Journal de Taule
252 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Les portes se referment sur l'auteur pour quatre années. Primo délinquant réduit à un numéro d'écrou, il lui faudra vivre la surpopulation, la crasse, les violences, l'infantilisation, l'arbitraire. Les mois passent, les faits sont relatés sur le vif, y compris lors du procès d'assises traitant du plus gros braquage réalisé en Aquitaine au cours des vingt dernières années. Ce texte rapporte l'amour d'un fils, d'un père, d'un homme, placé dans ce contexte dévastateur.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 68
EAN13 9782296477674
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Journal de taule
Christophe de La Condamine
JOURNAL DE TAULE
L’Harmattan
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55789-5
EAN : 9782296557895
À l’Observatoire International des Prisons section française.



Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se casse.
J’en étais pleinement conscient. À jouer ainsi, la taule m’attendait.
J’avais songé aux violences, au racket et autres délicatesses du lieu, depuis de nombreuses années. Ce que je n’avais absolument pas envisagé, c’était que les pires coups reçus toucheraient l’âme, et viendraient de l’extérieur.
Au Pays du Dedans, cette ville de plus de soixante mille personnes, il y a presque sept fois plus de suicides qu’au Pays du Dehors.
GARDE-À-VUE.

Mardi 7-12.

Interpellation. Je sortais du commissariat de police de Cenon, où je déposais une plainte, pour vol avec violences.
En effet, rentrant complètement saoul le samedi soir précédent, deux individus m’avaient couché au sol pour me dérober portefeuille et téléphone portable.
Ma déclaration sitôt faite, juste avant de franchir les portes pour rejoindre ma voiture, trois ou quatre malabars bloquent mes bras. Ils me dirigent, sans toucher terre, jusqu’à une pièce où je suis palpé. Je n’ai pas d’objet à blesser, ils se calment. On me passe les menottes, et en avant. Nous allons directement à mon domicile pour une perquisition.
Que peuvent-ils avoir à me reprocher ? Ils ne trouvent rien de bien intéressant concernant les faits qui semblent les préoccuper. Seules sont saisies des armes, peu dangereuses : deux matraques, une télescopique, l’autre électrique, un pistolet automatique à gaz, un revolver à balles de caoutchouc en six coups façon flash-ball, de petit calibre : huit millimètres. Il est accompagné de l’acte de cession, nominatif, récent.
Ma boulette de cinquante grammes n’est pas saisie, j’interroge les gendarmes à ce sujet. Cela ne les intéresse pas. Ils m’embarquent.
Avant de les suivre je pose une condition, leur disant : « Ok, je veux bien vous suivre sans scandale. Seulement je ne sais pas où je vais ni pour combien de temps. Alors c’est clair, je vous suis. Mais pas sans prendre quelques affaires. » Ils me laissent remplir un sac plastique de quelques paires de chaussettes, autant de tee-shirts et caleçons. L’un d’eux ajoute : « Si tu as du liquide, prends le. »
Je réponds en avoir un peu dans ma poche, ne pas en avoir besoin de beaucoup.
En fin de matinée, l’interrogatoire démarre. Ils m’expliquent que je suis ici sur commission rogatoire de la juge xxx, concernant un soi-disant braquage au préjudice du péage de Virsac, autoroute A 10, est-ce que je connais ?
Bien sûr, dis-je, j’y passe régulièrement, sans avoir entendu parler dudit braquage.
Et le dialogue, soutenu mais courtois, se poursuit, sans que je n’admette y comprendre quoi que ce soit. Ils exercent une grosse pression psychologique toutefois.
Je souffle un peu pendant la pause déjeuner, et dois payer le sandwich.
L’après-midi, l’interrogatoire se poursuit, la pression s’accroît, je m’interroge toujours sur ma présence à ce sujet.
Le soir, l’un me dit : « C’est fini pour aujourd’hui, tu vas te reposer et on redémarre demain. Mais on va te présenter quelqu’un. » Ouvrant la porte d’une pièce voisine, j’y vois Denis. En simultané le gendarme m’affirme : « Et lui, tu le connais pas bien sûr. »
Denis jette un cri : « Tu peux tout leur dire ! Ils savent tout ! »
Au fond de moi, je blêmis.
La porte est aussitôt refermée, ils m’acheminent vers une cellule de garde-à-vue sans autre commentaire que : « Maintenant que tu l’as vu, tu as la nuit entière pour nous raconter une nouvelle version demain matin. »
On m’enlève lacets et ceinture avant de me placer dans une geôle, le casse-croûte est fourni. Il n’y a pas de robinet, un WC à la turque est sale. Mon sommier sera un coffrage de béton. Le matelas, en mousse, porte une enveloppe déchirée. Pour couchage, deux mauvaises couvertures. Visiblement très utilisées, elles sont chiffonnées au pied du « lit ». Je vais m’en accommoder, il faut dormir au maximum pour affronter le jour suivant.
Comme il fait froid, je me déshabille, ne gardant que le caleçon. C’est une technique apprise à l’armée il y a longtemps. Torse nu, la sueur s’évaporera, m’évitant sa pellicule humide.
J’ai bien supporté la nuit. Réveillé tôt, je satisfais mes besoins, m’essuyant au mieux d’un mouchoir en papier, il n’y a pas de rouleau sur place.

Mercredi 8-12

C’est une nouvelle équipe qui vient me chercher. Lors du trajet, l’un d’eux me demande : « Tu as bien dormi ? » Puisqu’ils me testent sur ma fatigue éventuelle, je les rassure : « Oui, je me suis mis à poil. » Ils échangent un regard et, prenant acte que je n’ai pas entamé mes réserves de sommeil, rebondissent avec démagogie. « Ha, c’est bien, tu dois faire de la randonnée en montagne. »
L’interrogatoire reprend. Première question, qu’ai-je à leur dire concernant la phrase de Denis, lancée hier soir .
Ma réponse est prête : je ne comprends pas. Je ne comprends pas ; plusieurs fois. Puis, après de nombreuses reformulations, j’envisage une hypothèse. Peut-être qu’il a fait quelque chose de grave, mais que, craignant des représailles s’il dénonçait, il a cité le premier nom qui lui passait par la tête. Ou encore, qu’il m’a cité moi, car j’ai un physique assez peu sportif, et qu’il me craindrait moins que d’autres ?
Et le jeu continue, les équipes tournent, on recommence, certains jouent la confidence, les autres font les méchants. Je reste sur mes positions. Ils font venir un médecin qui constate mon état : tout va bien. Les questions se croisent tous azimuts, je ne me mets pas en porte-à-faux.
Ils essaient une nouvelle technique, inhabituelle en garde-à-vue, du moins pour ce que j’en sais. Ils m’amènent Denis. Assis à mes côtés, il abonde dans leur sens, m’expliquant que tout est joué, je peux me lâcher. Je lui réponds qu’il s’agit de son affaire pas de la mienne, que je ne comprends pas pourquoi il me désigne.
L’heure du déjeuner arrive : sandwich.
L’après-midi s’annonce sur le même mode. Je sais que je vais bientôt voir mon avocat, assurément prévenu par ma mère dès l’arrestation.
C’est un ami de famille. Je sais aussi rencontrer prochainement la juge chargée de cette affaire. Les choses ne pourront que se clarifier.
Vers 14 heures, un officier vient me dire : «D’accord. Tu veux rien dire ? Très bien. Alors voilà ce que l’on va faire. On va perquisitionner partout, chez chacun de tes amis, chaque membre de ta famille, tous ceux qui sont dans ton portable et ton agenda. »
Ils peuvent le faire. Ils l’ont déjà fait, deux ans auparavant, lors de l’arrestation des premiers protagonistes : Georges et Louis.
Alors je demande à faire une pause cigarette. Elle est accordée. Sur le perron, je fume, l’esprit fonctionnant à pleine vitesse. Ma sœur, quelques années auparavant, plus ou moins au courant de mes frasques, avait été solennelle : « Tu fais ce que tu veux, mais tu ne m’envoies pas les flics. »
Du balcon je regarde au loin, au delà du grillage de la caserne. Là-bas il y a la vie, le quotidien, des voitures passent, les uns les autres vaquent, vont et viennent vers telle ou telle occupation. Pour moi, c’est fini. Mégot consumé, je me retourne vers les gendarmes restés d’un silence absolu. « OK, j’y étais. »
Quitte à aller en taule, je négocie un thé de temps à autre ainsi que des pauses clope régulières.
Ils enregistrent mes aveux. J’esquive ce qui peut l’être, jusqu’à ce que vienne la question inévitable : qui est le troisième ?
Ils n’obtiennent que mon silence. J’ai depuis longtemps envisagé cette situation : « Je ne parlerai pas, il y a menace de mort sur ma famille. »
Rebelote, questions indirectes, nouvelles équipes, mais je campe sur cette position.
Au soir, rejoignant la cellule, j’ai droit à une bouteille d’eau et un rouleau de papier toilette. On m’accorde presque du confort.

Jeudi 9-12

Quelques détails sont repris. Pour la fo

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