Nos suicides manqués
35 pages
Français

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Description

Deux centimètres. À deux centimètres près, l'incontrôlable René Le Bihan se logeait une balle dans le cœur et tirait sa révérence. Désormais, il ne pense plus qu’à s’échapper de l’hôpital psychiatrique où il a été interné et à préparer son prochain braquage.
Son chemin va brutalement croiser celui de Florence, « petite déglinguée » rêveuse qui cherche à s’évader d’une vie étouffante. Ensemble, ils vont s’enfuir vers l’océan, s’engager dans un contre-la-montre amoureux sous haute tension, s’accrocher désespérément l’un à l’autre. Mais ils ne parviendront peut-être pas pour autant à éviter la chute...
Un court thriller intense et poétique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 juin 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782363154279
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0005€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Nos suicides manqués
Christophe Esnault
ISBN 978-2-36315-427-9

Juin 2015
Storylab Editions
30 rue Lamarck, 75018 Paris
www.storylab.fr
Les ditions StoryLab proposent des fictions et des documents d'actualit modernes et grand public pour un nouveau plaisir de lire.
Couverture © Shutterstock - Artem Efimov

Table des mati res

Nos suicides manqués
Biographie
Dans la m me collection
Nos suicides manqués
ce besoin vital pour lequel je mourrais
être aimé

SARAH KANE
4.48 Psychose
Sa liberté se résume à une fenêtre à l’ouverture partiellement condamnée. Les allées et venues de René perturbent son compagnon de chambre. Un grand type fluet et édenté qui passe son temps à jouer aux cartes. Des batailles ouvertes avec un comparse imaginaire et un joker dans son jeu. Cela fait quinze jours que René traîne ici. Ne supporte pas le lieu. Une vue triste à crever sur des bâtiments en béton. Les médicaments à coincer sous la gencive, parce qu’il ne tient pas à devenir un zombie. Les autres résidents, siphonnés, qu’il croise dans les couloirs. Le personnel soignant, bien gentil et attentionné, persuadé d’habiter du bon côté du portail. Le psychiatre qui le ferait presque hurler de rire, et à qui il faudrait qu’il parle de sa mère et pourquoi pas de sa petite enfance qui l’a conduit à la cambriole et à la rue… Putain, qu’est-ce qu’il fait là ?! Personne ne daigne lui dire quand il va enfin sortir. Alors, il ressasse. La bouteille et les couvertures. Les tentes de la Croix-Rouge à trente mètres de Beaubourg. Les touristes qui lâchaient parfois des billets énormes pour une photographie qu’ils pourront montrer en rentrant chez eux, au Japon, en Allemagne ou ailleurs. Des jours où il empochait plus que les esclaves du métro et du turbin… Bien sûr, il y avait les embrouilles pour la thune et le froid. Les Roumains et les jours de pluie… Les ramassages, les cellules de dépôt, les nettoyages au jet d’eau. Et ce terrible été où son pied était si moche qu’il avait craint la gangrène et l’amputation… Mais bordel, séjour carcéral mis à part, il avait toujours été libre. Avec personne sur le dos, ni une heure fixe pour avaler le contenu d’un plateau-repas. Pour parfaire la journée, il a un rendez-vous avec le psychiatre dans cinq minutes. C’est si facile d’être du bon côté du monde, avec un beau salaire, une maison déjà payée et la femme qui va avec, parce que vous êtes tellement rassurant pour jouer le rôle de l’imposteur : le bon géniteur élu parmi la multitude. René se prépare à l’entretien, mimant quelques crochets et coups de pied foudroyants à hauteur d’arcade. L’infirmière ouvre la porte.
– Le docteur vous attend.
– Je préférerais passer vingt minutes avec vous sur le lit.
– Je suis mariée.
– Ça ne me dérange pas.
– Ce n’est pas comme ça que vous trouverez une compagne.

Le cabinet du psychiatre est à l’étage en dessous. Il descend par l’escalier. Frappe à la porte. Le docteur vient lui ouvrir et lui serre la main.
– Asseyez-vous.
Pourquoi se prêter à ce jeu ? Accepter cet entretien ? Il aurait pu refuser. Mais il est là pour tenter d’obtenir quelque chose et il va falloir dire exactement ce qu’il faut. Réfréner son envie de saisir le coupe-papier posé sur le bureau et de traîner le psy devant le sas de l’accueil pour qu’on lui ouvre les putains de portes. Il se tait. Observe la décoration derrière le toubib. Une reproduction d’un dessin de Léonard de Vinci, une petite bibliothèque, une édition récente de la Bible, des romans et des livres d’art.
– Je n’ai rien à faire chez les dingues.
– Les gens viennent souvent ici pour des périodes transitoires. Ensuite, ils retournent chez eux, retrouvent leur famille et reprennent leur travail.
– Vous savez très bien que je ne vois plus ma famille et la plupart des boulots sont aliénants. Je refuse d’être un esclave moderne.
– Ce n’est pas systématique, il y a des professions intéressantes…
– Qu’est-ce que vous en savez ? Vous êtes entré dans une ANPE ou dans une agence d’intérim ces derniers temps ? Non, vous en savez que dalle.
– Vous avez réfléchi à ce que je vous ai dit la dernière fois ?
– Oui, oui, très drôle. Je me tire une balle de calibre 7.65 à deux centimètres du cœur et c’est en soixante-cinq que je suis né. Bravo docteur. Mais gardez ça pour vos séminaires… Et dites bien que ma mère est morte des suites de l’accouchement. La culpabilité, sans doute…
– Si vous avez une explication moins sotte à votre geste, dites-moi.
– Je savais que j’allais me rater et serais pris en charge par un service hospitalier, puis confié aux bons soins d’un médecin de l’âme. Celui-ci me délivrerait de mes tourments en écoutant le récit de mes premières années et de la façon dont ma nourrice m’emmenait sur le pot.
– Je vois que vous avez lu quelques livres.
– Il y avait une bibliothèque à la centrale. C’est un lieu privilégié pour lire Surveiller et punir . Mais si j’évoque Foucault, je prends le risque que vous soupçonniez chez moi une probable homosexualité refoulée.
– Vous auriez pu reprendre des études.
– Oui, j’aurais choisi médecine pour m’asseoir dans votre fauteuil quand vous partirez à la retraite.
– Vous êtes peut-être ici pour vous préparer à quelque chose de différent ?
– Je me prépare psychologiquement à vivre une grande histoire d’amour. Je crois même que je suis prêt. Vous me préparez les papiers de sortie ?
– L’amour ?
– Pure déconnade. J’en ai rien à foutre de l’amour. Ça aussi c’est un truc à tomber en esclavage. Ou sous la torture… Je ne suis pas maso. Les histoires à sentiments, moi, je n’en ai pas besoin pour enjoliver ou justifier la bagatelle.
– Poursuivez.
– Seuls les couillons trop crétins pour dégotter rapidement une autre fille s’accrochent à celle qu’ils ont.
– Et vous êtes un séducteur.
– Je me débrouille. Ce ne sont pas les femmes qui manquent…
– Et vous vous tirez une balle dans la région du cœur quand la dernière d’entre elles est dans la salle de bains. Juste après l’amour.
– C’est écrit dans le dossier ?
– …
– Quand on a raté sa vie, on souhaite réussir sa mort. C’est sans doute orgueilleux, mais je m’en fous pas mal.
– Et c’est quoi réussir sa vie ?
– Je crois que personne n’y parvient jamais.
– Je ne suis pas satisfait de votre réponse. Vous m’en direz plus la semaine prochaine. Je sais que vous souhaitez partir et je ne tiens pas à vous garder trop longtemps, mais soyez patient encore un mois. Ça me semble bon pour vous.
– J’ai envie de faire un tour dans le parc. Je deviens fou sans prendre l’air. Passez un coup de fil à l’accueil pour m’autoriser à marcher ailleurs que dans ma chambre. Faites-le ou je ne viendrai plus vous voir.
– Vous me faites du chantage ?
– Je vous le demande.

Le médecin le raccompagne jusque devant la porte et lui serre la main.
– Vous êtes en progrès, vous ne m’avez pas insulté ni menacé de me casser la gueule aujourd’hui. À mardi prochain.
– …

Sa veste de cuir passée sur le dos, il se tient devant l’hygiaphone. La secrétaire ne semble pas pressée de s’occuper de lui. Elle trifouille des paperasses. Finit par lui demander :
– Votre nom ?
– René Le Bihan.
Elle regarde sur son ordinateur.
– Vous n’avez pas d’autorisation de sortie.
– Le docteur Martin me l’a accordée.
– Je n’ai rien.
– Appelez-le, demandez-lui. D'ailleurs, je veux juste faire une balade dans le parc, je reviens dans une heure…
Elle saisit le combiné. Prononce quelques mots et appuie sur un bouton qui déclenche l’ouverture de la porte. Il fait quelques pas et une autre porte qui donne directement sur l’extérieur est fermée.

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