LAGUIO, pleureuse professionnelle
218 pages
Français

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LAGUIO, pleureuse professionnelle , livre ebook

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Description

...Après cette onction au cérémonial immuable, Laguio semblait pousser des ailes et s’envoler tant elle paraissait légère. Courant et dansant sur ses orteils, elle allait d’un côté à l’autre à la manière d’un paon en pleine parade nuptiale. Les tam-tams crépitaient et tout son corps vibrait. Les mouvements de sa tête faisaient danser ses tresses qui lui fouettaient le visage et le cou. Elle entonnait un chant que les pleureuses repre- naient en chœur, en la suivant dans ses mouvements. Elle faisait danser son monde sur le même rythme ca- dencé et frénétique...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2022
Nombre de lectures 8
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LAGUIO pleureuse professionnelle
Couverture & illustrations :ARE / SILUÉ Ismaël Kassem Maquette & mise en page :ARE / KOUASSI Kouassi Marc Suivi éditorial :TIDOU D. Christian/OZÉ G. Roger
er © Africa Reflets Éditions, 1 trimestre 2016 ISBN : 978-2-34997-021-7
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.
GBAKA G. Marc
LAGUIO pleureuse professionnelle
Africa Reflets Éditions 01 BP 3648 Abidjan 01 E-mail : contact@are-ci.com
Avant-propos
Chez les Bété, comme chez les peuples qui leur sont culturellement voisins dans le centre-ouest de la Côte D’Ivoire (Dida, Gouro et Gban aussi appelés Gagou), la filiation est patrilinéaire. La famille correspond à une réalité qui va au-delà des liens de sang. Les membres d’un même clan totémique ou d’un même village sont considérés comme des frères et sœurs. Bien que chaque individu appartienne à sa famille paternelle, il accorde une grande importance à sa parenté maternelle et à ceux de la terre d’origine de sa mère, de sorte qu’il est au centre de relations à la fois patrilinéaires et matrilinéaires. Il ne peut contracter de mariage qu’en sortant de ce double cadre parental, car la consanguinité et l’inceste sont rigoureusement proscrits. Quand une femme quitte les siens pour fonder un foyer dans une autre contrée, son mariage ne rompt pas ses liens avec son village d’origine. C’est pourquoi la mort d’un membre de sa famille la ramène toujours chez elle. Dans ces circonstances de deuil, les femmes ainsi mariées loin de leur village d’origine reviennent pour faire office de pleureuses. Le groupe qu’elles forment est alors dirigé par la pleureuse en chef. À la fois poétesse et artiste traditionnelle, elle assure l’animation du chœur des lamentations. Elle n’est ni désignée, ni particulièrement initiée. Seul son talent la révèle et l’impose aux autres. Ce fut le cas de Laguio, talentueuse pleureuse dont le cas reste unique. En effet, Laguio animait les
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funérailles de personnes qu’elle ne connaissait pas, dans des contrées avec lesquelles elle n’avait aucun lien. Son histoire fait l’objet de plusieurs récits dont les diverses versions s’accordent sur ses qualités d’artiste et de femme presque avant-gardiste. Ce récit n’est que l’une d’elles. Laguio, pleureuse professionnelle est donc un roman et non de l’histoire. Le réalisme culturel qui meuble ces pages ne doit, en aucune façon, faire ou-blier qu’il s’agit d’une fiction. Les personnages, les faits, les situations et les événements, qui ac-compagnent Laguio dans cette aventure, sont donc une création de l’auteur.
Bhété : généralement l’on a l’habitude d’orthographier ce vocable de la façon suivante : « Bété » ; cela ne correspond guère à la prononciation réelle du mot. Il importe de faire la différence entre les sons « bh » et « b ». Le nouvel alphabet bhété dont se servent les exégètes pour traduire la Bible dans cette langue me paraît désormais le mieux indiqué. Encore que dans l’écriture phonétique, il n’y a pas d’accent sur le « e ». Je suis de ceux qui militent activement pour la suppression de l’ancienne orthographe.
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omme on pleure les morts
L e décor sortait de l’ordinaire ; habituellement, 1 en guise de lit mortuaire, un tara ou une simple natte tressée avec des lattes de bambou de raphia, et posée à même le sol suffisait. Mais au lieu de cela, il y avait plutôt un grand lit sculpté dans du bois massif et orné de figurines. Des draps venus d’ailleurs remplaçaient les tissus des tisserands locaux. On avait loué des porteurs pour emmener et positionner le lit qui, paré avec un soin particulier, se dressait fièrement sous un apatam de branchages de palme. Autour, des chasse-mouches à la main, six vieilles femmes devisaient tranquillement. Ce luxe était le don d’un homme généreux qui marquait ainsi sa reconnaissance envers Laguio. Il se murmurait que le donateur anonyme était l’un de ces grands mes-sieurs qui avaient certainement voyagé aux quatre coins du monde, car aucun des ornements n’existait dans la région. 1- Fauteuil de bambou.
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Depuis deux jours, Zadiékou accueillait des gens venant de toutes les régions où Laguio avait tissé des amitiés. Certains venaient des villages voisins, lorsque d’autres arrivaient de très loin. La coutume gban voulait qu’une femme qui meurt soit inhumée dans son village d’origine. Or nombre de légendes couraient sur l’appartenance ethnique de Laguio. Pendant longtemps, elle avait été présentée comme étant de partout. On la disait Bété, on la disait Gouro, on la disait Dida, on la disait même Gban... L’on ne pouvait dénombrer les villages d’origine qui lui étaient attribués. Polyglotte, elle s'exprimait avec une égale aisance dans chacune des langues qu’on lui prêtait. Laguio était une femme exceptionnellement belle. Moyenne de corpulence, comme le sont la plupart des Gban, son teint de soleil couchant captait tous les regards. Son visage ovale était illuminé de grands yeux marron protégés par de longs cils épais. Au-dessus, se dessinaient deux lignes de sourcils aux poils fins qui mettaient davantage en valeur l’expres-sivité de son regard. Ses dents d’une rare blancheur éclairaient son visage toujours souriant et affable. Son corps svelte ne laissait nullement présager son arrière-train bien dodu sur des jambes d’athlète. On l’appelait affectueusement Laguio Bhoyéré, c’est-à-dire Laguio aux jambes façonnées. Elle avait contracté près d’une dizaine de mariages qu’elle avait concré-tisés par une progéniture nombreuse. Très féconde, elle était la mère de quinze enfants qui étaient bhété, gouro, gban, et dida de pères. Tous étaient vivants.
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Telle est l’image laissée par Laguio dans la mémoire collective.
La nouvelle du décès de Laguio était parvenue assez rapidement à Zadiékou. La tristesse était grande. Tout le monde dans le village en était affecté. De jeunes guerriers furent envoyés dans le village de son dernier époux, à la lisière de la grande forêt, vers le sud-ouest, avec pour mission de ramener la dépouille. Les neveux de la défunte furent requis pour creuser la tombe. Par neveux, il faut entendre tous ceux dont les mères étaient de Zadiékou. En situation de deuil, il revient à ceux-ci d’assumer la fonction de croque-morts dans leur village maternel. En retour, ils bénéficient de plusieurs privilèges dont ils doivent user avec sagesse.
Le corps de Laguio devait arriver. Tout était fin prêt pour l’accueillir, selon le cérémonial réservé aux disparus illustres. Depuis près d’une heure, les filles et les femmes martelaient le sol de leurs pas cadencés. Pas un cri, aucun chant, seule la cadence régulière et rythmée des pas qui battaient le sol. Douleur muette ! Elles allaient, ces femmes, puis revenaient et faisaient le tour du lit mortuaire toujours vide. Les cheveux ébouriffés et des morceaux de pagne ceignant négligemment leur corps, elles étaient livides, les pleureuses de Zadiékou.
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Ceux qui savaient que Laguio était originaire de Zadiékou étaient accourus. En regardant la prestation artistique des femmes, l’on ressentait l’absence de Laguio, car de son vivant, elle était l’âme du chœur des pleureuses. Elle donnait vie à tout rituel funéraire. Ultime fête en l’honneur des personnes disparues, les funérailles donnent certes lieu à des pleurs, mais on y chante et on y danse pour honorer le défunt. De même, on partage un dernier repas avec lui. Cette dimension festive du deuil signifie que le séjour des morts est un monde meilleur que celui des vivants. Cette façon joyeuse de célébrer les funérailles prépare l’âme du défunt aux fastes du monde des ancêtres.
Les Anciens affichaient une mine plutôt grave. Ils sortaient des concessions par petits groupes et conver-geaient vers l’apatam de branchages en conversant. Leurs épouses, les yeux rougis par la fumée, prépa-raient le repas funéraire depuis le lever du jour. Selon les prescriptions ancestrales, la femme doit être enterrée le troisième jour après sa mort dans son vil-lage d’origine et l’homme le quatrième jour, si l’em-baumement était réussi. Or, embaumer un corps sans vie est un art dont ceux de Zadiékou se tar-guaient de posséder le secret. Que valait l’embau-mement de là-bas ? Ils ne le savaient pas. Il y avait maintenant deux jours que Laguio était décédée et que les envoyés auraient dû déjà être de retour. Heureu-sement, le soleil était encore bien haut dans le ciel. Réussirait-on cependant à faire respecter les lois ?
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