Le Territoire dans les veines
117 pages
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Description

À travers le rapport au territoire qu’elles convoquent, les œuvres littéraires des Premiers Peuples nous invitent à repenser les fondements des sociétés américaines, québécoise dans notre cas, à partir de la perspective autochtone. Dans cet essai, Jean-François Létourneau définit une poétique du territoire inspirée par le travail d’écrivains autochtones. Ces derniers actualisent dans leurs textes des sensibilités qui s’enracinent dans l’histoire millénaire de l’Amérique. Ils convoquent une vision du monde en phase avec l’histoire et la culture de leur nation tout en renvoyant les lecteurs aux non-dits qui grèvent les sociétés américaines, notamment dans leur façon de concevoir le territoire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 septembre 2017
Nombre de lectures 11
EAN13 9782897124960
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jean-François Létourneau
le territoire dans les veines
MÉMOIRE D’ENCRIER
Mémoire d’encrier reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada, du Conseil des Arts du Canada et du Gouvernement du Québec par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, Gestion Sodec.
Dépôt légal : 3 e trimestre 2017 © 2017 Éditions Mémoire d’encrier inc. Tous droits réservés
ISBN 978-2-89712-495-3 (Papier) ISBN 978-2-89712-497-7 (PDF) ISBN 978-2-89712-496-0 (ePub) PS8089.5.I6L47 2017 C840.9'897 C2017-941474-7 PS9089.5.I6L47 2017
Direction littéraire : Jonathan Lamy Mise en page : Virginie Turcotte Couverture : Étienne Bienvenu
MÉMOIRE D’ENCRIER
1260, rue Bélanger, bur. 201, • Montréal • Québec • H2S 1H9 Tél. : 514 989 1491 info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com
Fabrication du ePub : Stéphane Cormier
Nous aurons des corbeilles pleines
de roses noires pour tuer la haine
des territoires coulés dans nos veines
et des amours qui valent la peine
Richard Desjardins
préambule

J’ai entamé ma carrière d’enseignant au Nunavik, à l’école Jaanimmarik de Kuujjuaq, sur les berges de la rivière Koksoak. Responsable d’une classe de deuxième secondaire, j’enseignais à une douzaine de jeunes Inuits les règles de base du français et des mathématiques, je les initiais aux sciences physiques et j’étudiais avec eux l’histoire du Nord. Cette partie du programme était ma préférée. Le matériel préparé par la Commission scolaire Kativik portait sur la préhistoire de l’Amérique, sur les différentes phases de peuplement du continent, sur le développement de la civilisation inuite.
Il y a plus de 10 000 ans, des hommes et des femmes venus d’Asie par la Béringie ont essaimé à la grandeur des Amériques en suivant la fonte des glaciers. C’étaient les ancêtres de ceux que l’on a appelés les Sauvages, les Indiens, les Amérindiens, les Autochtones, termes qui masquent aujourd’hui toute la diversité et la richesse culturelle des centaines de peuples que l’on a regroupés sous ces désignations. Puis, des milliers d’années plus tard, les pré-Dorsétiens, les Dorsétiens, les Thuléens se sont succédé dans le nord du continent et en s’adaptant au froid et à la glace, ils sont devenus les Inuits.
Jusqu’à mon arrivée à Kuujjuaq, le parcours des Premiers Peuples 1 d’Amérique m’était demeuré inconnu, à part quelques généralités étudiées ici et là dans différents cours d’histoire du Québec et du Canada. Je venais pourtant de compléter un baccalauréat en enseignement du français et de l’histoire au secondaire. J’aurais pu donner un cours de 60 heures sur l’Antiquité gréco-romaine sans même consulter mes notes, mais personne ne m’avait jamais parlé de l’histoire du continent sur lequel je suis né.
Je me souviens très bien du bonheur que j’éprouvais quand, le soir, je plongeais dans des ouvrages sur l’histoire du peuple inuit empruntés à la bibliothèque de l’école. Je préparais mes cours et je buvais du thé du Labrador en écoutant les albums de Richard Desjardins : « Akinisi, viens ici, dans mes bras! » Avec le passage des années, je prends acte du ridicule de la situation. J’incarnais, à ma façon, le cliché du jeune enseignant débarqué dans le Nord en quête d’aventures et d’exotisme. Mais qui étais-je pour enseigner à mes élèves l’histoire des leurs, moi qui avais de la difficulté à prononcer correctement leur nom de famille? Quel système représentais-je lorsque chaque matin – de septembre à juin, de la nuit arctique au soleil de minuit – je me tenais debout devant la classe avec le maigre savoir glané sur les bancs de l’université, le peu d’expérience en enseignement, la méconnaissance totale de la vie des adolescents à qui je devais maintenant enseigner?
Mon initiation à ce que l’on pourrait appeler la « réalité inuite », si celle-ci n’était pas aussi diversifiée selon les villages où l’on se trouve, je l’ai vécue à ce moment-là, en constatant mon ignorance, dont l’immensité du ciel nordique me renvoyait l’écho amplifié. J’ai partagé des centaines et des centaines de longs, de très longs jours d’école avec des jeunes de 14-15 ans qui se passionnaient pour le rap d’Eminem, pour la rivalité Toronto-Montréal le samedi soir, pour la chasse aux lagopèdes.
Ma vision empreinte d’exotisme à l’égard des cultures des Premiers Peuples en général, et de celle des Inuits en particulier, s’est estompée dès mes premières semaines au Nunavik. Il a fallu d’une jeune fille me rappelant que c’était SA communauté et SON école, d’une bière au bar du village avec le grand-père d’un de mes élèves ou encore d’une partie de hockey à l’aréna pour avoir le début d’une explication sur la vie dans le Nord.
Le quotidien nordique m’a fait connaître les Inuits tels qu’ils sont aujourd’hui. J’ai compris qu’ils ne formaient pas un bloc monolithique, réduit à une histoire et à quelques usages traditionnels. Comme n’importe quelle collectivité, la société inuite est traversée par une multitude de croyances et de courants de pensée. Reposant sur des rapports de forces complexes, les communautés du Nunavik désirent relever, avec les valeurs qui sont les leurs depuis des millénaires ainsi que celles adoptées depuis la modernité, les multiples défis socio-économiques auxquels elles sont confrontées.
La rencontre avec les habitants de Kuujjuaq m’a fait passer d’une conception fantasmée de la société inuite à la réalité : ce peuple est en constante évolution et si les jeunes désirent demeurer en contact avec les pratiques traditionnelles, ils aspirent aussi à se définir sans que personne ne vienne les enfermer dans des trames identitaires figées. À partir de ce contact avec la culture inuite telle qu’elle se vit au xxi e siècle, j’ai commencé à réfléchir au rôle joué par les stéréotypes, tant positifs que négatifs, dans les relations qui s’établissent entre les nations québécoise et autochtones.
À mon retour du Nord, j’ai vécu un spleen qui s’est étiré pendant tout un hiver. Dans un petit appartement de la rue London à Sherbrooke, je rêvais au froid et à la toundra. Pour tromper mon ennui, je me suis plongé dans les littératures autochtones, c’est-à-dire le corpus littéraire écrit des Inuits et des Premières Nations. Par les livres, j’avais l’impression de garder vivant le lien avec le Nord, avec mes élèves auxquels je pense encore si souvent, même si aujourd’hui ils doivent avoir l’âge que j’avais quand je leur ai enseigné.
Au fil de mes lectures, j’ai délaissé peu à peu les textes inuits qui sont surtout en inuktitut ou en anglais et j’ai découvert des poètes atikamekws, innus, wendats, anishnabes, qui écrivent en français. Des auteurs comme Rita Mestokosho d’Ekuanitshit ou Jean Sioui de Wendake m’ont tranquillement rapatrié dans le Sud, tout en préservant la mémoire de mon expérience à Kuujjuaq.
Mon séjour au Nunavik ainsi que ma découverte des voix littéraires autochtones m’ont amené quelques années plus tard à enseigner à l’Institution Kiuna, un établissement d’études collégiales situé à Odanak et destiné aux jeunes des Premiers Peuples. Odanak a été fondé près de l’endroit où la rivière Saint-François se jette dans le lac Saint-Pierre. Avant d’enseigner à Kiuna, jamais je n’avais descendu la rivière si loin, elle qui a pourtant irrigué mon enfance sherbrookoise, pas plus que je ne connaissais les communautés abénaquises, l’importance de leur rôle dans l’histoire de ma région natale ainsi que l’influence qu’elles ont eue sur la présence française en Amérique.
À Kiuna, en plus de développer la séquence des cours de français au collégial à partir du corpus littéraire des Premiers Peuples, j’ai eu le bonheur d’élaborer en compagnie des étudiants une approche du texte basée sur le dialogue interculturel. En tant qu’enseignant, mon apport aux cours reposait en grande partie sur un champ de connaissances liées aux sciences humaines et aux théories littéraires, le tout agrémenté de lectures personnelles et d’expériences de vie significatives. Du côté des étudiants, le travail consistait à compléter mes observations initiales en faisant intervenir leur interprétation des textes, teintée par leur vécu, par la tradition orale de leur peuple, par les pratiques culturelles de leur communauté, par leur conception du territoire qu’ils nomment tout simplement « chez eux ».
Il ne s’agissait pas que des connaissances de l’enseignant, livrées sous forme de cours magistraux ni uniquement de l’analy

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