Lutte et contemplation

Frère Roger De Taizé

Description

À la fin des années 1960, le cheminement vers la réconciliation des chrétiens, qui a tant occupé frère Roger, lui semble être en panne. Il se demande : si l’œcuménisme a atteint un plafond, qui fera une trouée ? Seraient-ce les jeunes générations ? Mais beaucoup de jeunes sont découragés et désorientés, la grande crise de 1968 n’a pas abouti à ce qu’ils avaient imaginé : comment partager avec eux une nouvelle espérance ?

Le fondateur de Taizé pense alors à un moyen pour stimuler une recherche : réunir un concile des jeunes. Il sait que pour toucher cette génération exigeante il faut un langage fort et absolu : « lutte et contemplation » est le mot d’ordre qu’il propose.

Les pages rassemblées dans ce livre font découvrir comment frère Roger et ses frères traversent ces années tourmentées. Elles donnent aussi accès aux racines des options actuelles de la communauté de Taizé.

Ce cinquième volume des Écrits de frère Roger réunit Ta fête soit sans fin, publié en 1971, et Lutte et contemplation, publié en 1973. Les pages de journal que contenaient ces deux livres sont enrichies d’autres textes, interviews, lettres aux jeunes, extraits inédits du conseil annuel de la communauté.

Sujets

• Philosophie et théologie
• Religión
• Taizé Community
• Religion
• Taizé
• ?cuménisme

Informations

• Publié par: Les Presses de Taizé
• Nombre de lectures: 3
• EAN13: 9782850403965
• Langue: Français

Extrait

Frère Roger, de Taizé
Lutte et contemplation
Vers le concile des jeunes
1966-1972
Collection Les écrits de frère Roger, fondateur de Taizé
copyright © 2015 Ateliers et Presses de Taizé,
71250 Taizé, France
Photos de couverture : S. Leutenegger
ISBN 978 2 85040 394 1
e-book ISBN 978 285040 396 5
 
Communauté, 71250 Taizé
Tél. [phone]
[e-mail] – www.taize.fr
 
 
Aujourd’hui, le chrétien ne peut pas rester dans les arrière-gardes de l’humanité et leurs vains combats. Il ne va pas s’y laisser enliser  1 .
Dans la lutte pour que se fasse entendre la voix des hommes sans voix, dans la lutte pour la libération de tout être humain, sa place est aux premières lignes.
Tout en même temps, le chrétien, même environné des silences de Dieu, pressent cette réalité essentielle : la lutte pour et avec l’homme trouve sa source dans une autre lutte, toujours plus inscrite au creux de lui-même, en ce lieu où personne ne ressemble à personne. Là il touche aux portes de la contemplation.
Lutte et contemplation : serions-nous conduits à situer notre existence entière entre ces deux pôles ?
Dans le sillage du concile Vatican II
1966-1969
Accueillir une génération nouvelle
Dans les années qui suivent le concile Vatican II, des jeunes de plus en plus nombreux se rendent à Taizé. Frère Roger cherche comment accueillir au mieux cette génération nouvelle, marquée par l’éclatement qui s’est produit en 1968 dans bien des pays.

 
  Dans la communauté humaine à travers le monde, nous voyons surgir partout des durcissements, et aussi une exaspération des nationalismes  2 .
Dans l’Église de Dieu, de grandes régions sont touchées par la contestation. Ce phénomène planétaire est commun à tous les jeunes, dans les pays socialistes comme dans les pays de consommation ou dans les nations les plus pauvres.
À notre insu, une unité à l’échelle planétaire se prépare. Les événements de cette année 1968 sont des soubresauts de cet enfantement. Ces secousses laissent mal pressentir le processus qui, un jour, ira s’accélérant dans le sens d’une unité universelle.
Au cours de cette année 1968, nous n’avons jamais reçu tant de jeunes à Taizé. Parmi eux, nous retrouvions toujours les mêmes besoins critiques. Mais en même temps nous étions comblés par leur amitié et leur compréhension. J’en ai la conviction : avec eux nous allons vers une Église qui sera une communauté de partage. L’heure venue, l’Église saura répondre à sa vocation universelle. Les jeunes s’y préparent.
À nous de tenter d’analyser la contestation venant de la part des jeunes chrétiens, jeunes laïcs, mais aussi jeunes pasteurs, prêtres ou religieux. L’important aujourd’hui est d’éviter la rupture des générations. Sinon, comment vivre en esprit de catholicité ?
***
Panorama aujourd’hui : Il y a vingt ans, personne ne connaissait Taizé. Aujourd’hui, on y accourt de partout. Les jeunes ne sont pas les moins empressés à venir ici. Comment l’expliquer   3  ?
L’important, c’est de savoir lire un signe, écouter une parole prophétique : pour nous écouter chez les jeunes qui viennent à Taizé ce que l’Esprit dit à l’Église. Les hommes de ma génération ont certes de quoi être étonnés de ce qui leur arrive. Bien souvent c’est une parole dure que ces jeunes nous adressent, à nous les chrétiens, vivant au cœur de la vie de l’Église. Cela ne va pas de soi de trouver dans leur violence la parole que Dieu nous adresse. Mais si nous nous fermions à ce qu’ils ont à nous dire, nous n’aurions plus qu’à mettre la clé sous la porte.
D’après vous, l’homme d’aujourd’hui pose-t-il aux chrétiens des questions nouvelles et lesquelles ?
L’homme d’aujourd’hui est dans la situation réclamée par la foi. Il n’affirme pas, il est sans prétention, il cherche, il hésite. Jadis on disait : « Il faut », « nous devons ». L’homme d’aujourd’hui ne supporterait d’aucune façon qu’on lui annonce l’Évangile sur ce ton.
J’ai une grande sympathie pour tous les efforts de l’homme formé aux exigences techniques et scientifiques de notre époque. Plus il est formé, et plus il est humble, plus il perçoit le mystère qui est au-delà de ses découvertes.
Les tentations de l’incroyance, les avez-vous connues vous-même ?
J’ai passé par des années d’incrédulité dans ma jeunesse. Cela me rend proche de ceux qui ne peuvent croire d’aucune manière. Tous nous sommes comme dans une nuit, nous y sommes ensemble. Nous ne savons pas grand-chose de nous-mêmes. Les années passent et nous n’en savons pas plus.
Jamais nous ne pouvons dire : « Je crois » sans ajouter aussitôt : « Viens au secours de mon incrédulité  4 . » Si nous disons l’un et l’autre, c’est qu’il y a dans notre nuit le Ressuscité, une lampe allumée. En la regardant dans une attente contemplative, nous rendons notre nuit paisible. Cette lampe qu’est le Christ, elle brille plus ou moins selon les périodes de l’existence. Il y a des nuits de fête, quand le Christ illumine tout. Mais il y a aussi des nuits épaisses. On nous a trop prêché que l’Évangile pourrait nous donner une plénitude continuelle. Notre nuit est habitée, cela nous permet de la traverser. C’est la seule certitude qui nous arrache à une solitude fondamentale.
***
La Croix: Que pensez-vous des jeunes d’aujourd’hui, que vous voyez sous vos yeux   5  ?
Je les vois dans notre église, je les rencontre personnellement dans une petite chapelle attenante, et il y a peu de jours où il n’y ait pas une parole crue, dure. Cela ne m’émeut pas beaucoup… pas trop, disons…
Des paroles dures à votre égard ?
À l’égard de l’Église. Toujours. Ou alors à l’égard de Taizé qui pourrait, craignent-ils, ne pas contester, renoncer à la contestation.
Comment ressentez-vous les sentiments des jeunes face à un avenir incertain, face à un vide spirituel ?
Il y a certainement en eux une référence au spirituel. Il y a une recherche de communion avec Celui dont ils ne savent pas encore qui il est. Ils en savent le nom mais cherchent, à travers leurs contestations, à trouver son vrai visage. Il y a chez eux une référence au Christ. À nous d’être neufs et de leur dire que, pour nous, il n’y a pas, comme ils le croient, une sorte d’illumination intérieure continuelle, une facilité, une plénitude de la foi. Ce n’est pas non plus un combat acharné que nous menons, mais c’est comme pour tout homme une situation qui nous place entre le doute et le croire.
Des fraternités à travers le monde
Depuis 1951, des frères de la communauté sont envoyés à quelques-uns, en petites fraternités, dans des lieux où ils partagent les conditions difficiles de ceux qui les entourent, d’abord en Europe, puis en Afrique du Nord, puis dans d’autres pays africains. Pendant le concile Vatican II frère Roger noue des liens d’amitié avec des évêques d’Amérique latine, avec des observateurs protestants des États-Unis. Les uns et les autres l’invitent à envisager de telles implantations aussi dans leurs pays. Dès 1965-1966, l’esprit d’ouverture suscité par le concile permet la création de fraternités où les frères de Taizé vivent avec des religieux catholiques : des franciscains à Chicago (USA), des rédemptoristes à Niamey (Niger), des bénédictins à Recife (Brésil) et à Kigali (Rwanda).
Peuples du monde : Frère Roger, pourquoi ces envois de frères à travers le monde   6 ?
Lorsque j’étais jeune, des chrétiens de mon entourage me donnaient l’impression de n’être heureux qu’entre eux. À Taizé, nous avons eu le souci de ne pas rester enfermés. Nous pensions qu’il n’était pas possible de répondre à notre vocation œcuménique en restant tous au même lieu. Le frère Pierre, un des premiers frères de la communauté, a alors animé une fraternité à Montceau-les-Mines, à une trentaine de kilomètres de Taizé. Puis, ils sont allés à Marseille, pour connaître d’autres situations et parce que nos fraternités ont un caractère provisoire.
C’est le père Lebret  7 qui nous décida à aller aux États-Unis. Il nous a dit : « Vous êtes une communauté internationale et vous n’êtes pas présents aux États-Unis ! Or, tout l’avenir des sociétés – qu’on l’apprécie ou non – est conditionné par ce pays. C’est là qu’on trouve les moyens les plus puissants mis au service de la recherche. » I