Le Revers d une médaille
57 pages
Français

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Le Revers d'une médaille , livre ebook

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Description

Camille Berru.Un matin, dans la petite chambre, habitée par Victor Hugo, un homme entra. Il pouvait avoir trente-quatre ans. Il avait le regard sincère, le front haut, le rire éclatant, la moustache frisée et de longs cheveux tombants sous un feutre à larges bords qui lui donnait l’air d’un portrait de Van Dyck.C’était un proscrit menacé d’expulsion. Il venait demander à Victor Hugo d’intercéder en sa faveur auprès du gouvernement belge.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

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EAN13 9782346067206
Langue Français

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Camille Berru
Le Revers d'une médaille
LES Hommes de l’Exil par CHARLES HUGO
Camille Berru.
I
Un matin, dans la petite chambre, habitée par Victor Hugo, un homme entra. Il pouvait avoir trente-quatre ans. Il avait le regard sincère, le front haut, le rire éclatant, la moustache frisée et de longs cheveux tombants sous un feutre à larges bords qui lui donnait l’air d’un portrait de Van Dyck.
C’était un proscrit menacé d’expulsion. Il venait demander à Victor Hugo d’intercéder en sa faveur auprès du gouvernement belge. Il s’appelait Camille Berru.
Il avait été rédacteur de l’ Evènement dans sa dernière année d’héroïque existence et jusqu’au jour même de sa suppression, c’est-à-dire jusqu’au 2 décembre, pendant que les quatre fondateurs de ce journal, Paul Meurice, Auguste Vacquerie, Charles Hugo, François Hugo, étaient à la Conciergerie avec deux autres de leurs collaborateurs et donnaient cet exemple, unique dans l’histoire de la presse, d’un journal qui a tous ses rédacteurs à la fois, six sur six, en prison  1 .
Camille Berru n’avait pas eu le temps de les y suivre ; mais il n’avait rien perdu pour attendre, et, s’il n’eut pas la prison, il eut la proscription.
Il était à Bruxelles depuis un mois à peine et il était déjà sous le coup de l’expulsion, ce ricochet de l’exil pour les inconnus  2 .
Victor Hugo savait ce que valait ce brave jeune homme. Le gouvernement belge avait dans ce temps-là pour Victor Hugo un certain respect, un peu parce qu’il était Victor Hugo, et beaucoup parce qu’il était officier de l’ordre de Léopold. Victor Hugo intercéda pour Berru et obtint qu’on le laissât tranquille à Bruxelles.
Rester à Bruxelles, c’était un grand point. Il ne s’agissait plus que d’y vivre.
Berru y arriva, mais comment !
1 Depuis, nous avons vu se produire le même cas à différentes reprises, notamment et en dernier lieu durant la deuxième période électorale en Allemagne où le journal Bergische Volkstimme a vu arrêter et enfermer tous ses rédacteurs au nombre de 10, jusque et compris son rédacteur en chef, le célèbre agitateur socialiste Wilhem Hasselmann. Ce qui n’a du reste point empêché ce dernier d’être nommé député à une forte majorité par la population ouvrière et essentiellement socialiste de Barmen Elberfed.
2 Le Droit d’asile, le plus sacré de tous les droits, ne l’a jamais été, on le voit, pour la bourgeoisie belge. Dans un pays ou l’hypocrisie des classes gouvernantes est poussé au suprême degré, nous assistons journellement à dé drôles de spectacles. A en croire nos bons bourgeois, il n’existe point dans le monde de Constitution plus libre et plus parfaite que la nôtre. Et pourtant, en voyons-nous de pauvres proscrits politiques, expulsés de ce libre territoire ! Ceux de la Commune de 1871 se comptent par milliers. Autrefois on se contentait d’expulser seulement les savants elles hommes illustres qui firent à la terre belge l’honneur de la choisir pour refuge. Tels furent les Hugo, les Charras, pour ne citer que les principaux Aujourd’hui le progrès aidant, on expulse aussi les obscurs, faisant ainsi, sans doute, acte de démocratie. Il est vrai que nous avons acquis depuis peu d’années une institution nouvelle, qui se perfectionne tous les jours encore (le progrès n’a pas de limite), et qui s’appelle une Administration de la sûreté publique ! C’est superbe, s’il faut en croire un Ministre libéral lui-même, déclarant il y a quelque temps (voir le compte-rendu analytique de la Chambre des représentants du 12 décembre 1878), qu’un administrateur de la sûreté publique est très utile, dans un pays constitutionnel et que, quant à des faits évidents de mauvaise administration dudit administrateur, il était encore à les apprendre !  — Remarquons, toutefois, que jusqu’à maintenant, on n’a expulsé du territoire que des étrangers, le tour des Belges arrivera peut-être un jour. Ne jurons de rien.
II
Condamné à la transportation à Cayenne par la commission militaire de la Seine, il était parti de Paris avec quelques centaines de francs ramassés à la hâte. Une fois à Bruxelles, il eut beau régler sa dépense avec cette économie farouche qui rationne jusqu’au pain, il fut bientôt à bout de ressources. La faim, qui guettait à sa porte, entra chez lui, dans l’obscur taudis qu’il habitait rue du Canal-de-Louvain.
Il avait avec lui sa femme. Il accepta la misère pour lui, non pour elle. Il consentit à ne pas manger, mais il ne voulut pas qu’il y eût près de lui, résignée et douce, une femme qui luttât autant que lui. Les vrais hommes ne permettent pas leur héroïsme aux femmes.
Outre ce peu d’argent, vite épuisé, Berru avait emporté de Paris un manuscrit. Quel est l’homme de lettres malheureux qui n’a pas, dans son bagage, mêlé à ses nippes, entre un vieil habit tout râpé et sa dernière chemise, de la prose ou des vers, un roman ou un poème, suprême espérance de la misère !
Le manuscrit de Berru était un roman. Il l’avait écrit pour l’ Evènement, devenu, on se le rappelle, l’ Avènement du peuple dans les derniers mois de son existence. L’ Avènement du peuple avait même, si nous avons bonne mémoire, annoncé le roman de Berru comme devant être publié « prochainement. » Mais le 2 décembre arriva, et l’ Avènement du peuple, plutôt que d’accepter les conditions nouvelles faites à la presse, ne voulut plus reparaître et sombra, comme le Vengeur, au cri de Vive la République !
Le roman de Berru disparut mélancoliquement dans le naufrage du journal.
III
Ce roman s’appelait « La Conquête d’un louis ». Pourquoi ce titre et pourquoi ce sujet ? N’y avait-il pas là un pressentiment vague de l’écrivain, et le sort n’est-il pas parfois le souffleur obscur et invisible de la pensée ? A la veille des misères de la proscription, Berru racontait déjà la poursuite terrible de l’argent par le pauvre, devinant peut-être que bientôt cet insaisissable louis d’or allait essayer sur lui sa fascination et l’essouffler à sa conquête.
Donc, un matin, le lendemain d’un jour de jeûne, Berru prit bravement son manuscrit sous son bras, décidé à frapper à la porte de tous les libraires. Il alla de rue en rue, chez l’un chez l’autre, infatigable. Il avait médiocre apparence, le pauvre garçon, il était fort mal vêtu, et le sujet de son roman ne se lisait que trop sur sa mine. Les libraires, peu hospitaliers de leur nature, le prenaient d’abord pour un pauvre, puis pour un auteur, — et faisaient deux grimaces, dont la plus laide était pour l’auteur.
Berru était sorti de chez lui plein de confiance. Il croyait en son roman. Qui est-ce qui ne croit pas en son roman ? On a toujours fait son petit chef-d’œuvre, si modeste qu’on soit. Et nous gagerions que Berru, dans ses plus mauvais jours, pensait avec amour à son cher manuscrit et se disait volontiers qu’il avait là du pain tendre sur la planche.
Il visita cinq ou six libraires, et fut si invariablement éconduit que toute sa belle confiance disparut peu à peu.
Lui qui se hâtait tout à l’heure d’un pas si fier, il commença à traîner la jambe. Il regardait les boutiques, il s’attardait aux enseignes. Il flânait presque, car l’espérance marche et le désespoir flâne. Il était entré chez le premier libraire en conquérant du louis, le manuscrit au poing et musique en tête ; il arriva chez le dernier libraire l’oreille basse et son roman entre les jambes.
Comme le cœur dut lui battre quand il ouvrit cette dernière porte ! Après celle-là, plus rien. C’était un des plus gros éditeurs de Bruxelles. Il l’avait timidement gardé pour la fin.
Derrière une muraille, de petits volumes jaunes affranchis de tout droit d’auteur et empruntés à toutes les littératures excepté à la littérature belge, qui n’a jamais existé, l’éditeur féroce bâillait dans son antre inabordable. Il vit entrer Berru et le regarda fixement. Coup d’œil froid et calme du monstre repu de livres et qui digère avec ennui un long catalogue de contrefaçon

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