Le Rossignol t empeche de dormir
210 pages
Français

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Le Rossignol t'empeche de dormir , livre ebook

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Description

« Heighton est un formidable romancier. », The Guardian
Dans l’espoir de renouer avec son père, Elias Trifannis s’enrôle pour l’Afghanistan. Évacué à Chypre, il a une brève idylle avec une journaliste turque qui se termine tragiquement, et il se réfugie à Varosha, zone interdite après la guerre ayant opposé Chypriotes grecs et turcs. Il y découvre un univers insoupçonné. Des paysages insolites et un monde peuplé d’êtres meurtris mais débordants d’humanité et de tendresse.
Extrait
Le son s’évanouit sans produire d’écho. Il est difficile de croire au monde extérieur, ou aux
croyances des autres, à leur foi, à leur sentiment d’appartenance à une communauté, une famille, un régiment, un village, un mouvement, un peuple. Un drapeau. Une entreprise. Que de la merde, tout ça. Tu n’appartiens qu’à toi-même. Tu te débrouilles seul. Tu t’effaces. Tu t’éteins.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 septembre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782897125486
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Steven Heighton
LE ROSSIGNOL T’EMPÊCHE DE DORMIR
Traduit de l’anglais par Caroline Lavoie
Roman
MÉMOIRE D’ENCRIER
Mémoire d’encrier reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada, du Conseil des Arts du Canada et du Gouvernement du Québec par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, Gestion Sodec.
Mémoire d’encrier reconnaît également l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme national de traduction pour l’édition du livre, initiative de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018 : éducation, immigration, communautés, pour ses activités de traduction.
Mémoire d’encrier est diffusée et distribuée par : Diffusion Gallimard : Canada DG Diffusion : Europe Communication Plus : Haïti
Dépôt légal : 3 e trimestre 2018 © 2018 Éditions Mémoire d’encrier inc. pour l’édition française © Copyright 2017, The Nightingale Won’t Let You Sleep, Steven Heighton Maps Copyright © 2017 Steven Heighton Pages 19-31, « An Occurrence on the Beach at Varosha » first appeared in The Walrus , January/February 2017. Published by arrangement with Penguin Canada, a division of Penguin Random House Canada Limited. Tous droits réservés
ISBN 978-2-89712-547-9 (Papier) ISBN 978-2-89712-549-3 (PDF) ISBN 978-2-89712-548-6 (ePub) PS8565.E451N5414 2018 C813’.54 C2018-941645-9 PS9565.E451N5414 2018
Mise en page : Guylaine Michel pour Claude Bergeron Couverture : Étienne Bienvenu
MÉMOIRE D’ENCRIER
1260, rue Bélanger, bur. 201, • Montréal • Québec • H2S 1H9 Tél. : 514 989 1491 info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com
Fabrication du ePub : Stéphane Cormier
Le titre « Le rossignol t’empêche de dormir » est tiré de la célèbre Ode à Hélène écrite par Georges Séféris, poète grec polyglotte et francophile, Prix Nobel de littérature en 1963.
Ce livre est dédié à Skeleton Park, à celles et ceux qui y vivent. Je leur exprime ma reconnaissance pour l’inspiration.
Quitter son enfance, c’est apprendre à désobéir. Ce n’est pourtant pas l’âge adulte. L’âge adulte, c’est apprendre à obéir de nouveau, mais seulement à quelque chose de mieux.
Roland Krüger, The Polaris : One Version of a Journey (manuscrit inachevé, vers 1884)

En juillet 1974, la République de Chypre, fragile fédération à majorité grecque et minorité turque, se désintègre après un coup d’État commandité par la CIA afin de provoquer l’ enosis , cette union de Chypre à la Grèce. La violence qui s’ensuit fournit à la Turquie le prétexte pour envahir Chypre en vue de protéger les Chypriotes turcs. À la fin de cet été-là, les Nations unies mettent en place un cessez-le-feu et une zone démilitarisée. On procède ensuite à des échanges de populations, les Chypriotes turcs s’installent dans le tiers septentrional de l’île, qui deviendra vite un État fantoche reconnu de la seule Turquie, tandis que les Chypriotes grecs se rassemblent au sud.
Des deux côtés de la Ligne verte, des maisons, des commerces et de petits villages sont désertés. Sur la côte orientale de Chypre, toute une ville est abandonnée, l’armée turque ayant repoussé la ligne initiale de cessez-le-feu vers le sud pour s’emparer de la meilleure plage de l’île, longue de sept kilomètres, et de sa florissante station balnéaire, Varosha, dont les vingt mille habitants ont fui les premières bombes turques.
Plus de quarante ans plus tard, toujours encerclée, la ville est une enclave de ruines envahies par les lierres, les bougainvillées, les palmiers et les acacias rabougris, des ruines grouillantes de lièvres, de rats, de serpents et de perdrix. On dit qu’un ancien concessionnaire y expose toujours ses Fiat 1974. Les troupes turques continuent de patrouiller dans ce périmètre en pleine décrépitude et entrent parfois dans la zone d’accès restreint. À l’occasion, une unité de l’ONU s’y aventure elle aussi.
Ni les Nations unies ni les autorités turques n’ajoutent foi aux rumeurs selon lesquelles une petite communauté de réfugiés, fugitifs, déserteurs, parias et autres marginaux survivrait quelque part au cœur de ces ruines.

I La zone interdite
Avoir un voisin, c’est avoir Dieu.
Proverbe chypriote
paphos, chypre, 26 octobre
— Votre dernière période de sommeil remonte à quand, exactement?, demanda le médecin.
Elias tentait de s’en souvenir, les yeux vers le plafond. Les lames du ventilateur tournaient mollement, au ralenti, comme si une nouvelle coupure de courant était imminente.
— Vous avez sûrement dormi un tout petit peu, depuis notre dernière rencontre?
— C’était hier, pas vrai?
— Hier matin.
— Okay.
— Il y a une trentaine d’heures, précisa le médecin.
— Je me suis bien endormi une ou deux fois, pendant quelques minutes. J’ai résisté au sommeil.
— Donc, aussitôt endormi, aussitôt réveillé? Ce rêve, vous l’avez refait?
— Oui.
— Vous n’avez pas envie de me le décrire encore une fois? Ou l’incident, comme vous préférez.
— C’est presque la même chose. Pas vraiment un rêve. Plutôt la vidéo d’une atrocité.
— Comme je vous l’ai dit, c’est normal dans votre état... pour le diagnostic que nous avons posé.
— Non, je n’en ai pas envie.
— De quoi donc?
— De vous décrire mon rêve encore une fois.
Des gouttes de sueur brillaient sur le cuir chevelu du médecin, sous sa mèche blonde. D’épaisses lunettes grossissaient ses yeux éteints qui clignaient sans arrêt au-dessus de ses cernes roses.
— Vous résistez au sommeil, je comprends bien, mais une... méthode comme celle-là ne peut qu’empirer les choses.
— J’ai toujours très peu dormi.
— Les hommes comme vous s’en vantent souvent, c’est vrai.
— Vous vous moquez de vos patients, maintenant?
— Vous avez vraiment l’air épuisé, répliqua le médecin sans réagir à la question. Un peu moins qu’hier, pourtant. Excusez-moi...
— À vrai dire, je ne me sens pas si mal que ça. Je préfère être éveillé plutôt que de revivre toute la scène dans mon sommeil. L’insomnie est une satanée bénédiction, en comparaison.
— Je ne parlerais pas d’insomnie, puisque vous vous privez volontairement de sommeil.
— Que voulez-vous dire par « les hommes comme vous »?
— Pourquoi cette question?
— Parce que je n’en ai aucune idée.
— Les grands gaillards, robustes. Métamorphiques. Ou plutôt mésomorphiques.
Par-dessus l’épaule du médecin, Elias Trifannis observait la plage de galets blancs et les eaux calmes de la Méditerranée qui formaient une mosaïque dans la lumière du soleil. Dans cette ancienne résidence étudiante de la côte ouest de Chypre, l’armée traitait son personnel en congé pour cause de stress infligé par la guerre. La veille, Elias s’adonnait en silence à une nouvelle ronde de tractions sur le plancher de ciment froid dans sa chambre, espérant ainsi repousser le sommeil, quand le patient d’à côté s’était mis à crier à tue-tête. Le gars venait de lui offrir quelques heures de plus d’une vigilance pleine d’adrénaline.
— C’est drôle comme les gens pensent comprendre votre âme en regardant votre corps, remarqua Elias.
Nouveau clignement d’yeux sous ses lunettes grossissantes.
— Ah, mais oui, vous avez raison, reprit le médecin dans un filet de voix précipitée. On ne devrait jamais présumer d’une corrélation entre, entre... comment dire?
Elias ne put réprimer un bâillement formidable, un bâillement pathologique, qui convulsa son corps tout entier.
— Désolé, docteur Boudreau. Je prends vraiment plaisir à discuter avec vous.
— Peut-être arriverez-vous à mieux dormir pendant ce week-end? Je vous le souhaite. Vous allez rendre visite à votre famille de l’autre côté de l’île, c’est ça?
— À des parents éloignés, oui.
— Vous vous débrouillez, en grec?
— Etsi ki etsi . Permettez-moi de remarquer que vous avez l’air épuisé, vous aussi.
— Oui.
Le clignement incessant des yeux du médecin lui donnait l’air de vouloir communiquer sur le mode binaire, comme s’il ne pouvait se résoudre à prononcer des paroles.
— Il n’y a pas que la vague de chaleur. On s’habitue à travailler avec... avec des traumatisés, et pourtant... j’ai de plus en plus de mal... Mais qu’est-ce que je raconte? Il ne faut pas dire ces choses-là!
Le ventilateur donnait encore l’illusion de ralentir sans jamais s’arrêter.
— De toute façon, caporal-chef, je vous souhaite un bon week-end.
— Ne m’appelez pas comme ça, okay?
— Et ne parlez surtout pas de ce qui s’est passé à Kandahar.
— Je me demande comment je pourrais aborder le sujet.
— Souvenez-vous que ce n’est pas votre faute! Ce n’est la faute de personne!
Les yeux du médecin cessèrent de ciller pour se fermer une seconde... et se rouvrir aussitôt.
— Tout cela n’était...
— ... qu’un accident. Oui, je sais.
— Et n’oubliez pas de prendre vos médicaments.
— Ça, jamais. J’aime beaucoup mes médicaments.
Un peu étourdi, Elias voit double, mais s’efforce de fixer son regard devant lui. De l’autre côté de la fenêtre, au loin, il croit discerner sur la grève une silhouette bronzée en maillot de bain qui s’avance dans la mer. Il a l’impression que c’est celle du médecin.
un incident sur la plage, à varosha
Les derniers feux du crépuscule se sont estompés dans le ciel derrière le chapelet d’hôtels désertés le long de la plage. Certains font quinze étages, ils sont si serrés les uns contre les autres qu’avec leurs façades noircies, ils semblent ne former qu’une silhouette irrégulière, semblable aux ruines d’une immense digue, d’une ancienne fortification côtière. On aperçoit à peine la grille rouillée surmontée de barbelés qui sépare la plage des hôtels et de la ville fantôme.
Vu son état, Elias est incapable d’imaginer l’optimisme et l’essor entrepreneurial qu’il a fallu pour programmer cette riviera, la construire à toute vitesse, puis l’exploiter. Comment les gens continuent-ils donc à faire ce genre de choses : ériger des villes, mener des guerres, planter et couper des forêts, lancer des mouvements internationaux, pratiquer le culturisme ou devenir violoniste de concert. Elias se contente de s’émerveiller d’une telle énergie, comme la victime d’un bombardement effondrée sur le bord de la rue,

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