Catholiques et protestants, théologiens du Christ au XXe siècle
287 pages
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Description

Cet imposant volume écrit par deux théologiens, l’un catholique, l’autre protestante, propose de dégager un panorama dynamique de la christologie du XXe siècle à travers la présentation de vingt théologiens majeurs associés en dix « tandems » protestant-catholique regroupés selon une logique qui est globalement chronologique: A. Schweitzer / R. Guardini ; K. Barth / H. Urs von Balthasar ; R. Bultmann / K. Rahner ; G. Ebeling / L. Boyer ; W. Pannenberg / W. Kasper ; D. Sölle / E. Schillebeeckx ; E. Jüngel / A. Gesché ; J. Moltmann / J. Ratzinger ; J.H. Cone / L. Boff ; G. Theissen / J. Moingt. Sans tendre vers une théologie œcuménique, ces dix mises en regard dégagent quelques convergences fortes :

  • La valorisation de l’humanité de Jésus est indissociable d’une réflexion sur l’histoire. La christologie a bien trait à Jésus de Nazareth.
  • La reconnaissance de ce Jésus comme Christ s’origine dans une expérience de foi personnelle qui engage à penser non seulement la tradition de sens dans laquelle elle est vécue, mais encore le contexte du XXe siècle avec ses bouleversements.

Pour chaque auteur, la proposition d’une biographie, d’une présentation de sa christologie, d’un texte original et de quelques orientations bibliographiques renforce cet ouvrage dans son caractère d’introduction particulièrement pertinente à la christologie de théologiens chrétiens parmi les plus significatifs.

Une collection de référence en christologie sous la direction de Monseigneur Doré.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2011
Nombre de lectures 54
EAN13 9782718907574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0187€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© 2009, Mame-Desclée, Paris Tous droits réservés pour tous pays ISBN : 978-2-7189-0757-4
Présentation
I.
e J’ai de longue date annoncé que la collection « Jésus et Jésus-Christ » irait à son 100 numéro – et s’arrêterait là, ayant alors en somme, et si tout allait bien jusqu’à ce point, o rempli son rôle et accompli sa tâche. Voici qu’elle atteint maintenant son n 96 : le terme n’est donc plus très loin. À quatre numéros seulement de la fin (prévue pour 2011 à raison de deux titres par an), il convient de faire brièvement le point. Alors même que le lancement de cette série d’ouvrages remonte désormais à un peu plus de trente ans (1977), je tiens avant tout à remercier les auteurs de leur grande confiance, les lecteurs de leur belle fidélité, les libraires de leur compétente et précieuse connivence, enfin mon éditeur de son bienveillant accueil et de son efficace soutien. Mais il me paraît aussi indiqué d’apporter quelques précisions sur le proche avenir, c’est-à-dire sur la « suite et fin » de notre entreprise. Dans cette collection d’emblée déclarée comme « croyante, chrétienne, catholique » o (n 1, p.121), nous avons dûment fait place également aux approcheschrétiennes non-catholiquesMystère de Jésus et Jésus-Christ, à savoir aux doctrines christologiques du o o de Luther (n 48), de Calvin (n 44, réédité en 2009 à l’occasion du cinquième centenaire o de la naissance du grand réformateur de Genève) et des Marginaux de la Réforme (n o o o 54), aussi bien qu’aux traditions russe (n 67) et gréco-orthodoxe (n 63 et n 91). Il nous reste cependant encore à honorer la voie anglicane-britannique : nous nous sommes adressés à D.W. Brown pour combler cette lacune comme il convenait. Bien entendu, dans la vaste panoplie des approchesnon-chrétiennesde Jésus-Christ à travers les siècles, on aurait pu élargir bien davantage encore l’investigation déjà o opérée… Si l’on se reporte à la programmation d’ensemble que publiait le n 75 (p.155-157), on pourra constater que manque toujours, en tout cas et au moins, une étude sur la littérature apocryphe du Nouveau Testament. Je suis d’autant plus reconnaissant à J.-D. Dubois d’avoir accepté de nous la donner, qu’il a bien voulu intégrer à son investigation l’approche gnostique, dont on sait l’importance aux premiers siècles chrétiens. Comme cela s’imposait à l’évidence, la collection a certes su faire la part belle àla Bible,Ancien et Nouveau Testaments bien entendu. Il suffira d’évoquer ici les noms de H. o o o o o Cazelles (n 7 et n 40), P. Grelot (n 6 et n 74), J. Briend (n 93) et alii pour le Premier o o o o Testament, C. Perrot (n 11 et n 70), M. Quesnel (n 47), J. N. Aletti (n 61), M. Trimaille o o (n 92), A. Vanhoye (n 87) et alii pour le Nouveau. Mais nous restons toujours en dette à deux plans : le quatrième évangile et le corpus lucanien. C’est J.-M. Sevrin qui interviendra dans le premier de ces deux domaines, tandis que le second sera traité par M. Berder. Il a paru non dénué de signification de clore l’ensemble de la collection non seulement sur le Nouveau Testament, qui représente en toute hypothèse pour nous la norma non normanda, mais très précisément sur Luc, c’est-à-dire sur l’ensemble néo-testamentaire qui a la particularité de couvrir à la fois : – avec le troisième synoptique, lanarrativité évangéliquede l’événementJésus, – et, avec le Livre des Actes, les conditions originaires de son annonce commeChrist et Seigneuraux premiers temps de l’évangélisation ecclésiale.
II.
Il est clair que le présent ouvrage se suffit à lui-même :mole sua stat. Si je souhaite néanmoins pour ma part le « présenter » à l’égal de ce que j’ai fait pour l’ensemble des numéros qui l’ont précédé dans la collection, ce n’est aucunement pour combler une (ou
des) lacune(s) qu’il comporterait. Les deux co-auteurs prennent soin d’introduire eux-mêmes la série de leurs 20 monographies en précisant selon quelles modalités et avec quels buts ils l’ont entreprise mais aussi dans quel esprit œcuménique ils l’ont conduite tout au long. Corrélativement, ils ne manquent pas de laconclureaprès coup, en faisant le point sur ce qu’ils estiment être ses acquis et ses résultats. Si, cela étant, je poursuis quelque peu ici ma propre Présentation en parlant du fruit de leur travail, c’est dans le seul but de souligner tout l’intérêt qu’il est susceptible de susciter dans le cadre d’ensemble de la collection dans laquelle il paraît. Je tiens d’ailleurs à remercier ici très chaleureusement les deux collègues strasbourgeois d’avoir bien voulu nous en confier la publication. Je relèverai tout d’abord la richesse du parcours effectué : sont ici présentés pas moins de vingt auteurs majeurs ! Et, puisqu’ils le sont précisément pour leur christologie, donc pour ce qui représente le cœur de leur lecture personnelle du christianisme, la présentation dont ils sont ici l’objet constitue de fait une introduction des plus pertinentes à la plupart des représentants les plus significatifs de la théologie chrétienne (catholiques et protestants, cf. le titre) contemporaine. De A. Schweitzer à G. Theissen en passant par K. Barth et R. Bultmann mais aussi par W. Pannenberg, J. Moltmann et E. Jüngel (et alii) côté protestant ; de R. Guardini à J. Moingt en passant par K. Rahner et H.-U. von Balthasar mais aussi par W. Kasper, A. Gesché et même J. Ratzinger (et alii) côté catholique : qui dit mieux, et comment « balayer plus large », dans un ouvrage comme e celui-ci ? N’est-ce pas pratiquement tout le XX siècle qui se trouve de la sorte passé en revue, du point de vue christologique en tout cas ? Je ne m’arrêterai pas sur ce que les co-auteurs disent de la constitution de leurs dix « tandems » comme tels, ni de l’ordonnancement chronologique d’ensemble de leur série. Je relèverai seulement que, et l’étalement dans la durée, et les confrontations en binôme tour à tour réalisées, font apparaître de fortes convergences, d’ailleurs croissantes avec le temps, entre catholiques et protestants. Précisément en matière de christologie, elles se vérifient aussi bien quant aux positionnements adoptés et aux approches pratiquées, qu’en ce qui concerne les positions finalement prises et les propositions effectivement faites. Sur le détail de ces derniers points, je ne puis que renvoyer à la Conclusion co-signée par les deux collègues dont chacun est membre de l’une des deux Facultés de théologie – leur collaboration m’a du reste toujours ravi – de la désormais unique Université de Strasbourg. On me permettra de relever seulement ces traits majeurs qui importent bien sûr considérablement à la problématique d’ensemble d’une collection qui a choisi de s’intituler précisément « Jésus et Jésus-Christ » : – La christologie a bien trait àJésus de Nazareth. On ne pourra que se réjouir de constater que les avancées effectuées dans la conduite de l’approche historique dont il relève (et qui est entrée, nous dit-on, dans une « troisième phase ») nous apportent désormais des éléments dont un certain nombre offrent la plus grande fiabilité du point de vue proprementchristologique. – La reconnaissance de ce Jésus commeChristva jamais ni sans l’engagement ne existentiel de ceux qui sont appelés à prendre position à son sujet, ni sans la prise en compte par eux de leur appartenance effective à la tradition de sens qui a véhiculé jusqu’à eux son annonce, ni sans leur souci de répondre, dans le monde à la fois sécularisé et globalisé d’aujourd’hui, de la démarche de reconnaissance et d’adhésion dont, en tant que théologiens, ils ont estimé pouvoir prendre la responsabilité. – Dans tous les cas, au-delà de la question de l’homme et du sens de son être-au-monde, c’est la question deDieu lui-même qui est soulevée. Non pas tant, à vrai dire, dans son existence « en soi », que dans l’« avec-nous » de son Incarnation qui le fait Emmanuel et, plus encore, dans le « pour-nous » de sa Rédemption qu’il le fait notre Sauveur.
Reconnaissant ensemble Jésus de Nazareth comme le Christ de Dieu, catholiques et protestants croient pouvoir confesser en lui la Révélation duvrai Dieu detous les hommes. + Joseph Doré Archevêque émérite de Strasbourg
NB : Sur la collection « Jésus et Jésus-Christ » et son projet, on pourra se reporter à : o – J. Doré, « Post-scriptum », J. M. Lochman,Christ ou Prométhée ?, (n 1 de la collection « Jésus et Jésus-Christ »), 1977, Desclée, Paris, pages 117-121 ; – P. Colin, « La collection “Jésus et Jésus-Christ” à mi-chemin de son parcours », o Revue de l’Institut Catholique de Paris41, (janvier-mars 1992), pages 161-164 ;, n – J.-F. Bodoz et M. Fédou (éd.),20 ans de publications françaises sur Jésus, collection o « Jésus et Jésus-Christ » n 75, Desclée, Paris, 1997, spécialement laPostface de J. Doré, « La collection “Jésus et Jésus-Christ” a 20 ans », pages 149-157.
Introduction
Le présent ouvrage est le fruit de conférences données dans le cadre de l’« École théologique du soir » qui, depuis trente ans, réunit les Facultés de théologie catholique et protestante de l’Université de Strasbourg, pour l’étude d’un thème à dimension œcuménique. Il ne s’agit pas d’élaborer une théologie œcuménique, mais de présenter, à deux voix, catholique et protestante, des aspects de la foi et de la vie chrétienne, dans l’unité de la foi commune, mais avec le souci d’explorer les différences. C’est dans ce cadre que nous avons souhaité faire le point sur les chantiers en christologie du siècle passé. Mettre différents théologiens du Christ en perspective comparée n’est pas entreprise 1 nouvelle . Nous proposons une forme dynamique, en présentant dix « tandems » de théologiens catholiques et protestants, regroupés selon une logique purement chronologique. Dans cette perspective diachronique, il apparaît mieux comment leur questionnement et leurs propositions se situent en étroit lien avec les événements d’une époque. À partir de là, nous aimerions donner en conclusion des éléments d’une sorte de e radiographie du XX siècle à partir des élaborations christologiques. Nous n’avons pas cherché à dégager des fils conducteurs a priori. Ils sont apparus d’eux-mêmes : une commune quête de l’unité dans la diversité des modèles, un même questionnement herméneutique au sujet du témoignage du Nouveau Testament, une même exploration critique de la tradition, par exemple au sujet de la crédibilité du dogme de Chalcédoine, un même double sentiment, fait à la fois d’engouement pour le Jésus historique et de désenchantement par rapport à la difficulté des réponses, et de décalage par rapport à la foi dans la Résurrection, qui conduit à repenser le lien Dieu-Homme dans des catégories différentes, plus adaptées à la quête des contemporains au sortir de la modernité. Aurions-nous pu nous contenter de présenter un auteur par époque ? Certes. Notre but n’était pas une collection de notices de dictionnaire, mais de placer simplement en vis-à-vis une même quête d’intelligence du mystère dans la diversité des confessions, pour une fécondité à découvrir précisément par ce vis-à-vis. Cette manière de faire nous a permis de vérifier comment les différents théologiens ont pu, à une époque donnée, avoir des intuitions parallèles mais souvent des réponses différentes ; comment ils ont pu s’interpeller et s’entraider. La composition de nos tandems relève d’une certaine liberté, puisque nous n’avons pas choisi nécessairement ceux qui se fréquentent, se commentent ou connaissent des affinités. Ils ne sont donc pas nécessairement « amis de l’autre rive » comme Barth et Balthasar. Notre idée directrice a consisté à parier que, contemporains, dans la même situation ecclésiale et académique, formulant la foi en Christ pour le milieu universitaire et confessionnel de leur temps, nos auteurs se mettraient nécessairement à « parler » de manière plus accessible aux lecteurs, par l’effet de la cohabitation que nous leur avons respectueusement imposée. Notre tâche ne consiste pas dans une nouvelle étude critique, que des experts plus compétents que nous ont déjà largement menée, comme on le constatera dans les différents chapitres. Nous nous contentons d’une lecture de leur œuvre centrée sur les parties ou les ouvrages concernant la christologie, en essayant de montrer la perspective spécifique de chaque auteur, dans une sorte de longue paraphrase. Notre but est d’indiquer les entrées différentes et spécifiques dans la problématique christologique, tout comme aussi le style particulier de chaque auteur. Certains proposent une christologie complète, voire une théologie complètement orientée autour de la christologie, d’autres des éléments épars qu’il s’agit de recollecter.
Ces critères établis, et la fécondité de notre démarche vérifiée, la question sera en fin de parcours de voir si une spécificité confessionnelle se manifeste dans la façon de répondre aux enjeux christologiques. Nous avons en tout cas découvert au départ une spécificité marquée par l’expérience de foi fondatrice ! En cherchant comment chacun met l’accent sur l’interprétation de l’Écriture et de la tradition qui le précède, nous avons été frappés par le fait que chacun est taraudé par un questionnement et marqué par une expérience irréductible et éminemment personnelle, au point que sa théologie en porte la marque irréfutable. Comme l’affirme Eberhard Jüngel : « Au courage de se servir de sa propre raison, correspond en théologie la liberté d’exprimer également ses propres expériences de la Vérité libératrice ; et ce non pas tant dans des formulations 2 personnelles que simplement dans la manière dont “je” fais de la théologie . » Nous l’avons mis en évidence dans chaque itinéraire. Le fil conducteur net que constitue le jeu des réactions et réponses aux prédécesseurs, dans le rapport qu’ils entretiennent avec leurs traditions respectives, apparaît au-delà des tandems, comme un long dialogue poursuivi à partir de la quête du Jésus historique et dans la perspective de la foi de l’Église, à travers oppositions et acquiescements, et aux prises avec les grands bouleversements du siècle. Nous reviendrons en conclusion sur les caractéristiques personnelles, mais aussi ecclésiales et confessionnelles. Mais nous disons ici d’entrée que ce qui marque la grandeur de ces théologiens nous apparaît dans leur capacité non seulement critique, mais aussi autocritique, qui les pousse à convertir sans cesse leur approche, pour une théologie vraimentchrétienne. Les chapitres suivent les tandems suivants : Albert Schweitzer – Romano Guardini ; Karl Barth – Hans Urs von Balthasar ; Rudolf Bultmann – Karl Rahner ; Gerhard Ebeling – Louis Bouyer ; Wolfhart Pannenberg – Walter Kasper ; Dorothee Sölle – Edward Schillebeeckx ; Eberhard Jüngel – Adolphe Gesché ; Jürgen Moltmann – Joseph Ratzinger ; James Hal Cone – Leonardo Boff ; Gerd Theissen – Joseph Moingt. Il manque bien sûr de grands pans de la christologie, qui auraient été passionnants à suivre, par exemple les modèles parascientifiques comme le « Christ cosmique » de Teilhard de Chardin ou la théologie duprocess protestante américaine, les christologies asiatiques et africaines, le Christ versionNew Age… Une réflexion sur les interprétations de Jésus-Christ dans la littérature et les films constituerait un excellent lieu de vérification des préoccupations d’une époque. Nous avons conscience que notre parcours est très germanocentré, mais nous avons voulu nous pencher sur les personnalités « classiques » ou « basiques » en christologie, en tout cas en guise de mise en appétit… Strasbourg, le 9 mars 2009 Élisabeth Parmentier et Michel Deneken
Note du directeur de collection: o Pour P. Teilhard de Chardin, on pourra se reporter au tout récent n 95 de cette collection, signé de A. Dupleix et E. Maurice. o Rappelons par ailleurs : pour la théologie américaine évoquée, le n 41 de A. Gounelle ; o pour les christologies asiatiques, le n 77 de M. Fédou ; pour les christologies africaines, o les numéros (collectifs) 25 et 37 ; enfin pour« Le Christ version New Age »29 de J., le n
Vernette. Concernant « la littérature et les films », deux publications annexes à la collection « Jésus et Jésus-Christ », toutes les deux publiées chez Desclée, méritent de ne pas être oubliées : – H. Agel,Le visage du Christ à l’écran, Desclée, Paris, 1985 ; – A. Dabezies (avec collaborateurs), les deux tomes deJésus-Christ dans la littérature française, Desclée, Paris, 1987.
CHAPITRE PREMIER
Albert Schweitzer – Romano Guardini
Albert Schweitzer 1875-1965
Albert Schweitzer fut contemporain de deux guerres et de deux annexions de sa région d’origine, l’Alsace, à l’Allemagne (1870-1918 et 1940-1945). L’homme pétri de deux cultures et marqué par plusieurs ruptures historiques se fit l’écho de cette crise profonde d’une civilisation ébranlée, marquée pour lui par la décadence de l’homme qui fait fi de la vie et du respect d’autrui. Son œuvre de médecin, de penseur et d’homme de terrain a souvent éclipsé son travail théologique. Il n’est pas christologue, mais historien. Pourtant il a tout à fait sa place parmi les auteurs ici évoqués, parce que ses recherches sur Jésus marquent un passage indispensable pour comprendre ses successeurs, au tournant du siècle, seuil décisif à plusieurs égards. e En effet, les ouvrages présentant la théologie au XX siècle ont coutume de débuter avec la rébellion de Karl Barth contre ses maîtres, situant là le moment-clé où la théologie dialectique puis kérygmatique l’emporte sur la théologie libérale. Il est vrai qu’avec Schweitzer ne se dessine pas un tel changement de paradigme dont les chercheurs sont friands : il apprend et enseigne la théologie libérale qu’il a connue à Strasbourg, et il y restera attaché jusqu’à la fin de sa vie. Il participe ainsi à la mise en crise, au sein de l’école historique de la théologie libérale protestante, du dogme de Chalcédoine : Jésus n’est plus confessé comme Fils de Dieu. Schweitzer se situe pleinement dans ce modèle, et pourtant ce qu’il dit de Jésus n’est pas limité à un Jésus simplement prophète. Jésus n’est pas Dieu et pourtant il n’est pas simplement un homme. Une ambiguïté traverse les conclusions de Schweitzer, et celle-ci se manifeste aussi dans sa conception de la théologie. Certes il reprend les options de la théologie libérale, mais il n’épouse pas sans un esprit très critique la manière de faire de la théologie dont il hérite. S’il est conscient et heureux de faire œuvre savante et labeur d’historien, il le fait au scalpel théologique, creusant avec acribie les présupposés de e l’école historico-critique du XIX siècle, et ses conclusions vont avoir de nombreuses répercussions dans le nouveau siècle. Car il va entraîner la désillusion des collègues. En effet, en abandonnant le « Christ de la foi », les chercheurs de l’école historico-critique au e XIX siècle gardaient l’espoir d’un accès possible au « Jésus de l’histoire » qui permettrait de poursuivre l’expérience des disciples. Or Schweitzer dévoile ce projet comme impasse, et inaugure une période où la théologie devra commencer à repenser les sciences historiques et leur rôle. L’auteur arrive à la recherche théologique à l’issue d’une période appelée aujourd’hui la e « Première quête du Jésus historique », entamée à la fin du XVIII siècle. Avec la naissance de la critique historique et l’apogée des sciences, les théologiens protestants avaient cherché à « libérer » la vie historique de Jésus de Nazareth de l’enfermement ecclésial dans les dogmes de l’Église, pour privilégier l’homme intègre, modèle, prophète, pédagogue. Schweitzer va s’attaquer à une énorme recherche documentaire sur cette quête desVies de Jésus (Leben Jesu Forschung),pour finalement démontrer de manière irrévérencieuse que ces reconstructions manifestent surtout les projections de leurs auteurs. Il signe ainsi le certificat de décès de cette quête du Jésus de l’histoire, à jamais inaccessible. Son analyse y met un point final, constatant la vanité des efforts de ses prédécesseurs historiens : « Il y a une sorte d’ironie dans l’aboutissement des recherches sur la vie de Jésus. On s’était mis en quête du Jésus authentique et on avait pensé qu’on pourrait alors l’installer dans notre temps, en le considérant comme un Maître et un
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