Renaissances , livre ebook

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Renaissances
H.V. Gavriel
Roman de 526 500 caractères
Quatre hommes tentent, chacun à leur manière, d'oublier leurs traumatismes pour se construire un avenir plus serein.
Leurs chemins se croisent. Ils se rencontrent, se lient plus ou moins volontairement, ils s’aiment, se blessent, s’effondrent, se relèvent.
Et ce passé qui revient les torturer.
Gabriel cache sa trop grande sensibilité sous des dehors de petite terreur. Il vit dans la rue, fait la manche, vend parfois son corps contre une nuit au chaud, un repas ou quelques billets.
Hugo le ramasse un soir dans la rue et l'héberge. Pourquoi ce grand gaillard, autrefois policier renommé tient-il aujourd’hui un petit bistro de quartier ?
Mischa, fils d’une famille riche, est un jeune avocat d’une rare beauté. Ce prince charmeur attire dans son sillage amis, amants et amoureux, mais ne s'implique jamais.
Jamie, l'irlandais, l’ami du frère de Mischa, pourrait bien faire fondre son cœur de glace. Il a vécu quelques années plus tôt avec lui une passion aussi éphémère que douloureuse.
Chacun saura-t-il tirer son jeu des imbroglios de la vie ?
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Publié par

Date de parution

08 mai 2015

Nombre de lectures

1

EAN13

9791029400643

Langue

Français

Renaissances
 
 
Roman gay
 
 
H.V. Gavriel
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Chapitre 1
 
 
Hugo débarrasse rapidement les assiettes sales de la table du fond et les rapporte à la cuisine tandis que Marco, le cuisinier, qui a éteint les feux, entame la plonge. Le service du soir est terminé. Vingt couverts, c'est plutôt bien, vu la taille du troquet et le temps maussade et pluvieux de ces derniers jours qui n'incite guère mettre le nez dehors. Il est content d'avoir mis en place un service de restauration ou remis en place plus exactement. Quand il a acheté le bar, trois ans auparavant, celui-ci n'était plus que l'ombre chancelante de ce qu'il avait été autrefois… un peu comme lui. C'est peut-être ce qui l'avait décidé, en fin de compte.
Il avait de bons souvenirs de cet endroit. Quand il était jeune, très jeune, son père l'y avait emmené dîner deux ou trois fois, entre hommes. Il y retrouvait souvent ses collègues. À l'époque, c'était un petit bistrot typiquement parisien, un peu vieillot, au charme suranné : des photos jaunies sur les murs jaune citron, un demi-rideau de dentelle aux fenêtres, des banquettes en Skaï. On y mangeait bien, une cuisine familiale. L’air était rempli du bruit des couverts en métal, des conversations animées des hommes en uniforme qui en avaient fait leur cantine. La patronne, telle une caricature tout droit sortie d'un épisode du Commissaire Maigret , trônait derrière sa caisse enregistreuse au bout du magnifique comptoir en acajou et zinc.
C'est presque par hasard qu'il en avait franchi le seuil, alors qu'il marchait depuis des heures aux hasards des rues, cherchant à se perdre sans y parvenir tout à fait. Fatigué de son errance, il voulait faire une pause et ses pieds s'étaient dirigés presque malgré lui dans la petite rue quasiment déserte. Vers la porte en bois écaillée dont seul un examen attentif pouvait encore révéler le rouge d'origine. Les lettres peintes sur la vitrine étaient désormais tellement délavées que l'on ne pouvait plus les déchiffrer, mais la vieille enseigne lumineuse, « Le petit bout », était toujours là, clignotant de manière irrégulière, avec des soubresauts inquiétants. Avec le cœur un peu serré, il avait poussé la porte et la petite cloche avait sonné, du même son argentin dont il avait gardé le souvenir. Précieux, si précieux, comme tout ce qui se rapportait à son père, à sa vie d'avant, à une époque tellement révolue qu'il avait parfois l'impression que cela n'avait été qu'un rêve. Un rêve heureux induit par les drogues et les médicaments dont on l'avait nourri pendant de si longs mois.
Le comptoir était toujours là, terni par la crasse, le manque d'entretien. La poussière tapissait les bouteilles sur les étagères, le beau carrelage en ciment coloré avait été recouvert d'un linoléum usé jusqu'à la trame, quelques tables et chaises bancales et dépareillées peinaient à garnir la salle, qui n'était pourtant pas si grande. Les lieux suintaient la tristesse, la lassitude et l'abandon, à l'image du patron, un vieux débris rassis, dont les mains tremblaient tant qu'il eût du mal à lui remplir un verre de pastis. Hugo s'était hissé souplement sur le tabouret haut un peu branlant et tandis qu'il buvait à petites gorgées, sans hâte, la boisson anisée, il lui semblait entendre les échos des rires et des conversations animées d'autrefois. Ces lieux désormais tristes et sans âme lui semblaient comme un miroir de sa vie. C'est là que lui était venue l'idée, un peu folle, de reprendre ce bar. Il n'avait plus de travail, mais il avait un peu d'argent de côté, plus l'assurance vie de Juliette et l'argent versé par le fonds d'indemnisation. Il avait laissé Quentin s'occuper de tout ça, il avait à peine jeté un regard sur le chèque obtenu après un an de procédure. Tout le monde lui avait dit qu'il avait eu de la chance, que cela avait été anormalement rapide, en principe cela aurait du prendre des années, mais qu'est-ce qu'il en avait à foutre de tout ça ? Le temps, il en avait plein devant lui, vide, désert, empli de silence et quelques zéros sur un chèque ne pouvaient réparer, effacer…
Mais cet argent lui avait permis d'acheter « Le petit bout » et d'essayer de le remettre sur pied, d'en refaire un troquet sympathique, convivial. Un endroit pour prendre son café du matin en lisant son journal, déjeuner seul ou avec des collègues le midi, prendre le chocolat à la sortie des écoles, dîner en famille ou en amoureux, confortablement et sans chichi. Venir boire un verre le soir quand on était seul, pour oublier un temps le silence, côtoyer d'autres êtres humains, juste pour se sentir exister. Rendre la vie à ce bistrot, cela avait occupé la sienne. Il avait un but, de nouveau. Plus d'illusions, non ni de rêves ni d'idéaux stupides. Juste un but, quelque chose pour le tirer du lit le matin et l'animer dans la journée. La nuit, c'était autre chose… mais avoir un but, c'était déjà bien.
Il avait donc acheté le fonds de commerce et les murs avec au vieux débris pour un très bon prix. Le vieux voulait prendre sa retraite depuis des années. Évidemment, tout était à refaire ou presque : l'installation électrique, la plomberie, la cuisine, les peintures. Il avait largement mis la main à la pâte pour les travaux, avec le double avantage de lui faire économiser de l'argent et dépenser de l'énergie et du temps. Pendant quelques semaines, perclus de douleurs à force de charrier des tonnes de gravats, d'enduire, de plâtrer, de carreler, de jointer, de peindre, il avait pu s'endormir à peine la tête posée sur l'oreiller, sans somnifère ni bouteille de JB. Il avait rendu au vieux comptoir son lustre d'autrefois, récupéré le magnifique sol en carreaux-ciments avec ses arabesques rouge, noir, ocre et bleu sur fond crème, posé des lambris à mi-hauteur contre un des murs, couleur acajou comme le bar, qui tranchait joliment sur la couleur crème des murs lisses. Tables acajou, banquettes en cuir noir, chaises bistrot crème, quelques vieilles photographies noir et blanc du Paris d'autrefois, soigneusement encadrées. Maintenant les rangements et placards sont ultra modernes, en inox, tout comme la cuisine et de même les luminaires et la patère d'entrée très contemporains. L'ancien et le moderne se marient à merveille, l'endroit est gai et propre, tout en ayant le charme d'autrefois, un peu comme un vieux club. D'ailleurs dans la mezzanine qui surplombe toute la cuisine et une partie de la salle, juste assez haute pour tenir debout, Hugo a installé un vieux canapé Chesterfield, de profonds fauteuils clubs, une table basse avec des magazines et un billard. Cela s'est avéré une bonne idée, ses hôtes peuvent s'attarder à prendre leur apéritif en faisant une partie, tandis que le service se déroule en salle.
Il fait tout lui-même et n'a embauché qu'un cuistot. Pas les moyens de prendre un extra au début et maintenant l'habitude est prise. Ça ne lui déplaît pas de travailler beaucoup, le coup de feu du service de midi ou du soir lui vide la tête, le laissant épuisé, les jambes raides, le dos en compote, mais l'esprit serein. Ce n'est pas le cas tous les jours, bien sûr, parfois la clientèle se fait rare, mais dans l'ensemble, les affaires marchent plutôt bien. Il a ses habitués, des gens du quartier, ceux qui travaillent à proximité. Quelques anciens collègues aussi, il ne sait pas trop quoi en penser et préfère ne pas y penser du tout.
 
Finissant de nettoyer la table, il se dit qu'il va pouvoir fermer tôt ce soir, il est 21h00 et ses quelques clients du soir sont rentrés chez eux. Il se dirige vers la cuisine, prend les deux assiettes de cannellonis que lui tend Marco et va les poser à table, sortant les couverts pour eux deux et une bouteille de rouge. En rapportant les verres, il jette un œil par la grande vitre qui donne sur la rue. La porte-cochère un peu plus loin est vide. Cela fait cinq jours maintenant. Il fronce les sourcils. Cela commence à l'inquiéter, cet emplacement vide. Il se sent un peu idiot, d'ailleurs, a-t-on idée de se faire du souci pour un SDF ? Il est libre, il fait ce qu'il veut et il va zoner où il veut. Mais il est si jeune. Il l'a bien vu, malgré les épaisseurs de vêtements, le bonnet descendu bas sur les sourcils, l'écharpe qui dissimule à moitié le visage. La peau claire et lisse, les yeux bleus, si bleus, que viennent masquer des paupières fines ombrées de longs cils bruns, le nez droit, des traits fins. Presque l'air d'un lutin sous le gros bonnet de laine rouge, mais jamais les lutins n'ont les yeux aussi tristes ni ce petit sourire en coin, ironique. Il ne sait pas comment il s'appelle, il ne sait rien de lui. Seulement qu'il s'est installé un jour dans le mince abri de la porte à quelques mètres de l'entrée de son bar, il y a plusieurs semaines. Il ne sait pas s'il y dort, il est déjà là à son arrivée, encore là à son départ, mais il n'a jamais vu de trace d'un campement, d'un duvet ou de quoi que ce soit. Juste un vieux sac gibecière en toile entre ses jambes.
Un matin qu'il faisait particulièrement glacial, à cause d'un vent aigrelet qui s'infiltrait partout, le gosse avait poussé la porte du Petit Bout. Timidement, prêt à se faire jeter. Hugo avait à peine glissé un œil vers lui, vu le nez rougi, les yeux plissés de froid, larmoyants à cause de la bise, les mains, fines, trop fines, presque bleues. Et il avait seulement dit :
— Qu'est ce que je te sers ?
— Un chocolat chaud, s'il vous plaît.
La voix était jeune, un peu voilée. Il a fouillé ses poches, remontant de la monnaie et soigneusement aligné les pièces sur le comptoir :
— Il y a assez ?
— Même un peu trop. À ce prix là, tu peux prendre un croissant ou une tartine si tu préfères.
— Ah ? Alors, je veux bien une tartine. Avec de la confiture.
Hugo lui a servi son chocolat, un grand, au prix du moyen et a préparé la tartine. Là encore, il a augmenté sans rien dire la dose, une demi-baguette entière, au lieu d'un tiers, il a étalé généreusement le beurre frais et la confiture de fraise et pou

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