LA CRUE
88 pages
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Description

Ça s’est passé au matin du 29 décembre 1977. Ce n’est pas une chose que l’on oublie. La mémoire ne laisse aucun répit. L’hiver crachait des bourrasques de neige aux fenêtres de l’hôpital quand ce matin-là j’ai accouché d’un bébé que l’on a déclaré mort-né. Un bébé dont je n’ai su que plus tard le sexe, dont je n’ai jamais vu le visage, un tout petit bébé que l’on a pris à moi ce jour-là, que l’on a enlevé de moi.
Toi.
Trente-trois ans après avoir accouché d’une petite fille déclarée morte à la naissance, une femme reçoit un coup de téléphone par lequel le passé ressurgit tout à coup. Ses certitudes sont ébranlées et elle entreprend une enquête, marchant sur le fil ténu entre raison et imagination pour découvrir la vérité : et si on lui avait menti et que son bébé n’était pas mort?
Il y aurait dans ses yeux une étincelle, quelque chose que je déchiffrerais. Là je saurais, je verrais, seulement dans ce frémissement de la pupille, cette parcelle de mouvement, ce clignement de l’oeil. Je verrais qu’il sait quelque chose. Que tout n’est pas dans ma tête. Une porte s’ouvrirait sur ce secret qu’on m’a caché toutes ces années.
Ça me happe tout à coup. Je suis là à me retenir à ce qui n’existe pas. Les mains tendues, enracinées dans ce quelque chose qui me fuit de toutes ses illusions, me nargue et me frappe au visage. Je suis là à m’enfoncer à corps perdu dans ce nom qui fait s’affoler mes pensées. Je m’agrippe encore et encore, et ces eaux m’entraînent, me noient dans leur trouble.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782764435717
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

De la même auteure
Lieux provisoires , poésie, Éditions David, 2014.
Avant l’oubli , poésie, Éditions David, 2011.


Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice

Conception originale de la grille graphique : acapelladesign.com
Conception graphique : Anouk Noël et Claudia Mc Arthur
Mise en pages : Pige communication
Révision linguistique : Sylvie Martin
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Bessette, Ariane, auteur
La crue / Ariane Bessette.
(Littérature d’Amérique)
ISBN 978-2-7644-3569-4 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3570-0 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3571-7 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8603.E774C78 2018 C843’.6 C2017-942526-9 PS9603.E774C78 2018

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2018

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2018.
quebec-amerique.com




À Lucie et à sa Frédérique


Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il soit advenu.
Marguerite Duras


Ça s’est passé au matin du 29 décembre 1977.
Ce n’est pas une chose que l’on oublie. La mémoire ne laisse aucun répit.
L’hiver crachait des bourrasques de neige aux fenêtres de l’hôpital quand ce matin-là j’ai accouché d’un bébé que l’on a déclaré mort-né. Un bébé dont je n’ai su que plus tard le sexe, dont je n’ai jamais vu le visage, un tout petit bébé que l’on a pris à moi ce jour-là, que l’on a enlevé de moi.
Toi.
Trente-trois ans de silence et il y a des jours que je remonte le cours de ce moment où sans la moindre annonce tu as fait irruption dans mon monde. Depuis ton retour, je repasse tous les mots que tu as dits, tous les miens ensuite, des réponses affolées et automatiques. De nuit comme de jour, je tente de retourner en arrière, il y a trente-trois ans, comme si cette fois le plongeon allait me révéler une pièce du casse-tête.
Cette journée-là, je m’installe à mon bureau comme d’habitude, au travail. J’ajuste la lampe d’appoint, je place ma tasse de café près de l’ordinateur. Je sors les dossiers à compléter durant les prochaines heures. La journée commence toujours de la même manière. Je te dis ces détails anodins pour que tu voies la normalité des choses. Je n’ai rien cherché, je n’ai fait qu’attendre. Attendre que quelque chose arrive.
La sonnerie du téléphone et je décroche. C’est là, Frédérique, que j’entends ta voix pour la première fois. Tu souhaites donner tes renseignements personnels pour le voyage au Mexique que tu feras dans le temps des fêtes, dans quelques semaines. C’est à moi que tu dois donner ces informations. C’est mon travail à l’agence.
Cet intervalle entre l’avant et l’après, l’effacement puis le recommencement. Tant d’années sans toi et tout à coup cette violente et douce intrusion de ta voix en réponse à la mienne. Au départ je l’entends dans toute son étrangeté. Avant le nom, avant tout le reste, ce n’est qu’une voix, comme j’en rencontre tant chaque jour. Puis elle est là, dorénavant en moi, en mes os, en ma chair, comme si ta voix était le cri que tu n’as jamais poussé.
Tu dis ton nom de manière mécanique, « Frédérique Gonthier ». La date de naissance ? « Le 29 décembre 1977. » Tu te présentes à moi dans l’innocence de ta vie à l’écart de moi. Ces informations que je note comme une automate à ton dossier. Je ne réfléchis pas tout de suite à ce hasard des choses, à cette petite fille née le même jour que toi. Les questions viendront après. Elles partiront dans tous les sens et les directions possibles. À ce moment je découvre ta voix et cette circonstance bizarre. Je me surprends à te demander où tu es née. Tu réponds :
— À l’hôpital, ici, à Saint-Jean.
Mes doigts cessent de pianoter sur le clavier.
Je ne sais pas comment ça s’est terminé. Je ne sais pas comment j’ai coupé la conversation, ces chemins tracés dans notre histoire qui sont là à défier toute logique. La crainte que j’ai de moi dans ce bouleversement de mon corps et de ma tête, dans ses élans qui échappent à ma maîtrise. Il n’y a plus que cet intervalle : moi qui ignore ta présence dans mon monde, te crois morte depuis des décennies, ma solitude qui s’est éployée des années durant pour se creuser tout à fait une place en moi, et toi, ta voix, la preuve que tu es vivante.
Je sors du bureau. À gauche, des voitures descendent le boulevard du Séminaire à toute allure. Je marche jusqu’au bord de la rivière près de la bande du canal. Le vent bat mes tempes. Devant moi, l’eau s’agite dans les remous déjà à moitié figés par le givre. Mes mains sont glacées. Ce sont des choses que je décris comme à l’extérieur de moi : je marche, je sens, je vois. Je ne fais que penser à ce bébé du même sexe que toi, au moment de ta venue au monde, au lieu de celle-ci. Combien de bébés du même sexe naissent-ils dans le même hôpital, la même journée ? Un ? Deux ? Est-ce possible ? Les années n’atténuent pas cet enchaînement de questions et de probabilités. Mon souffle s’accroche péniblement le long de la gorge.
Tu es née, tu es morte, le 29 décembre 1977. Le médecin t’a prise, il a pris ton corps et t’a emmenée. Tu ne respirais pas. Tu n’as jamais crié ni bougé. Tu es née le 29 décembre 1977 à l’hôpital de Saint-Jean. Tu es vivante. Tu aimes les voyages. Ta voix est grave et douce. Tu vis près d’ici. Tu es morte le 29 décembre 1977, dans la chambre 302 de l’hôpital.
De ton corps, hier comme aujourd’hui, il n’y a aucune image.
Je regarde devant moi l’eau qui remonte au gré du canal et s’apprête à se fondre dans la rivière Richelieu. Je regarde la scène de deux histoires incompréhensibles. La première, ta mort. La seconde, ta naissance.
Je rentre à la maison ce soir-là et personne ne m’y attend. Je ne peux faire autrement que de penser à ça en boucle tandis que je gare la voiture dans l’allée et me dirige vers la porte d’entrée. Je la pousse, j’ouvre la lumière du salon et il n’y a que le silence. Rapidement je règle le poste de radio et une voix remplit la pièce. Les rideaux frôlent la fenêtre. Personne d’autre que moi pour les ouvrir. Parfois, les heures se déroulent entières dans une noirceur muette, à l’écart de la vie dehors.
Des années que ce silence m’encercle, qu’il loge ici avec moi, me suit comme un chien de poche. Même quand je ne suis pas à la maison, il se faufile à travers mes pas. Il se mêle aux conversations que j’ai avec des collègues. Il n’est pas différent des mots que l’on échange, des conversations qui vont et viennent entre nous. Des bavardages banals et inutiles, si ce n’est pour le briser, ce silence, le maintenir à l’écart.
Peut-être es-tu là avant chaque mot. Avant toute phrase.
Je rentre à la maison et personne ne m’y attend. Je prépare le souper et mange assise devant le téléviseur. Les yeux sur l’écran. Les oreilles suspendues aux voix des autres, des personnages, des visages connus.
Autour de la maison, ce sont des bungalows de briques des années 1970 aux toits plats, entourés de haies de cèdres bien entretenues. Au bout de la rue, un parc où les enfants se retrouvent une fois leur faim assouvie. Ils courent entre les modules, le manteau complètement ouvert sur la poitrine malgré le froid qui s’installe, les joues rouges, poussant de petits cris lorsqu’ils se croisent sur le terrain de jeux.
Chaque soir quand je pars marcher cela m’entoure. Des familles s’affairent au projet d’un premier jardin, à l’assemblage d’une cabane dans les arbres, des petites ma

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