Ce dont les montagnes se souviennent
79 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Ce dont les montagnes se souviennent , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
79 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

A travers les souvenirs d’une jeune fille, se raconte une histoire de l’Iran, avant l’arrivée des mollahs et de leur révolution.
De la tante avide de liberté au cousin épris d’absolu, de la petite sœur éternellement innocente à la gouvernante borgne, tel un kaléidoscope réfléchissant à l’infini la lutte entre la permanence et le changement, les personnages de cette histoire familiale se cherchent, se perdent et parfois parviennent à trouver leur chemin, entre tradition et modernité.
Et bien que toute cette époque ait été enterrée depuis longtemps sous des pluies de plomb et des rivières de larmes, les monts de l’Alborz se dressent toujours fièrement debout, mémoire de cent mille vies d’homme, se souvenant de tout.
Et à la nuit tombée, lorsque le vent se met à souffler depuis la montagne, pour celui qui sait écouter, qui sait quelles histoires l’écho peut lui conter ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 avril 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9791029010392
Langue Français

Extrait

Ce dont les montagnes se souviennent
Marale Rostaing
Ce dont les montagnes se souviennent
Les Éditions Chapitre.com
13, rue du Val de Marne 75013 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2020
ISBN : 979-10-290-1039-2
Entre la foi et l’incrédulité, un souffle, – entre la certitude et le doute, un souffle. – Sois joyeux dans ce souffle présent où tu vis, car la vie elle-même est dans le souffle qui passe.
Omar Khayyam
Yeki bood, Yeki nabood ; Gheyr az Khoda, hichkas nabood…
Il y avait un tout, il n’y avait rien ; à part Dieu , il n’y avait personne…
Chapitre 1. Le goût amer des cookies américains
Je ne sais pas si je n’ai jamais vraiment aimé les cookies. Ces biscuits sont si différents à la fois en goût et en texture des pâtisseries traditionnelles persanes. Les « chirinis » sont confectionnés à partir d’amandes et de pistaches, enrobés de sirop de safran et parfumés à l’eau de rose et à la cardamone : aucun d’entre eux n’a la même saveur qu’un autre, parce que dans chaque région, chaque ethnie, chaque famille, ils sont préparés différemment, en répétant des gestes ataviques, héritage vivant à la fois unique et pluriel, que les cycles des naissances et destructions des empires successifs ne sont pas parvenus à effacer.
C’est la singularité même du passé qui résonne quand vient en bouche un morceau de halva ou de baklava.
Mais les cookies américains me semblaient alors irrésistiblement attirants de modernité, comme tout ce qui venait des États-Unis et d’Europe, dans cette façon de cuisiner et de vivre, de tout mesurer et calibrer au gramme près, en suivant une recette écrite point après point, par un inconnu dans un livre et non pas d’observer ma mère, ma grand-mère ou Naneh et d’apprendre de leurs gestes, héritage immémorial.
Je sais exactement depuis quand je n’aime plus les cookies.
J’ai toujours été proche de mon grand frère Ali : il avait un peu plus d’une année de plus que moi et nos deux caractères s’accordaient bien. J’étais assez garçon manqué aussi, cela a sans nul doute dû participer à notre bonne entente.
Je jouais souvent avec lui ainsi qu’avec ses camarades d’école lorsqu’ils étaient invités chez nous.
Mon petit frère Hamid qui était notre cadet de plusieurs années, avait, quant à lui, un caractère assez turbulent et boudeur, et il l’a été plus encore après ce qu’il s’est passé.
Quant à ma petite sœur Afsaneh, elle est restée éternellement une enfant.
Ne souhaitez jamais que vos enfants restent des enfants. Cela peut être une pensée qui vient vous visiter de temps à autre, quand vos enfants vous font de beaux dessins naïfs et colorés ou qu’ils vous sautent brusquement dans les bras pour vous embrasser, mais la vie nous fait changer tous, tout le temps. C’est l’essence même de l’existence, elle est le perpétuel et infatigable mouvement. Si la vie et ses imprévisibles vicissitudes ne nous imprègnent plus de leur marque, à la manière de la turbah qui s’imprime délicatement prière après prière sur le front lisse du fidèle, c’est que l’on est mort ou bien que qu’une part de nous est morte en chemin.
Souhaitez juste qu’ils deviennent un jour des adultes épanouis et en bonne santé, c’est véritablement l’unique chose à espérer.
Cela faisait un moment que personne n’avait vu Afsaneh. Elle devait jouer quelque part dans la maison, elle avait commencé à marcher à quatre pattes peu de temps auparavant, elle ne s’éloignait donc jamais beaucoup. C’était une petite fille très sage et continuellement souriante, elle pleurait très rarement, elle n’était pas comme Hamid, qui faisait souvent les quatre cent coups, c’est sûrement pour cela que personne ne s’est inquiété avant un long moment.
Maman était sortie faire des courses et nous étions tous les quatre restés à la maison avec notre gouvernante Naneh. Je me rappelle qu’avec Ali et elle, nous préparions des cookies. Des cookies AMERICAINS .
À l’époque, tout ce qui provenait des États-Unis, était fantastique et fascinant. Comment cette perception a-t-elle pu changer aussi vite et aussi violemment ?
En Iran, durant mon enfance, un vent d’émancipation et de liberté, venu de l’Ouest, soufflait avec force sur tout le pays ! Ceux qui ont connu ce monde se souviennent avec nostalgie des années du règne de Mohammad Reza Shah : en ce temps-là, les femmes dansaient en mini-jupe, les hommes sortaient rasés de près, Neil Armstrong et Buzz Aldrin se posaient sur la Lune. Bien évidemment, le pays n’était pas démocratique, et ceux qui étaient le plus ouvertement opposés à la monarchie sont morts en prison ou ont disparu sous la torture de la police politique du Shah, mais ce qui est arrivé par la suite…
Dans notre monde dit moderne, les femmes sortent voilées de la tête aux pieds, les hommes sont devenus schizophrènes et ce sont des robots qui atterrissent sur Mars. Comme si le flot incessant d’informations à la fois vaines et graves, traversant à chaque instant la planète, avait donné corps à une chimère monstrueuse, une angoisse diffuse et sournoise qui avait subrepticement étendu son emprise sur des pans entiers de notre existence, et qui nous avait à tel point envahie, qu’il ne nous restait nul autre choix que de nous cacher et de vivre étroitement à l’intérieur des murs de notre esprit et dans la prison de notre corps, sans vouloir ne plus prendre aucun risque ni ne laisser place au moindre doute.
Mais l’ombre de cette peur globale n’avait pas encore vu le jour, cet après-midi où nous faisions des cookies. Quand je me rappelle cette époque, les moindres petits détails, même les plus insignifiants, me paraissent si lumineux, comme s’ils irradiaient de l’intérieur, baignés par les rayons d’un soleil à son été.
Nous essayions de faire des cookies et nous étions assez concentrés. Je pense que Naneh voulait nous faire plaisir et elle focalisait toute son attention sur les images du livre, tentant laborieusement de comprendre quels gestes elle devrait répéter pour réaliser ces biscuits étrangers.
De plus, comme le livre était écrit en anglais et que seul Ali savait lire cette langue, mon frère devait nous expliquer, phrase après phrase, ce qui était écrit dans le livre de pâtisserie que mon père nous avait ramené et qui était un cadeau de l’un de ses fournisseurs. Mais certains termes restaient malgré tout assez obscurs, pour elle comme pour nous, et même le dictionnaire Anglais / Persan qu’Ali était allé chercher dans ses livres d’école ne pouvait nous aider totalement dans notre découverte de cet étrange domaine qu’était la pâtisserie américaine.
Si ce jour-là, nous avions décidé de faire des douceurs sucrées traditionnelles, peut-être que ma famille n’aurait pas été bouleversée comme elle l’a été par la suite.
Mais continuer sur ce chemin ne peut mener qu’à d’autres questions sans réponse.
On pensait simplement qu’Hamid et Afsaneh étaient ensemble à jouer quelque part, dans notre grande maison.
Après plusieurs tentatives ratées, nous finîmes par réussir à faire de la pâte à cookies et à constituer des petites boules aplaties comme présentées sur les images du livre. J’étais vraiment contente, je me disais que j’allais pouvoir crâner devant mes camarades : j’aimais beaucoup crâner enfant, et il était vrai que de mon point de vue, toute occasion était bonne pour le faire.
Concernant les ingrédients nécessaires à la confection de ces biscuits, c’était mon père qui nous les avait trouvés. Il tenait un commerce réputé dans Téhéran et avait de nombreux amis et contacts arméniens, ce qui lui permettait d’avoir aisément accès à des produits européens et américains.
Nous mîmes le plateau avec les boules aplaties de pâte, à cuire dans le four et après quelques instants à nous regarder d’un air perplexe, nous décidâmes de laisser faire la cuisson. Naneh avait les joues couleur rouge vif ; elle essuya ses grandes mains calleuses puis son visage dans son vieux tablier élimé avant de dire que cela faisait longtemps que nous n’avions pas entendu Hamid.
Nous commençâmes alors à chercher les deux petits.
Nous réussîmes à trouver Hamid assez vite mais nous n’avons pas retrouvé tout de suite Afsaneh. Nous avions pourtant bien regardé sous les lits, elle était vraiment petite, elle marchait encore à quatre pattes, elle aurait pu s’y cacher. Elle ne pouvait pas être ailleurs, car la porte de la maison menant au jardin devait toujours rester fermée, règle impassible et intouchable, lorsqu’un adulte n’y était pas présent. Mais malheureusement nous découvrîmes que ce jour-là, cette porte avait été laissée ouverte par quelqu’un, au f

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents