Le pays séparé
303 pages
Français

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Description

En 1978, l'auteur part en Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid, pour conduire un programme d'études sur le comportement social des primates. Il tente de comprendre le fonctionnement de pensée des intellectuels Afrikaaners. Tout en décrivant ses recherches sur les babouins en milieu naturel, il nous fait pénétrer dans l'Afrique de l'Apartheid, chez les Afrikaaners qui l'accueillent et l'intègrent, et auprès desquels il noue ses principales relations sociales.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 75
EAN13 9782296709850
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le pays séparé
Du même auteur :

Enfances et familles à la Réunion. L’Harmattan, Paris, 2002

Le Singe, l’Enfant et L’Homme.L’Harmattan, Paris, 1996

Rôles et Enjeux. (coédition avec C Ghasarian) Publications de l’université de la Réunion. 1988
Jean-Pierre Cambefort


Le pays séparé


Afrique du Sud, 1978


L’Harmattan
A Lisa, dont l’histoire a commencé en Afrique


A toutes celles et tous ceux qui ont contribué à faire de ces années un chapitre inoubliable et sublime de ma vie.
"If I know a song of Africa, (…) does Africa know a song of me ?


Karen Blixen, "La ferme africaine"


"C’est à l’Afrique que je veux revenir sans cesse, à ma mémoire d’enfant. A la source de mes sentiments et de mes déterminations. Le monde change, c’est vrai, et celui qui est debout là-bas au milieu de la plaine d’herbes hautes, dans le souffle chaud qui apporte les odeurs de la savane, le bruit aigu de la forêt, sentant sur ses lèvres l’humidité du ciel et des nuages , celui-là est si loin de moi qu’aucune histoire, aucun voyage ne me permettra de le rejoindre (…)"


J.M.G Le Clézio, L’Africain. Gallimard
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-13148-4
EAN : 9782296131484

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Prologue 1977
L’enfance et les rêves d’Afrique
La musique délie le ruban de ma mémoire et me reviennent les immenses espaces africains de mes rêves d’enfant. La mélodie aligne une continuité, comme se déroule la piste, qui semble ne mener nulle part, jusqu’à l’horizon infini. Les plaines d’acacias à perte de vue étendent leur platitude jusqu’à ce que l’oeil y repère, à une distance inappréciable, les derniers monticules de pierres rondes, les kopjies, comme des bornes ultimes. La présence anglaise est imprimée sur cette Afrique ancestrale où la mémoire de l’humanité s’est enracinée et où la nature est protégée : conduite à gauche, hommes blancs ressemblant à des cow-boys, chapeaux à rebords, sahariennes, shorts beiges, camions de brousse, Land Rover se perdant dans l’immensité derrière le nuage de poussière sur la piste brûlante et ocre, sous le soleil vertical.
Quelques rengaines ou complaintes anglaises comme musique moderne, country blues en toile de fond musical, voilà ce qu’évoque le paysage Sud-africain à ma mémoire encore vive qui en a fixé et nourri les éléments. Dans ce pays aride pour les trois-quarts, l’homme blanc, anglais et hollandais, s’est installé il y a trois siècles. Poussé par des vagues migratoires descendues du Nord-Est, l’homme noir actuel descend des groupes véhiculant le deuxième âge de fer, qui franchirent le Limpopo à partir du douzième siècle, et descendirent vers le Sud au dix-huitième siècle. L’homme originaire, le San , le chasseur-cueilleur, seul véritable indigène, y vivait depuis des milliers d’années et fut repoussé par les Blancs dans les déserts du Nord et du Kalahari. Des mondes qui ne se sont côtoyés que sous des rapports esclavagistes.
Et pourtant, c’est là que ma mémoire ancestrale, celle de mes désirs les plus anciens, a trouvé un point de connexion, de quoi faire revivre l’appel intérieur le plus précieux, et qui va chercher aux tréfonds de je ne sais quelle empreinte enfantine. Appel des espaces africains, des animaux, de ces immensités où se perd l’imagination avec, comme décor, les livres de Walt Disney que mon père ouvrait sur la table basse du salon, pour la plus grande jubilation de mes yeux d’enfant. Les grands mammifères d’Afrique , ancêtre des livres-reportages sur les beautés du monde, avec des photographies en noir et blanc, et quelques unes seulement en couleur collées sur les pages, me coupait du monde environnant pour un temps d’arrêt semblable à celui du sommeil. L’ineffable de la mémoire enfantine est quelque chose qui parle des profondeurs immenses du désir, des premiers rêves, des premières empreintes.
Vertige. Mes souvenirs d’enfant se perdent dans les profondeurs d’une mémoire collective. L’Afrique n’est-elle pas le berceau de l’humanité en même temps que l’objet d’un mythe que chacun a déjà connu, ou déjà rêvé ? Celui des grands espaces, de la liberté de la vie sauvage, d’un genre de retour aux origines ? Lesquelles ? Un état de paix intérieur où aucun événement ne vient perturber l’équilibre, représenté par le paradis originel des animaux évoluant dans le grand jardin de la nature.

En partant pour l’Afrique du Sud, je renouais avec un vieux rêve qui remontait à mes plus jeunes années, et avait réémergé lorsque j’étais étudiant, quand la vocation m’était venue d’étudier le comportement social des primates pour y trouver les origines de certains aspects du comportement humain. Je désirais partir sur la trace des chercheurs américains, pionniers dans ce domaine, et dont j’avais lu les travaux dans les magnifiques livres de vulgarisation scientifique de l’édition Time Life , qui avaient pris le relais de ceux de mon père. Ils donnaient le goût d’apprendre, d’étudier, ils stimulaient la curiosité. Cet appel se faisait à nouveau entendre, probablement parce qu’il était à la racine de ce qui s’est construit par la suite. Je revois ces grands livres d’images dans lesquels les photos d’animaux d’Afrique m’emportaient au Kilimandjaro, dans les plaines du Sérengeti, dans la forêt dense d’Afrique équatoriale, où les formes monstrueuses des éléphants, rhinocéros et autre girafes, peuplaient mon esprit de la primitivité du monde vivant.
De la psychologie humaine au comportement des singes
Pendant mes études de psychologie à l’université d’Aix, je me suis lié d’amitié avec Damien, un condisciple étudiant de nationalité belge. Il habitait Nice et semblait appartenir à une bourgeoisie de retraités fortunés qui avaient choisi la côte d’Azur pour leurs vieux jours. Nous nous étions trouvés des affinités biographiques très proches, et partagions la même passion pour les sciences, la biologie et les explications multiples que les savants donnaient du monde en général.
Damien était renfermé et solitaire, mais d’une extrême intelligence et d’une grande sensibilité. C’était un grand jeune adulte dégingandé, un peu comme un adolescent qui aurait grandi trop vite. Il était maigre et n’accordait que peu d’intérêt et de soin à son apparence. Son visage anguleux arborait un nez volumineux, des pommettes saillantes et il couvrait son petit front d’une mèche de cheveux rabattue et plaquée comme avec de la laque. A l’époque, les cheveux longs étaient toujours de mise chez les jeunes ; les Beatles et les Rolling Stones nous avaient donné le modèle. On se laissait pousser les cheveux pour désobéir aux parents ou en tout cas, pour nous démarquer des critères de la bienséance. Il était toujours habillé en sombre, portant pendant tout l’hiver, un grand manteau noir ressemblant à une houppelande de berger. Damien ne vivait que pour et par la Science, qu’il plaçait au dessus de toute autre domaine culturel, et la connaissance d’une manière générale. C’était le prototype de l’intellectuel. Il avait sans doute, en plus jeune, quelque chose du Professeur Tournesol, ce personnage des aventures de Tintin qui semblait n’avoir qu’un cerveau pour tout organe vivant et ne s’enthousiasmer que pour le monde des idées et des théories. Damien ne mangeait presque pas, feignait de n’éprouver aucun plaisir corporel ou sensuel. Manger servait à lui apporter des calories qu’il brûlait presque entièrement avec l’organe le plus irrigué du corps, le cerveau, dans sa chambre en cité universitaire où il dévorait les ouvrages d’épistémologie des sciences. Il avait à l’époque une admiration toute particulière pour Bachelard qu’il avait étudié en classe de philosophie, et dont il connaissait parfaitement les idées. La psychologie était pour lui un moyen d’accéder à la biologie et de rejoindre l’étude du comportement animal, dont la passion commençait à mûrir.
Au cours de notre première année de psychologie, entre conversations à la cafétéria et réunions en petits groupes dans les chambres de nos camarades de promotion, nous découvrions ensemble la joie d’apprendre, d’échanger des idées, de nous confronter sur tout ce qui nous différenciait et nous ressemblait, avec bienveillance et respect. Nous conversions jusqu’à l’aube parfois, seuls ou entourés d’amis, en fait de lycéens fraîchement rebaptisés étudiants, sans pouvoir aucunement nous défini

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