LE CRI DES OIES
85 pages
Français

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Description

Ce soir, je ne suis plus certaine que je t’aime. Je pense que tu nous dois des excuses. Si tu étais là, devant moi, je t’arracherais le cœur, tout juste là où je ne sens plus rien.
Marcel meurt subitement à 43 ans, devant son fils et sa femme. Dans leur maison de banlieue, tout vole en éclats. Pour survivre au drame, Émile lit à voix haute les lettres d’amour de ses parents avant de s’endormir. Joanne mélange la benzodiazépine et le vin blanc, les cris et les larmes. Mais le rire de son fils sera cette ficelle qui la gardera en vie et lui donnera l’élan de la remontée. Ensemble, forts de leurs cœurs écorchés et condamnés à aimer à perpétuité, ils se lanceront à nouveau dans la vie, la tête bien haute, comme les oies fortes dans le plein ciel.
Le récit émouvant et juste de citrons très amers devenus limonade.
Le bruit singulier de la porte qui s’est ouverte sur le vide de la maison est resté dans ma tête comme le vacarme anodin le plus dévastateur de ma vie. Une simple poignée de porte un peu lousse peut vous anéantir en un seul clic. Ce son de poignée usée a annoncé le reste de notre histoire bringuebalante. Les mois qui se sont enchaînés nous ont vus nous agripper aux bords glissants des journées dépeuplées.
Tout de nos efforts pour ne pas tomber a porté, pendant des mois, un aspect presque vain.
Une fois la porte ouverte, le silence de la maison m’a ensevelie. La lumière nous a recouverts et enveloppés. Un rayon de soleil fou furieux s’est sacré devant nous pour nous accueillir, telle une trêve sur nos visages défaits.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 septembre 2017
Nombre de lectures 2
EAN13 9782764434215
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice

Conception originale de la grille graphique : acapelladesign.com
Conception graphique : Anouk Noël et Nathalie Caron
Mise en pages : Claudia Mc Arthur
Révision linguistique : Jean-Sébastien Bourré et Chantale Landry
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Gauthier, Joanne
Le cri des oies
(Littérature d’Amérique)
ISBN 978-2-7644-3419-2 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3420-8 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3421-5 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8613.A964C74 2017 C843’.6 C2017-940890-9 PS9613.A964C74 2017

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2017
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2017

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2017.
quebec-amerique.com



À Émile, pour toutes ces fois où tu nous as sauvés.

Une volée d’oies blanches, c’est l’ordre dans le désordre.
Jean-Paul Riopelle

La nuit tombait lentement et c’était trop tard.
Contes et Nouvelles , Charles Bukowski
Les fameuses salles de bain grises en céramique patentée des années 80, flanquées d’un bain romain rose en alcôve, ça me pue au nez. Pour moi, ça sent toujours l’alcool et l’arrêt cardiaque. Infarctus myocardique aigu et obstruction complète de l’artère antérieure descendante sur toute sa longueur , avait spécifié l’autopsie dans un paragraphe de blâmes et de présomptions que je n’avais pas saisis. Affreusement captive d’un début de nuit mal étriqué, à minuit trente-cinq, il avait été cruellement trop tard.
Dans ma salle de bain, depuis, ton corps est encore étendu, juste là. Un corps figé dans une chape de plomb qui s’agrippe au pourtour du bain. Un corps qui n’a pas pu se relever de sa crise. Un corps plein de sa fatalité est allongé là, en permanence. Et en petite culotte. Calvin Klein. Un corps étendu là, par terre ; et un ti-cul en larmes, à côté. Ton fils.
Cette vision ne s’estompera jamais.
Avec mon feutre rouge de maîtresse d’école, le cœur condamné, j’ai recopié sur le mur de cette salle de bain, à travers les coulisses de dentifrice, cette phrase que j’ai retrouvée sur ta table de travail au sous-sol, parmi toutes tes factures de compte de dépenses agrafées par ordre de dates, empilées par ordre de mois. Cette comptine égarée parmi tes dossiers sérieux, laissée là juste pour moi – peut-être. Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai .
Cette ultime phrase tendue est ainsi graciée de ta calligraphie illisible, intermittente et déchirée dans ses sommets. Triste reflet d’un électrocardiogramme qui s’affole.
Heureusement, aucune de ces pointes d’épouvante n’a survécu, sauf la portée rédemptrice de tes jolis mots ainsi retrouvés sur ton bureau. Leur musique m’a tenue en vie jusqu’au p’tit, notre fils. Je n’ai pas eu le choix. Il fallait marquer ta présence quelque part comme un rempart pour nous entourer, même juste un peu. Le visage en rivière, j’ai pris ma plus belle écriture, lettres pleines et rondes comme des bulles de champagne, puis j’ai recopié lentement, en fredonnant.
Nous étions maintenant seuls, ton fils et moi. Incroyablement seuls. Et entre nous deux, tel un triste aveu, cet air tendre : Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.
Te forcer à élire domicile sur le mur de la salle de bain en dessinant du doigt un angle parfait pour recopier chaque mot en travers de mes larmes m’aura permis de t’immortaliser, en lettres attachées. Et de t’éviter l’exil.
Quand je me brosse les dents au début de toute journée offerte depuis, je te lis en inclinant délicatement la tête à droite. Je suis un tournesol qui cherche le soleil au petit matin. Je suis ta fleur préférée. J’incline la tête et tu es là, sous mes yeux. Je te lis et vacille un peu. Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai…
Tu es là, parfaitement immuable sur un mur taché d’éclaboussures. Tu es encore là. Tout comme ta brosse à dents joyeusement flétrie restera là, immobile et inutile, pendant des mois. À s’ennuyer. Jusqu’à ce qu’on accepte de s’en défaire et qu’elle se retrouve elle aussi au fond d’une poubelle le jour des vidanges.
C’est comme ça que les choses se sont passées.
Les jours interminables qui ont suivi se sont reconnus dans le doute et les inquiétudes de mon enfance. Tout se rejoint toujours dans les crevasses de nos débarques. Déjà petite, Le jour du Seigneur à la radio m’effrayait. Sorte de crainte d’un revers possible à tout instant, prescrit par une voix farcie de remontrances. Le fameux jour des vidanges, des années plus tard, a fait connivence avec le même genre de nausée. Ces jours graves du passé se sont emmêlés à ma détresse : surtout les lundis, jour des vidanges, à guetter l’arrivée du camion dans un râlement caverneux qui se faisait entendre bien des rues avant la nôtre. Et me préparer ensuite à le voir t’emporter par à-coups. Je pense avoir fait un signe de la main par la fenêtre, un lundi matin, quand le camion a tourné le coin de la rue dans un crachat pénible, en lisière de ma petite fin du monde. Dire adieu à son amour en renonçant à ses menus objets, un à un, est un devoir difficile et radicalement opposé au joli patron de vie qu’on s’était tricoté dans notre imaginaire.
Pour ne pas crever, il avait fallu que j’apprenne à détricoter ce bel ouvrage, une maille à la fois. Un sac de vidanges à la fois. Un camion à la fois.
C’est comme ça qu’on s’est laissés, nous.
Jamais nous ne nous sommes quittés pour vrai à la façon de ces couples qui se quittent pour vrai. Avant de partir, tu ne m’as offert que quelques signes funestes, échappés en petits monticules de souffles saccadés, les yeux fermés. Et tu es parti en coup de vent. Le p’tit avait 11 ans. Et ta main dans la sienne s’est mollement laissé caresser, sans s’agripper. Nous nous retrouvions ainsi tous les trois réunis à une station de gare érigée pour l’occasion, en pleine salle de bain. Station Infarctus . Le père y monte, seulement. Comme un claquement de porte définitif. En voiture !
La mère et le fils, eux, sont restés sur le quai. À genoux. Atterrés.
. . . . . . .
Émile est orphelin, maintenant. On dirait un mot doux qui signifie qu’il lui manque quelqu’un de très important. Un mot pour s’habituer, presque.
Il s’est assis dans l’escalier qui mène à sa chambre, hier soir, tout juste après t’avoir étrangement espéré à la fenêtre. M’a souri à fendre le cœur. M’a prise dans ses bras d’enfant brisé. A enfoui son nez dans le mou du creux de mon cou. M’a dit que je sentais bonne : légère houle à peine perceptible, collée tout contre lui, empreinte de pudeur. Et encore, le p’tit me pose tant de questions :
— On va faire quoi, maman ?
Je le garde collé contre moi. Je ne réponds pas. Ses bras autour de moi sont une fête et je ne veux pas qu’elle s’arrête.
Ce terminus nous aura au moins concédé ceci, hors de toute souffrance : grâce à une seule petite comptine trouvée sur une table, ton fils et moi, noyés d’amour, sommes désormais condamnés à perpétuité à nous lancer dans le vide, complices et confiants, parce que c’est la seule façon de sortir vivants du désordre.
Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Maman dis-moi pourquoi les oiseaux au fond d’mon cœur à toutes les minutes pleurent.
Maman , Pierre Lapointe
Les mères qui te connaissent, toutes, ont perdu un fils quand tu t’es mis à l’envers du monde, face contre sol, sur un carrelage froid de salle de bain défraîchie. Toutes les mères qui t’ont un jour entendu rire aux éclats ont eu peur que ça leur arrive. Même ma si grande amie, ma toute Mélanie au pays des merveilles, pleine de son p’tit dernier, a craint le pire avant même de le mettre au monde. C’est comme ça. C’est l’effet que ça fait quand un enfant part avant sa mère. Même un enfant devenu très grand.
La tienne, ta mère, est morte une seconde fois, cette nuit-là : la première, quand elle a dit oui à ton père, devant Dieu ; et cette autre fois quand tu n’as pas eu le temps de lui dire adieu. Une lente agonie.
Pendant quelques semaines, ta soupe aux gourganes du dimanche midi t’a attendu sagement sur une nappe fleurie dans la maison de ton enfance. Ta rangée de biscuits soda soigneusement assemblés dans un plat en verre taillé est restée pleine, droite et fière. Personne n’y a touché. Mais les biscuits sont devenus mous avec le temps. Et tristes. Même le verre taillé a perdu de son lustre. Ce plat d’une autre époque ne servirait plus. Il sera rangé un bon matin au plus profond des grandes armoires du haut, difficiles à atteindre – comme le bonheur. On cache parce que ça fait trop mal. On cache. On jette. On donne. On fait semblant.
Cette nuit-là, le cri que ta mère a poussé n’a pas fait semblant, lui. Il a précédé ceux des milliers d’oies qui ont retenti des jours durant. Alors que je lui bredouillais la nouvelle, assise toute seule sur un trottoir désert qui contournait un stationnement d’hôpital endormi, les oies fortes avec leur long cou, hurlantes, ont donné leur signal de départ. Une lamentation catapultée en plein

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