La Femme-homme
81 pages
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La Femme-homme , livre ebook

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Description

«Et ils vont tous revenir autour du lit : Jean, ton fils, et Alfred, ton mari amérindien, et mon père, le pianiste de blues, avec sa veste de cuir brune d'aviateur, et ils seront silencieux. Ils seront les témoins de tes cris. Après avoir entendu tes cris, Alfred va me dire que je peux te garder, parce que tu n'as plus besoin de lui, je suis ton homme, celui qui te fait crier de joie. Et John, mon père, va me dire que je n'ai plus besoin de lui.»
Il vit un amour fou. Le premier. Aimer la femme-homme, c’est apprendre la vie et se tenir au bord du gouffre, c’est voyager au pays de la beauté fulgurante et du danger. Quarante ans plus tard, l’homme vieillissant se souvient de tout. Il raconte cette histoire qui l’a marqué au fer rouge.
Un roman surprenant, un tableau émouvant d’un amour tout entier nourri par le passé, par ce désir des protagonistes de croiser le visage disparu ou jamais incarné du mari, du fils, du père. Avec cette histoire brève et incisive, Simone Piuze nous confronte à la réalité toute nue des êtres, une fois dégonflé le rêve autour duquel on a pu auréoler l’être aimé.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 mars 2013
Nombre de lectures 12
EAN13 9782895973645
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La femme-homme
DE LA MÊME AUTEURE

Les cercles concentriques , roman, Montréal, Pierre Tisseyre, 1977. Paru aussi sous le titre L’empailleuse de chats , Paris, Belfond, 1978.
La vie intime des Québécois , essai, Montréal, Stanké, 1978.
Réussir sa jeunesse , essai, Montréal, Stanké, 1986.
Les noces de Sarah , roman, Montréal, L’Hexagone, 1988.
Simone Piuze
La femme-homme
Roman
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Piuze, Simone, 1946-
La femme-homme / Simone Piuze.
(Voix narratives et oniriques)
ISBN-13 : 978-2-89597-056-9
ISBN-10 : 2-89597-056-4
I. Titre. II. Collection.
PS8581.I88F45 2006 C843’.54 C2006-900765-9
ISBN ePub : 978-2-89597-364-5

Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario, la Ville d’Ottawa et le gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.

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Tous droits réservés.
Dépôt légal (Québec et Ottawa), 1 er trimestre 2006
À Suzanne et à Marie-Ève
Nous transformons les choses, leur présence n’est pas réelle, sitôt reconnues, elles deviennent le reflet de notre être.
Rainer Maria Rilke
Qui cherche la vérité doit être prêt à l’inattendu, car elle est difficile à trouver et, quand on la rencontre, déconcertante.
Héraclite
PROLOGUE


Elle venait de nulle part. Arrivée en taxi un matin de janvier, elle s’était installée à Rawdon, dans une maison abandonnée aux abords d’un maigre bois d’épinettes. Personne ne la connaissait vraiment. Certains disaient qu’elle parlait plusieurs langues, d’autres qu’elle était forte comme Samson, d’autres encore qu’elle était un peu sorcière. Une chose était sûre cependant : elle conversait avec les oiseaux. Je dis bien « conversait », car ils lui répondaient toujours. Cela, je l’avais remarqué maintes fois, alors que je venais, à bicyclette, l’espionner dans son quotidien le plus intime. J’aimais la femme-homme. Parce qu’elle me rendait heureux lorsque je l’observais.
C’est moi qui lui avais donné ce nom, la femme-homme. Et personne, autre que moi, ne l’appelait ainsi. Elle tenait à la fois de l’homme et de la femme. Très grande, costaude mais pas grosse sous son éternel manteau de lainage bleu marine, la chevelure épaisse et noire comme jais, coupée très court, en balai, elle avait les yeux tout aussi noirs, brillants et profonds, une bouche aux lèvres minces mais bien dessinées, des dents d’un blanc de neige et quelques poils au menton. La première fois que je vis ces poils, j’en fus à la fois surpris et amusé. Ainsi, on pouvait être femme et avoir de la barbe !
La démarche de la femme-homme était régulière, assurée, athlétique. Elle ne bougeait pas le bassin, comme font souvent les femmes en marchant. Elle avançait tout d’un bloc, comme les hommes. Elle regardait droit devant elle, ne saluant personne. Était-elle malheureuse ? Je ne le croyais pas. On eut plutôt dit qu’elle était « au neutre », c’est-à-dire ni heureuse, ni malheureuse. Elle était. Oui, c’est ça : elle était. Comme les arbres. Comme tout ce qui vit. Elle marchait beaucoup. Tous les jours. Il m’arrivait de la suivre à bicyclette après l’école, juste pour savoir où elle allait. Elle n’allait nulle part, je crois, car elle ne s’arrêtait jamais. Elle longeait la rue Queen, mains dans les poches, puis retournait chez elle, à la lisière du bois d’épinettes. Si on était en été, elle arrachait quelques légumes de son potager, puis rentrait dans sa cabane. Elle devait bien avoir acheté des graines pour avoir ainsi un potager, direz-vous. Probablement, mais jamais je ne l’avais vue entrer dans un magasin du village.
La femme-homme me mystifiait. Je rêvais d’elle fréquemment et, lorsque je m’éveillais, je racontais mon rêve à mon jeune frère qui s’intéressait aussi à cette femme, mais d’une tout autre manière. Lui aimait dessiner la femme-homme afin, disait-il, de publier, un jour, une bande dessinée dont elle serait l’héroïne. Cependant je n’aimais pas la femme-homme dessinée par William. Je trouvais qu’elle ne ressemblait pas du tout à la vraie femme-homme, celle qui marchait tous les jours sans nous regarder, attentive à elle-même, comme j’aurais tellement aimé l’être à moi-même. Je l’avais dit à William. Mais il n’avait que faire de mon jugement. Il avait répondu que la femme-homme qu’il dessinait était celle qu’il parvenait à reproduire, non pas celle que lui et moi voyions. Et c’était comme cela qu’il l’aimait. Il ne tenait pas à ce que le dessin ressemblât à l’original. Plus jamais je n’avais osé critiquer la représentation dessinée de la femme-homme. Moi, je me contentais de la regarder. Et cela me comblait de joie.
Je me souviens de ma toute première rencontre avec elle. Je veux dire de son regard sur moi. Quarante ans ont passé, mais il y est encore, gravé à jamais.

Ce qui importe, c’est la vérité. Je vous la dirai. J’irai jusqu’au bout.
1


Tout a commencé ce jour-là, dans le soleil du mois de mai. J’ai quinze ans. Nous revenons de l’école, mon frère et moi. Sur la rue Morgan, nous croisons la femme-homme. Elle pleure et ses joues sont mouillées de larmes. Dans la lumière éclatante, ces larmes ressemblent à des diamants. Je le fais remarquer à William. Il dit qu’elle doit se sentir seule. Nous la suivons jusqu’au cimetière. C’est là qu’elle va aujourd’hui. Elle entrouvre la grande porte en fer forgé, la referme et marche d’un pas régulier vers une pierre tombale grise, comme toutes les autres, mais sur laquelle un cœur rouge a été peint. Aucun nom n’y est inscrit. Rien que ce cœur. Elle s’agenouille dans l’herbe fraîche, joint les mains et ferme les yeux. Elle est complètement immobile. Une statue. Je fais part de mon observation à William qui hoche gravement la tête. Soudain, je tousse. La statue ouvre les yeux et se tourne vers nous. Son regard transperce le mien pour la première fois.
Accoudé à ma bicyclette, je ne sais rien faire d’autre que lui sourire. À ma grande surprise, elle me rend mon sourire. Un sourire si enveloppant que j’en suis bouleversé. Ce sourire contient toutes les émotions humaines. Cela me fait monter les larmes aux yeux. William me dit tout bas : « On s’en va ! »
J’enfourche ma bicyclette. Je quitte le sourire de la femme-homme. Nous roulons un bon moment en silence. Puis je dis simplement : « Elle m’a souri.
— Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? » rétorque William d’une voix rauque.
Ce soir-là, William m’avoue avant de s’endormir qu’il aurait aimé recevoir, lui aussi, le sourire de la femme-homme. Je lui dis que ce cadeau lui sera sans doute accordé un jour. J’ajoute que nous n’aurions pas dû nous enfuir du cimetière. Cela a démontré que nous ne sommes que des peureux.


Une semaine plus tard, je célèbre mon seizième anniversaire de naissance. William m’offre un dessin au fusain. Il s’agit de deux garçons accoudés à leur bicyclette. L’un sourit et l’autre pas. Feignant l’ignorance, je demande à mon frère qui sont ces deux gars qu’il a dessinés. « Toi et moi, voyons ! Ça se voit pas ? répond-il, surpris.
— Pourquoi tu t’es dessiné avec une face de singe triste ?
— Parce que j’étais triste que la femme-homme ne m’ait pas regardé l’autre jour, au cimetière.
— Ouais, c’est vrai, mon frère. Elle t’a pas regardé.
— Toi, elle t’a regardé. Elle doit te trouver beau. »
Beau. Mon frère l’a dit. Tout simplement. Et je ne sais que me taire, dans une sorte d’hébétude heureuse. Ainsi, la femme-homme a marqué sa préférence et je suis l’élu. Ce soir-là, je m’endors un peu plus tard que d’habitude parce que mon cœur bat trop vite.
Au réveil, mon frère, qui dort dans le même lit, me demande à brûle-pourpoint si je le trouve beau. Je ne sais que répondre. Je n’ai, en fait, jamais réfléchi à la question. Beau… Est-ce que William est beau ? Il me ressemble comme deux gout

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