Neuf et une façons d en finir
46 pages
Français

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Neuf et une façons d'en finir , livre ebook

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Description

Yacine, retraité mineur déraciné, vit loin de son pays natal, en Lorraine, au côté de son épouse Fatima. Le couple ne se supporte plus et Yacine imagine diverses manières de se débarrasser de cette mégère. Neuf morts violentes avant la dixième, qui surprendra le lecteur et le vieux sur son lit d'hôpital.
Emmanuelle de Rosa et Babilas Gahzal nous délivrent avec humour et délectation le parfait manuel pour éliminer son conjoint. Les illustrations de Lefred-Thouron ainsi que deux nouvelles bonus viennent compléter cette nécessaire vanité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 novembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782366511475
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Titre
Emmanuelle de Rosa Babilas Gahzal Illustrations de Lefred-Thouron
Neuf et une façons d’en finir
Nouvelles



Titre
 
 
 
 
 
 
 
 
J’aime bien les histoires qui finissent mal. Ce sont les plus belles car ce sont celles qui ressemblent le plus à la vie.
Pierre DESPROGES


Préface
Porca miseria ! Si ça me parle, ces histoires d’immigrés qui ont quitté leur pays de cocagne à la défaveur d’une crise économique pour gagner l’Eldorado lorrain ! Mes arrière-grands-pères sont venus de Slovénie ou d’Émilie-Romagne pour aller gratter les galeries de minerai comme de vulgaires taupes. Les puits de mine, les laminoirs, les gueulards crachant des flammes d’enfer et des bonnes grosses poussières mortifères, les cités ouvrières pour tout décor de Far-West. Et cette injonction d’être heureux : « On est bien, là, hein ? Oh oui hein, faudrait tout de même pas s’avouer qu’on a fait la connerie de notre vie pour se payer une cuisine intégrée. » 
Papa marteau-pique et maman coud. Ils ont fait des gosses afin qu’ils puissent aussi en profiter, les petits gâtés. Y a pas de raison de se farcir ce cauchemar tout seuls ! Le bonheur ne vaut que s’il est partagé, disent les cucul la praline. Et quand bien même le bonheur pue-t-il des pieds !
Quand les chiards sont partis, ont quitté le cocon familial pour aller profiter pleinement des plans massifs de licenciements, il nous reste la téloche et la prise de tronche pour se tenir chaud. Il faut cimenter le couple, pour mieux le faire couler au fond de la Moselle, la Sarre, la Fensch…
La vieillesse est un naufrage, surtout dans le Nord-Est. Mais naufrager à deux c’est toujours plus rigolo. On se met du piment sur la tartine de merde, on réinvente son ennui en duo, on suicide l’autre, comme aurait dit Althusser. C’est là que ça devient poilant. De mille façons, faire fermer définitivement sa grande gueule à la vieille vache devient une volupté de fin gourmet. Ô amies féministes, ne vous formalisez pas ! Quand maman balance une salve de chevrotine dans la tronche à papa, ça nous plaît aussi, à nous, les joyeux drilles. Dieu merci ! Alhamdulillah ! Ça marche dans les deux sens, le safari domestique !
Yan Lindingre




Les fleurs de Yacine
Yacine trottine, son bouquet de fleurs calé au creux du bras. Le tapis de goudron défile sous ses pieds, mais pas assez vite. Il n’en finit plus, ce trottoir ! Il va être en retard. Elle aime pas ça, Fatima, elle va râler, c’est sûr.
Les fleurs, il en a eu l’idée en sortant de la mosquée. Même qu’il s’est surpris à rire en imaginant la tête qu’elle ferait. Des fleurs ? Jamais il lui en a offert. Quand il travaillait encore, là-bas à l’usine, il pensait pas à ça. Réveil, boulot, retour maison. Et Fatima qui gueule mais qui, finalement, s’accorde bien du salaire qui rentre.
À mesure qu’il avance, sa tête fait marche arrière. Elle était pas comme ça, au bled ! En tout cas, il s’en souvient pas. Un visage frais sous le foulard, un sourire ravageur. Ça c’est sûr qu’il était terrible, ton sourire, Fatima ! Le mariage, mémorable. Toute la famille, les deux familles. À manger pour une semaine. Elle, intimidée par la solennité de l’instant. Tellement jolie, même si elle semblait gênée par sa robe et ses ribambelles de bijoux dorés qui s’entrechoquaient à chacun de ses mouvements.
C’est quoi qui t’a changé, Fatima ? La grisaille de ce foutu pays ? C’est vrai qu’elle est triste, cette France, ça, faut reconnaître. Du moins ce coin de France, perdu en haut à droite, juste avant l’Allemagne. Et puis l’usine qui crache son poison au-dessus de nos fenêtres. Combien de milliers de fois tu les as lavés, les rideaux, gris, toujours gris quand même. Et puis ça pue tout le temps, même qu’on n’y fait plus attention. T’as bien raison, Fatima, ici, c’est moche et on s’est bien fait avoir, comme tu dis. Comme tu le répètes tous les jours, cent fois par jour, depuis… Depuis combien d’années, déjà ? Quarante ans que le bled n’est plus qu’une carte postale jaunie, graisseuse et gondolée, punaisée dans la cuisine. Quarante ans qu’on est étrangers ici, qu’on n’est plus vraiment de là-bas non plus.
N’empêche, Fatima, t’es devenue mauvaise. Ton sourire, tu l’as enterré au bled et même pour les vacances, y a plus d’exhumation possible. Les gosses et moi, qu’est-ce qu’on en a entendu ! Pourquoi que t’es devenue le même poison que celui de l’usine ? Une seule saloperie, ça suffisait bien.
Yacine, en trottinant, il se dit tout ça. Et puis il serre les fleurs dans le creux de son bras. Ça c’est sûr qu’elle va en faire, une de ces têtes !
Ça y est, il est devant la porte. Comme un con, il ose pas entrer. On dirait qu’il vient lui demander sa main. Il pose la sienne sur la poignée, qu’il abaisse doucement, et se glisse dans le vestibule sans un bruit.
« C’est toi, Yacine ? Non mais qu’est-ce t’as foutu ? Ça fait une heure que j’t’attends. Tu crois quoi, que j’ai que ça à faire ? » Ça recommence. Il murmure, adapte le mouvement de ses lèvres aux beuglements qui jaillissent de la cuisine et qu’il connaît par cœur. « Et la bouffe, et le ménage, ‘tention aux tapis… »
Allez Yacine, faut se montrer, maintenant. Le vieux se tient à peine voûté dans l’encadrement de la porte. Les dix doigts refermés sur les tiges qui le blessent un peu, dans son dos. « Tiens, c’est pour toi ! » « Mais qu’est-ce que c’est que cette connerie ? T’es devenu fou. C’est pas possible de jeter l’argent par les fenêtres comme ça ! Qu’est-ce tu fous avec ces fleurs ? » « C’est pour toi », il répète, Yacine, en commençant à trembler.
Fatima, ça la rend folle. Il a toujours été faible, son mari. Même les pas Français ils ont toujours profité de lui. Et elle, elle a toujours trouvé ça insupportable. Une humiliation en plein dans sa face à elle, toute sa chienne de vie. Il est faible et puis il est con. Ça l’énerve, alors elle gueule pour le secouer, provoquer un semblant de réaction. Mais Yacine, il dit rien, jamais. Et ça l’énerve encore plus, alors elle gueule encore plus. Mais qu’est-ce qu’il fout planté là avec son bouquet débile pendu au bout du bras ? Elle a envie de le prendre et de lui fouetter la trogne avec.
« C’est pour toi », il répète, Yacine, un peu plus fort. Il relève son bras pour tendre les fleurs. La main gauche est restée dans le dos juste quelques secondes de plus. Les fleurs, le couteau. D’abord les fleurs, après le couteau. « C’est pour toi », il crie, Yacine, en plantant la lame. « Pour toi, pour toi ! » L’acier s’enfonce, ressort. Il plonge encore, lacère la djellaba qui se teinte de rouge. Fatima a la bouche ouverte mais n’émet plus aucun son. Elle ne crie plus, toute à sa surprise. « Mais qu’est-ce qu’il fout, ce con ? ». À peine le temps de se le demander, elle s’effondre. Son corps lourd s’affale éventré sur le carrelage qu’elle venait de nettoyer.
Yacine lâche le couteau, jette les fleurs. Le bouquet tombe sur la poitrine béante. Une rivière s’en écoule doucement. Il sourit, Yacine. « De ma vie, je t’avais jamais offert de fleurs, alors pour ton enterrement… »




Yacine se fait un plateau télé
Plus que tout, Yacine détestait se donner en spectacle. Il avait préféré une vie discrète, sans vagues. Son histoire s’inscrivait sur une pente où glissait sans mal un quotidien dénué d’éclat. La vie de Yacine, exempte de tout reproche, était loin de l’extravagance des milieux chics et superficiels, il avait toujours observé le curieux spectacle de l’excès avec une totale incompréhension mêlée d’un réel dépit. Qu’est-ce qui pouvait pousser l’âme humaine à se dévoyer de manière aussi absurde ? Quelle perversion incitait ces gens à vouloir se montrer à tout prix, à se rendre à ce point ridicules et à abandonner tout sens de l’amour-propre ? Yacine œuvrait dans un schéma personnel d’une indéniable simplicité. L’exemplarité de sa vie d’ouvrier et de chef de famille avait nuancé le foyer d’une teinte plutôt rassurante. Le père renvoie cet apaisant réconfort, il l’acquiert avec le temps sans qu’il n’y puisse rien, sa peau se tanne, le cuir s’épaissit, les failles se comblent et la consistance d’une vie se grave dans une callosité presque tranquillisante. Yacine avait passé son existence à rendre celle de sa famille meilleure. Il aurait préféré crever plutôt que d’endurer le déshonneur de voir les siens affamés ou à la merci du manque.
Fatima, quant à elle, épousait les lois du giron familial dictées par l’autorité maritale de façon quasi congénitale. À la différence qu’elle se serait bien accommodée, elle, d’un peu plus d’éclat ou davantage d’exotisme, histoire de s’enivrer, même un tout petit peu, d’apprécier ne serait-ce que l’expression de quelques frissons, fussent-ils prohibés. Tenir une maison, élever des enfants, est un travail à plein temps, un sacerdoce, et faire de son mieux n’est sans doute jamais assez. La dévotion est un moindre mal pour une mère au foyer. Du coin de l’œil, Fatima rêvait. Il y avait quelque chose d’éblouissant dans les magazines, les journaux, la télé. Le sublime, la gloire, enthousiasmaient Fatima. Elle aussi voulait avoir sa part de mieux, il n’y a pas de raison, toutes celles qui apparaissent dans ces émissions populaires, après tout, ne semblent ni plus intelligentes ni moins belles, ou encore moins sottes. Le temps passant, cette curieuse envie d’être à son tour sous les feux des projecteurs devant la France à table devenait de moins en moins éloignée d’une possible réalité. Elle en avait bien touché deux mots à Yacine au détour d’une conversation tiède lorsque attablés, ils se refilaient sans connivence des slogans à l’emporte-pièce.
La petite télé plantée sur le buffet envoyait chaque midi les images de ces couples en perdition, donnant en pâture aux Français l’intimité de leur quotidien. Les questions posées par l’animateur étaient des ressorts sur lesquels la misère humaine rebondi

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