Les représentations de la Grèce de 1780 à 1830
101 pages
Français

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Les représentations de la Grèce de 1780 à 1830 , livre ebook

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Description

Les représentations de la Grèce de 1780 à 1830 esquisse la formidable mutation des représentations de la Grèce des Lumières au Romantisme. Les dichotomies Grèce classique/Grèce moderne asservie, Grèce classique/Grèce moderne insurgée puis indépendante se déploient dans un imaginaire qui ne cesse de se déconstruire et de se reconstruire. Et tout ceci dans un contexte géographiquement ambigu, impliquant toujours, de la Révolution française à la monarchie de Juillet, d’inévitables décalages. Il semble donc que, de la Renaissance à Winckelmann et de Winckelmann à nos jours, la Grèce se présente toujours comme espace à redécouvrir, à relire et par là même à reconstruire. De la Renaissance à l’âge classique, les références à la Grèce antique, à son art, à sa philosophie avaient fédéré les élites. Par ses références récurrentes à Athènes, à Sparte et à la Rome républicaine, la Révolution française avait cherché à offrir à une Europe dominée par ses « tyrans » une culture politique commune. La saturation de ces références avait aussi, il est vrai, provoqué un rejet que l’on avait pu croire définitif, du moins dans une France condamnant la Terreur révolutionnaire. Mais il y eut aussi l’insurrection grecque et le développement du philhellénisme. Ce premier mouvement de solidarité européen et même international avec un peuple en lutte pour le respect de ses droits, nous a interpellé.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 avril 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304036732
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jasmina Nikčević
Les représentations de la Grèce de 1780 à 1830
Des modèles esthétiques et politiques classiques à l’exaltation de la Grèce en lutte pour sa liberté
Collection « Réseau Lumières »
Éditions Le Manuscrit Paris


© Éditions Le Manuscrit, 2011
© Illustration de couverture : Ljubiša Delibašić
EAN : 9782304036725 (livre imprimé) EAN : 9782304036732 (livre numérique)


Introduction
En me proposant l’étude des représentations de la Grèce – Grèce entendue dans sa double acception : antique et moderne – j’ai sans doute d’abord répondu à des impulsions personnelles, liées à ma propre histoire et à l’histoire de ma génération. A la proximité personnelle et familiale s’ajoutait la conscience d’une relation paradoxale : par l’histoire – la longue histoire politique, culturelle et religieuse –, la Grèce nous était proche mais l’histoire contemporaine, depuis 1945, avait introduit bien des distances et des séparations.
Mes études de langue et littérature françaises m’avaient conduite à constater, du moins dans les œuvres que je connaissais, la quasi absence de la Grèce moderne avant Chateaubriand (dans un texte dont le titre ne nomme pas la Grèce : L’Itinéraire de Paris à Jérusalem ) et surtout avant Hugo (dans un recueil de poésies dont le titre – Les Orientales – semble dissoudre la Grèce dans l’ensemble plus vaste de l’Orient). Et ce caractère oriental des représentations de la Grèce me frappait également quand je contemplais les célèbres tableaux de Delacroix devenus emblématiques de l’insurrection grecque et de sa répression. L’allégorie même de la Grèce dans le fameux tableau La Grèce sur les ruines de Missolonghi me paraît avoir des traits éminemment orientaux et semble étrangement éloignée de tout l’appareil symbolique de la Grèce antique.
Au fil de mes lectures des œuvres du XVIII e siècle, d’autres paradoxes m’apparurent : des figures de la Grèce émergèrent, diverses, complémentaires ou même contradictoires. Je mesurai le poids des représentations raciniennes par la médiation d’un Voltaire qui pourtant n’hésitait pas, dans l’un des Catéchismes du Dictionnaire philosophique ( le Catéchisme du jardinier ), à esquisser les traits d’un Grec philosophe, indifférent aux avanies de l’oppresseur turc fanatique. Et bien sûr, incontournable, la figure de la Grecque moderne de l’Abbé Prévost apparaissait avec tous ses mystères. Enfin l’œuvre esthétique de Winckelmann invitait à une relecture radicale de la Grèce antique, de son histoire globale indissociablement politique et artistique. Œuvre à tous égards refondatrice : de l’histoire de l’art et de l’archéologie comme nous le savons tous, mais aussi de cet ample et dynamique mouvement européen (il embrasse aussi les jeunes Etats-Unis) qu’est le néoclassicisme qui couvrira les Etats les plus divers de monuments d’inspiration grecque, de sculptures de marbre blanc et de bronze. Œuvre génératrice de nouveaux regards sur la Grèce elle-même et ses colonies (le Sud de l’Italie et la Sicile), de nouveaux voyages en Grèce-même où les inventaires des ruines alterneront avec les constats des ravages « modernes » de la domination ottomane. Il y aura très vite, comme l’atteste le succès du Voyage en Grèce du jeune Anacharsis de l’abbé Barthélémy (1788), une mode grecque qui embrasse le costume comme l’ensemble des arts décoratifs. Mais la Révolution avec l’omniprésence de ses références aux modèles politiques démocratiques grecs (Athènes et Sparte) va conférer à cette mode diffuse une univocité idéologique et politique dont témoignent en premier lieu David et son école. Chateaubriand sera là, dès ses premières œuvres à la fin de la Révolution ( l’Essai sur les révolutions, le Génie du christianisme ) pour dénoncer la saturation de ces références à l’Antiquité politique qui ont autorisé le plus souvent la violence arbitraire. Alors qu’en fait la magie de ces références agit toujours sur Chateaubriand comme en témoignent les Martyrs , l’Itinéraire de Paris à Jérusalem et, bien plus tard, le soutien résolument politique et laïque à la Grèce en lutte pour son indépendance.
Enfin le mouvement philhellène, premier mouvement de solidarité européen et même international avec un peuple en lutte pour le respect de ses droits, nous a interpellé à double titre. Cet espace de solidarité voit se rejoindre des hommes que tout oppose : l’âge, le passé politique, les choix intellectuels, philosophiques, littéraires et artistiques. Les représentations les plus contradictoires s’y côtoient : Grèce classique, et païenne, Grèce moderne, chrétienne ou laïque, en tout cas martyre et héroïque.
C’est donc l’ensemble de cet imaginaire complexe et dynamique – imaginaire « en travail » – que nous tentons d’interroger sans quelque prétention que ce soit à l’exhaustivité.


I. Les représentations de la Grèce au XVIII e siècle : le poids de la médiation romaine, le poids de la médiation racinienne
Dans les années 1780, dans le domaine littéraire, le contact avec la Grèce antique est évidemment un contact médiatisé. Et les médiations sont au moins au nombre de deux : il s’agit d’abord de la Grèce telle que Rome l’a reconstruite, réécrite ; il s’agit ensuite de la Grèce revue par le XVII e siècle et, pour l’essentiel, par Racine.
Pour la première médiation, bien des amalgames et des confusions jouent entre Athènes, Sparte et Rome : les démocraties grecques antiques sont le plus souvent associées à la Rome républicaine et aux épisodes les plus glorieux de son histoire. Cet amalgame ne vaut pas que pour la France. Alfieri, le grand poète dramatique italien – de culture française il est vrai – explique en ces termes son extrême sensibilité aux grands modèles de l’Antiquité – Grecs et Romains confondus :
(…) mais le livre des livres pour moi, celui qui cet hiver me fit véritablement passer des heures ravissantes et fortunées, ce fut Plutarque, les Vies des grands hommes. Quelques unes d’entre elles, Timoléon, César, Brutus, Pélopidas, Caton et d’autres, je les ai lues quatre et cinq fois avec un transport de cris, de pleurs, de fureur, que ceux qui m’auraient entendu d’une chambre voisine m’auraient certainement pris pour un fou.
Au récit des grandes actions de ces grands hommes, souvent je trépignais des pieds tout hors de moi ; et les larmes de douleur, de rage jaillissaient de mes yeux, en songeant que j’étais né en Piémont, dans un Etat et sous un gouvernement où l’on ne pouvait ni faire ni dire de grandes choses et où peut-être on ne pouvait en sentir ni en penser même inutilement. 1
Nous sommes ici dans la même problématique que celle du Rousseau des Confessions, Rousseau qui évoque son admiration précoce et passionnée pour Plutarque. Les ouvrages proprement politiques d’Alfieri, de la Tyrannie et du Prince et des Lettres sont marqués par l’admiration pour une Rome républicaine exigeante qui semble se confondre avec Sparte par son double souci de liberté et de justice, voire d’égalité.
De Turin à Genève, de Genève à Paris, l’amalgame des modèles démocratiques et héroïques gréco-latins semble ainsi avoir joué massivement dans la seconde moitié du XVIII e siècle. Madame Roland, dans ses Mémoires particuliers rédigés dans les prisons de la Terreur à la veille de son exécution, en 1793, évoquera en ce sens sa découverte extasiée, quand elle était enfant, de Plutarque :
Mais Plutarque semblait être la véritable pâture qui me convînt ; je n’oublierai jamais le carême de 1763 (j’avais alors neuf ans) où je l’emportais à l’église en guise de Semaine sainte. C’est de ce moment que datent les impressions et les idées qui me rendaient républicaine sans que je songeasse à le devenir. 2
Même si Madame Roland « prend dans sa prison une véritable passion pour Tacite », 3 c’est encore alors Plutarque qui lui fournit les meilleurs modèles de résistance stoïque. A l’épreuve des violences révolutionnaires, la lecture des Vies parallèles des grands hommes de la Grèce et de Rome , se réoriente donc. Et intervient dé

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