Jeux d artifices
78 pages
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Jeux d'artifices , livre ebook

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Description

Usé par les difficultés de la vie, miné par ses vieux complexes, Armand Bureau sombre dans la déprime. Comment s'en sortir quand on est bousculé par une épouse trop jolie et trop vivante, et submergé par un travail envahissant ? C'est alors qu'un étrange personnage entre dans sa vie et tente de le remettre sur rails par une méthode de reconstruction très originale…

Informations

Publié par
Date de parution 17 janvier 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312020648
Langue Français

Extrait

Jeux d'artifices

Loïc Kergroac'h
Jeux d'artifices















LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2014
ISBN : 978-2-312-02064-8
"Il absorbe votre âme et votre volonté dans les siennes… Vous abdiquez votre volonté et vous la lui remettez en toute obéissance, avec une entière résignation."

DOSTOÏEVSKI, Les Frères Karamazov .

1. Le Riadapapa
Jess marche pieds nus sur les pierres chaudes qui bordent la piscine. Elle danse sur des œufs. Elle porte des larges Ray-ban, un maillot de bain deux pièces minimaliste rose fluo, comme en portent aujourd’hui les adolescentes. Sans avertir, elle s’arrête devant moi, fait glisser le slip le long de ses jambes, le rattrape sur ses pieds en tortillant ses fesses, ôte son soutien-gorge en minaudant. C’est inattendu. De l’autre côté du bassin, les domestiques marocains regardent leurs pieds.
Je ne suis ni laid ni beau. Je suis un peu courtaud. J’ai cinquante ans. Je m’appelle Armand Bureau. Ma femme, c’est Jesseline Bureau. On l'appelle aussi Jess. Nous vivons à Paimbœuf, une commune de Loire-Atlantique, 3206 habitants.
Nous sommes arrivés avant-hier à Marrakech, pour un long week-end de détente entre amis. Jesseline a invité dans une résidence de luxe un artiste peintre, un psy, deux médecins, un agent immobilier. Le Directeur Général de Franconex, Clercville, a décliné l’invitation, prétextant des obligations. Tout le monde sait qu'en réalité, il fait du ski et du parapente dans les Alpes, où la neige ne manque pas en ce mois d'avril. Il ne sera pas des nôtres, tant mieux. Ça m'aurait gêné de côtoyer mon patron en short. L’architecte Kinya Maruyama, que le monde entier connaît, ne sera pas non plus du voyage, il est actuellement à New-York. Mais les invités qui ont accepté l'invitation constituent déjà pour Jesseline un beau tableau de chasse. Elle est fort satisfaite, elle est arrivée à ses fins, elle a ratissé l'élite de son réseau, artistes, notables et intellos en vue. Elle accueille tout son monde dans le riad de son père, à deux pas du centre de Marrakech. Certains de ces messieurs sont accompagnés de jeunes femmes, épouses ou maîtresses. Couples au jour le jour. Ainsi, ils sont une douzaine de personnes qui occupent la résidence. Des murs aveugles aux crépis hétéroclites dans une ruelle paumée cachent un éden. Piscine, jacuzzi, vue sur l’Atlas encore enneigé et proximité de la ville. Jess appelle toujours cet endroit " le riad de papa ". Par amusement, nous disons aussi le " riadapapa ". Mais son " papa " est aujourd’hui décédé et elle n’est pas propriétaire de la maison. Elle ne l'a jamais été. Papa, Monsieur Blanchet, l’avait acquise au nom de son jeune compagnon Ahmad, qui continue à y vivre et qui la loue à des Européens riches. Jess a loué le riad pour ce long week-end de Pâques. Le ciel est bleu outremer. Riadapapa, luxe, calme et volupté…

Jess affiche un large sourire. Pas moi.
– Tu fais encore la tête, Armand :
Ben oui.
À l’aéroport, à ceux qui ne m’avaient pas encore rencontré, Jess m’a présenté :
– Armand, mon époux, directeur à Franconex.
Je me suis forcé à sourire, gêné.
" Mon époux "… Si peu ! Notre relation est de plus en plus distante…
" Directeur "… Tu parles ! Je suis directeur de quoi ? Celui qui, à cinquante ans, n’est pas directeur de quelque chose…
Ma fonction dans l’entreprise Franconex est très variable. Ressources humaines, marketing, achats, j'ai tout assumé dans cette boîte. Flexibilité et disponibilité totale. On m'a chargé de toutes les basses œuvres, surtout depuis les événements tragiques de l'an dernier, qui ont causé la mort ou le départ de plusieurs responsables irremplaçables, que j'ai remplacés. Jess aurait pu dire :
– Armand, mon mari, bouche-trous à l’usine à Paimbœuf.
Mais les mots " bouche-trous, usine, Paimbœuf " ça fait peuple, dans la jolie bouche bien élevée de mon épouse, tandis que " directeur, Franconex ", c’est un peu flou, mais ça fait classe.

Jess a payé la location du " riadapapa ". Elle aurait rêvé de payer aussi le voyage en Jet privé, mais elle a été raisonnable, c’était au-dessus de ses moyens. Elle le regrette. Déjà, offrir l’hébergement ce n’est pas rien. Et Ahmad, le patron de l'hôtel, sait vivre. Il lui accorde des conditions financières avantageuses. Papa n’a pas légué à sa fille le riad de Marrakech, mais il lui a laissé quand même une confortable fortune et trois appartements parisiens gérés par une agence, qui lui assurent des ressources honorables.

À Marrakech, Jesseline devra souffrir ma compagnie pendant quelques jours. Depuis quelques années, il n’est plus question de vacances à deux avec moi. Elle n'est heureuse que dans l'agitation, la foule, le mouvement, entourée d'admirateurs. J'aime la tranquillité, la solitude, la paix. La routine me rassure. Mais cette fois j’ai été piqué de l’envie de venir. Je fais donc partie du voyage, un saut de puce de deux heures quinze en avion, ligne directe Nantes-Marrakech. Pour me changer des soucis quotidiens, pour suivre Jess. Pour la voir s’éloigner encore de moi ? (Serais-je maso ?). Ou bien pour la voir se rapprocher de moi, à la faveur de souvenirs des moments vécus dans cette maison de Marrakech ? (Serais-je naïf ?). Je suis sûr qu'elle me trompe. Je n'en ai aucune preuve, aucun indice, juste une intime conviction. Avec qui ? J'ai tout de suite repéré que le docteur Jérôme Desmars fait partie du panel de ses invités. Elle a été un temps secrétaire dans son cabinet (pour rendre service, disait-elle). Cela lui permettait de prétendre sans rire et sans mentir " Je travaille dans le domaine médical ". Je les observe tous les deux, Jérôme et Jess. Ils affichent une certaine distance entre eux. C'est sûrement une feinte.

Dans le riad, nous ne faisons pas chambre à part, comme à la maison. Nous logeons tous les deux dans sa chambre habituelle, la chambre bleue, qui est en réalité une vaste suite que " papa " lui avait destinée. J'ai voulu nos lits séparés.
Dès notre arrivée, Jess a parcouru l’hôtel sur les pas d’Ahmad, en distribuant les clés et des sourires à tous ses hôtes. À mi-voix et les lèvres crispées, elle m'a pris à part :
– Armand, respire ! Cesse de faire cette tête de victime. Souris, mon chéri !
Elle m'appelle toujours " mon chéri ".
– Regarde ce ciel ! Ce soleil ! Tu préfères peut-être la grisaille et la pluie de notre trou à rats ?
Le trou à rats, c’est notre maison de Paimbœuf, près de Saint-Nazaire.
Trou à rats… Trou à rats… Elle emploie à dessein cette expression, depuis qu’elle a constaté combien elle me choque. J’en suis blessé, elle s’en amuse. Moi, j’aime bien ma maison, je lui trouve beaucoup de charme.
– Maison modeste, c’est sûr, mais maison de caractère, Jess.
Oui, mais pour Jesseline qui ne rêve que de réceptions mondaines, c’est gris, exigu et peu fonctionnel. Quelle frustration.

La terrasse du " riadapapa " est rafraîchie depuis l’aube par des brumisateurs dissimulés dans l’entrelacs des bougainvilliers. Ahmad s’affaire de l’autre côté du bassin, sous les orangers. Très classe, vêtu d’un costume blanc près du corps et col fermé, il dirige une armée de domestiques qui s’agitent autour de lui, poussent des chariots et portent sur leurs bras des draps en piles immaculés. Ahmad gère son établissement avec discrétion et diligence. Il est syrien. Il a fui la Syrie, qui ne lui promettait pas une vie heureuse, et il est venu en France en tant qu’ingénieur chimiste. Il a travaillé quelques années dans la petite usine de Monsieur Blanchet, que Jess et moi appelons "l'usine à papa", ou parfois la " zinapapa ". Ce n'était pas encore devenu " Franconex ". Quand il a fallu restructurer l’entreprise, Ahmad a fait partie de la première charrette des personnels virés. Monsieur Blanchet avait remarqué le jeune Syrien. Il ne put rien faire pour s’opposer à ce licenciement. Il admettait que c’était justifié, qu’on n’avait plus besoin de mettre autant de moyens sur le secteur recherche. Il prit Ahmad en protection, puis en amitié, enfin en amour. Leur liaison est restée platonique et discrète jusqu’au décès de madame Blanchet. Puis monsieur Blanchet s’est retiré des affaires, il a assumé sa sexualité, il a acheté et fait restaurer le riad où les deux hommes ont abrité leur relation.

Jess grommelle con

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