Souvenirs de Pondichéry
67 pages
Français

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Souvenirs de Pondichéry , livre ebook

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Description

Parlez de l’Inde à un français lettré, neuf fois sur dix il vous citera Héva et la Guerre du Nizam ; il emporte malgré lui dans un coin de son imagination la galerie des tableaux fantastiques et charmants peints d’après nature par Méry, dans son atelier de Marseille. Ce sont de larges fleurs aux découpures bizarres, éclatantes de couleurs et ruisselantes de parfums, des plantes inconnues, hautes comme des arbres, des arbres hauts comme des cathédrales et des forêts de ces arbres, vierges de tout vestige humain.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 8
EAN13 9782346113927
Langue Français

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
J. de Quennefer
Souvenirs de Pondichéry
« Ainsi pour moi, déjà bien des contrées du monde se sont réalisées et le souvenir qu’elles m’ont laissé est loin d’égaler les splendeurs du rêve qu’elles m’ont fait perdre. »
GÉRARD DE NERVAL.
I
Parlez de l’Inde à un français lettré, neuf fois sur dix il vous citera Héva et la Guerre du Nizam ; il emporte malgré lui dans un coin de son imagination la galerie des tableaux fantastiques et charmants peints d’après nature par Méry, dans son atelier de Marseille. Ce sont de larges fleurs aux découpures bizarres, éclatantes de couleurs et ruisselantes de parfums, des plantes inconnues, hautes comme des arbres, des arbres hauts comme des cathédrales et des forêts de ces arbres, vierges de tout vestige humain. Dans le cadre de cette nature, des hommes au teint de bronze, aux passions volcaniques, des femmes d’une beauté étrange, souples et caressantes comme des lianes, presque uniquement vêtues d’un bracelet d’or, corrigeant l’indolence du hamac par la coquetterie de l’éventail. Et puis, des pagodes, des dieux, ces dieux impassibles qui, au dire de Banville, depuis des milliers d’années, enivrés de parfums, caressés par les grandes fleurs terribles, assis sur des trônes de diamants et des charriots d’astres, rêvent à la stupidité et à la méchanceté humaines ; des jongleurs, des danses de bayadères, des bûchers de veuves, des éléphants, des tigres, des serpents : tout un monde d’êtres et de choses d’un attrait fascinateur. Voilà le rêve ; voici la réalité, telle qu’elle m’est apparue sur le petit coin de terre indienne où flotte encore notre drapeau.
Un ami m’attendait au débarquement, je lui ai dû de passer ma première soirée dans un jardin des environs. Le ciel était d’une pureté radieuse, une grande clarté tombait des étoiles, un essaim de mouches à feu rayaient de leurs sillons lumineux l’ombre épaisse des feuillages, une odeur capiteuse montait des fleurs endormies ; sur les lianes entrelacées, sonores comme des cordes de lyre, la brise de mer semblait promener un archet capricieux, soufflant parfois jusqu’à incliner avec un mouvement humain la tête rigide des cactus, parfois se taisant et laissant arriver jusqu’à nous je ne sais quels bruissements d’une douceur sinistre. Toutes les variétés de phalènes, des chauves-souris d’une taille gigantesque, passaient et repassaient, à coups d’ailes fiévreux, dans le cercle de nos lumières. Ahuri, grisé, j’ai eu, cette nuit-là, l’intuition très nette que j’avais mis mon frêle tempérament de Parisien en face d’une nature trop puissante pour lui. J’ai su depuis qu’en effet les Indiens jouissaient d’une épaisseur crânienne presque double de la nôtre.
Pondichéry se divise en ville blanche et en ville noire, idéalement séparées par un petit canal toujours à sec. La ville blanche, égrenée le long de la mer, est d’un aspect réellement gracieux. Les maisons, blanchies à la chaux, reflètent une lumière aveuglante et tranchent crûment sur le vert sombre des arbres et le bleu profond du ciel. Elles sont espacées, indépendantes les unes des autres, généralement à un étage, pourvues de vérandas en saillie sur le devant. Quelquefois le toit est plat, dallé dans toute sa longueur, ceint d’une balustrade en pierre, et forme ainsi une sorte de terrasse élevée où on se réunit le soir pour prendre le frais, quand il se laisse prendre. Il y a des rues nombreuses et larges, une place où la musique des cipahis joue deux fois la semaine, un pont-débarcadère qui s’avance à cent cinquante mètres dans la mer. Il y a encore un quai, dit « cours Chabrol », où les noirs traînent les blancs dans de petits véhicules appelés « pousse-pousse », et où les puissants du lieu promènent leurs équipages. Il y a encore un hôtel du gouvernement, une cour, un tribunal, une caserne, une prison, un phare, une fontaine. Il y a encore, dans les jardins, le long des rues et sur la place, des arbres d’espèces variées : le palmier, le cocotier, trop connus pour que j’en dise rien, le filao qui porte en guise de feuilles des filaments grêles, d’une nuance pâle, le porcher dont la fleur multicolore a la forme d’un liseron double, le frangipanier dont la petite fleur blanche exhale une odeur de jasmin d’Espagne et d’oranger, le flamboyant qui ressemble à un colossal bouquet de verveine rouge artistement entremêlé de verdure. Il y a enfin, sur tous ces arbres, des nuées de corbeaux tapageurs qui s’apprivoisent jusqu’à venir chercher aux pieds de l’homme les miettes tombées de sa table et poussent même parfois l’indiscrétion jusqu’à se servir les premiers.
Je crois que je n’ai rien omis et qu’un Guide Joanne n’aurait pas été plus minutieusement exact.
La ville blanche emprunte son nom aux quelques centaines de blancs qui l’habitent ; l’ Annuaire porte ces quelques centaines à un millier, femmes et enfants compris. Les Européens entrent pour un quart environ dans ce chiffre ; le reste se compose tant des créoles de l’Inde que de ceux des autres colonies. Les créoles se distinguent, en général, par un ton de bistre plus ou moins foncé, suivant le croisement plus ou moins lointain des races. On a dit : « Grattez le Russe, vous retrouverez le Cosaque ; » il pourrait arriver qu’en grattant bon nombre de créoles, on retrouvât très vite le noir originel. Il en est qui sont purs de tout mélange, actifs, instruits, modestes et de relations charmantes ; mais il en est aussi qui possèdent précisément et à un degré remarquable, les défauts de ces qualités. Les femmes surtout se laissent facilement aller aux mœurs imbéciles et corrompues de leur entourage indien. Il est de notoriété que quelques-unes d’entre elles se nourrissent comme les indigènes, mâchent le bétel et l’arec, s’oignent d’huile de coco et passent leurs journées accroupies sur des nattes, au milieu de servantes noires qui leur chatouillent délicatement la plante des pieds avec des plumes de paon.
Leur religion est un agréable mélange de catholicisme et de paganisme. Elles croient à la Trinité, mais Vichnou et Siva ne leur paraissent pas impossibles.

Vous me demanderez si je suis catholique ?  — Oui... J’aime fort aussi les dieux Lath et Nésu. Tartak et Pimpocan me semblent sans réplique ; Que dites-vous encore de Parabavastu ?
Pour se prémunir contre toute surprise, ces dames partagent leur dévotion ; elles font des aumônes aux églises et des offrandes aux pagodes ; elles se confessent au prêtre, mais elles consultent le brahme, et ce dernier est presque toujours le mieux écouté.
C’est lui qui soigne les malades concurremment avec le médecin. tire l’horoscope des enfants et marque à l’épouse les nuits propices à l’accomplissement du devoir conjugal.
Tout près de ma demeure se trouve une maison où sont morts dans la même année deux Européens, le premier d’une hépatite, le second d’un coup de soleil. Il n’en fallut pas davantage pour que la superstition se donnât carrière. Des bruits étranges se répandirent. On avait vu les défunts promener leurs linceuls de chambre en chambre, on avait entendu leurs voix montées au diapason de la colère. Toutes les nuits, les portes battaient sinistrement et les vitres volaient en éclats, sans qu’il y eût un souffle d’air. Pendant plus d’un an, la maison maudite ne trouva pas de locataire. Il vient de s’en présenter un, un ancien officier qui ne croit pas aux fantômes et considère une balle de pistolet comme le plus sûr des exorcismes. Avant de le laisser s’installer, le propriétaire a fait faire par un brahme une cérémonie expiatoire et préservatrice. On a marmotté des pri

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