Notes indo-chinoises
71 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Notes indo-chinoises , livre ebook

-

71 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Au petit jour, sur la rivière de Saigon.Le bateau va lentement, comme intimidé par le silence de la nature et las des récentes attaques de la mousson de nord-est.On se croirait au « pays des matins calmes » dans cette Cochinchine qu’une lumière grandissante ne parvient pas à secouer de sa nocturne torpeur. Quelques lourds vols d’aigrettes rasent le sol. Debout à l’arrière de leurs embarcations, des Annamites rament en cadence pour gagner la baie des Cocotiers avec le jusant.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782346103058
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
M. Moncharville
Notes indo-chinoises
Cochinchine et Cambodge
Au petit jour, sur la rivière de Saigon.
Le bateau va lentement, comme intimidé par le silence de la nature et las des récentes attaques de la mousson de nord-est.
On se croirait au « pays des matins calmes » dans cette Cochinchine qu’une lumière grandissante ne parvient pas à secouer de sa nocturne torpeur. Quelques lourds vols d’aigrettes rasent le sol. Debout à l’arrière de leurs embarcations, des Annamites rament en cadence pour gagner la baie des Cocotiers avec le jusant. Et c’est là les seules manifestations de la vie.
On cherche en vain un oiseau qui piaille à l’aurore, un poisson qui, par ses bonds hors de l’eau, nargue le mastodonte noir venu d’occident. Ni mugissement de buffle, ni lointain miaulement de panthère. Pas même au ciel une de ces fuites de nuages qui révèlent au moins l’action d’une force invisible.
Tout est figé, les longs aréquiers au tronc blanc, les cocotiers dont le feuillage de dentelle semble créé pour frissonner sous la caresse du vent, les palétuviers trapus qui lancent sournoisement leurs racines jusque dans le fleuve. C’est l’immobilisation intégrale d’un coin du monde où le sol lui-même, écrasé par on ne sait quel poids irrésistible, est tout juste parvenu à se soulever dans une suprême convulsion au Cap Saint-Jacques, tel le dos d’une énorme baleine.
Sans doute, l’homme a eu l’intuition que, dans ce décor, son activité devait se faire la plus discrète possible, pour ne pas jurer à l’égal d’un contresens. Caché par le rideau de palétuviers, enfoncé dans l’eau jusqu’à mi-corps, il travaille, paraît-il, à la rizière ; mais on ne le voit ni ne l’entend. Ses kainhas 1 sont dissimulées dans des bouquets d’arbres. A peine une misérable pagode et deux villages, l’un en terre ferme, l’autre sur pilotis, témoignent-ils de sa présence. Moins discret, le conquérant a bariolé le Cap Saint-Jacques de constructions enropéennes et coupé la campagne de fils télégraphiques haut perchés sur d’énormes pylônes. En France, ces fils seraient convertis en joyeuses brochettes de moineaux ou d’hirondelles ; à perte de vue, ils se déroulent, ici, lamentablement nus.
Pays de mort, dira-t-on ? Peut-être. Et cependant, malgré sa solitude, malgré le souvenir des vies humaines qu’on lui a sacrifiées, malgré la conscience du lourd tribut qu’on lui paie encore sous forme de maladies, ce n’est pas de la tristesse qui s’en dégage. Le soleil, levé maintenant, remplit d’une telle allégresse un ciel bleu laiteux entr’aperçu comme à travers un voile de gaze légère ! Il se joue si délicieusement dans le vert sombre des palmiers d’eau, dissipant de-ci de-là quelques traînées de brume attardées sur la brousse et faisant rougeoyer la surface de la limoneuse rivière ! L’air matinal est si frais, si léger à respirer au sortir des moiteurs de l’Océan indien ! Les senteurs balsamiques et un peu âcres apportées par la brise de terre troublent si profondément l’odorat ! Quoi qu’on en ait, c’est le triomphe de la sensation, le commencement de la prise de possession de l’individu par la nature éternellement séductrice.
Tout à coup, après un dernier tournant, apparait Saigon : une ligne de quais auxquels sont accostés quelques vapeurs, des jonques ventrues remplies de riz, des chaloupes officielles et d’innombrables sampans. Puis une masse épaisse de verdure dans laquelle se cachent les maisons et d’où émergent les deux flèches roses de la cathédrale. Enfin, le port de guerre où dorment côte à côte pontons, canonnières, torpilleurs et sous-marins.

*
* *
Suivant la coutume, de nombreux Saïgonnais sont venus accueillir le courrier de France. C’est, à l’appontement, un groupe compact de coloniaux, hommes et femmes, tous vêtus de blanc. Casque et dolman pour les uns, ombrelle légère, large chapeau, corsage de mousseline pour les autres, on dirait d’un uniforme. Cette tache claire tranche singulièrement sur le rouge brique du sol, le vert mat de la végétation et le bleu du ciel qui tourne au gris à mesure que le soleil monte. Et cette symphonie en quatre couleurs vous enchante jusqu’au moment où vous constatez que les physionomies sont toutes pâles ou terreuses, que la finesse des silhouettes féminines se double d’un excessif amaigrissement et que les représentants du sexe fort sont, pour la plupart, parcheminés ou ornés de l’avant corps baptisé œuf colonial.
Grande est l’animation en ville, car le courrier amène le nouveau général, commandant en chef des troupes, qui vient prendre officiellement possession de son poste.
Partout, ce ne sont que fanfares, sonneries de trompettes et de clairons, défilés de cavaliers et de fantassins à l’uniforme blanc, sur lequel se détachent seulement la patte rouge des artilleurs, l’épaulette jaune des marsouins, les aiguillettes blanches et bleues des gendarmes et les galons rouges ou dorés des gradés. Les cuivres lancent allègrement leurs notes dans l’air matinal, dont la résonance parait exagérée. Montés sur de petits chevaux annamites qu’ils enfourchent au point de presque toucher terre, les officiers vous prennent des allures de géants. Rien de joli comme ces masses blanches s’avançant au pas sur le macadam rouge, dans les rues droites ombragées par les hauts tamariniers formant ogive, tandis que, sur les trottoirs, des indigènes, des Chinois, des Japonais, des Hindous regardent, les uns impassibles, les autres visiblement amusés. De tout cela, l’œil du nouvel arrivant demeure charmé aussi longtemps qu’il n’a pas remarqué les mines défaites de nombreux soldats.
Mais, peu à peu, les troupes ont regagné leurs quartiers, rendant à la capitale sa physionomie habituelle du plein jour, faite d’un peu d’activité, de beaucoup de torpeur et de silence dans le mouvement. Des boys vont au marché en chiquant le bétel et lancent de temps en temps un jet de salive écarlate qui ajoutera sa tache à celles dont les trottoirs sont déjà criblés. Par hasard, passe un malabar attelé d’un petit cheval. Il est vraiment drôle ce fiacre de l’Extrême-Orient, haut sur roues, minuscule quand on le juge du dedans, énorme quand, du dehors, on le compare à l’animal. Les ouvertures y sont multipliées, parce que le courant d’air est la vie dans ce pays de moiteur chaude, et l’impression de fragilité que dégage le véhicule s’en trouve singulièrement accrue.
 
Des pousse-pousse à pneumatiques roulent sans bruit. Pieds nus, coiffés d’un chapeau conique sur leur noir chignon et vêtus d’une livrée bleu marine à grosse lune blanche au dos de la vareuse, des coureurs les remorquent. Des vaguemestres, des plantons civils vont chercher les nouvelles de France dans le hall somptueux de l’hôtel des postes pendant que, vis-à-vis, quelques âmes pieuses sortent de la rose cathédrale à l’atmosphère lourde et moite. Quelques pas plus loin, sur un large boulevard à l’extrémité duquel se dresse, majestueux, le palais du gouverneur général, des fonctionnaires se hâtent vers leurs occupations.
 
Même calme dans presque toutes les rues ; on les prendrait volontiers pour les allées ombreuses d’un parc immense. Cependant un peu de vie circule dans la grande artère commerciale du lieu, une sorte de cochinchinois boulevard des Italiens : la rue Catinat. C’est là que les dames européennes vont faire leurs achats, que les étoiles du monde galant se donnent en spectacle aux flâneurs, que les chettis hindous, accroupis dans leurs « compartiments se livrent à leurs opérations de change et de banque ; là aussi que les congayes viennent aviver leur coquetterie aux devantures des bijoutiers, en attendant qu’elles aient obtenu de la faiblesse de leurs amants le collier

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents