédie, Penthée est prévenu contre ces pouvoirs obscurs ;
son attitude à leur égard est méfiante et hostile. Aussi, pour le châtier,
le dieu le fera Bacchant malgré lui, pour sa perte. Le rite, par lequel
il se soumet l'âme récalcitante, aura pour effet non de le consacrer mais
de l'ensorceler. Tout se passe comme si l'initiation à la vie conférée
par les mystères de Dionysos se muait brusquement, dans le cas de
Penth

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents