Saint-Hilaire-du-Bois, village d Anjou
190 pages
Français

Saint-Hilaire-du-Bois, village d'Anjou , livre ebook

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190 pages
Français

Description

Ce livre cherche à restituer les dernières années intactes de la France des charettes à cheval et des curés de campagne. Un monde à la fois si proche et si lointain. L'auteur, né dans cette commune, puise une grande part de son information dans ses souvenirs personnels, revisités à la lumière d'entretiens et de lectures d'archives. La dimension autobiographique bouscule voire enrichit la gravité savante de la traditionnelle enquête sociologique.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2012
Nombre de lectures 10
EAN13 9782296506305
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Graveurs de Mémoire
G
Philippe Braud
Saint-Hilaire-du-Bois, village d’Anjou Chronique des années 50
Graveurs de Mémoire GR AV EURS DE MÉMOIR E Série : Récits de vie / France
Saint-Hilaire-du-Bois, village d’Anjou
Graveurs de Mémoire Cette collection, consacrée essentiellement aux récits de vie et textes autobiographiques, s’ouvre également aux études historiques*
La liste des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le sitewww.harmattan.fr
Philippe Braud
Saint-Hilaire-du-Bois,
village d’Anjou
Chronique des années 50
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-00084-8 EAN : 9782336000848
Prologue
Car les souvenirs sont doux, tristes ou gais, n’importe. G. Flaubert,Novembre. Pourquoi se souvenir ? Pourquoi réveiller le vécu de cette modeste communauté villageoise au lendemain de la seconde guerre mondiale ? Ce village n’est pas Oradour sur Glane ni Izieu. Donc pas de drames à sauver de l’oubli. L’enfant du pays qui revient sur ses racines, n’a pas non plus la ressource d’évoquer comme le fit Anatole France, né rue Guénégaud à Paris face au Louvre, des lieux imprégnés de culture et d’histoire. Dans ses souvenirs, l’auteur a pu se permettre de décrire les feux de l’incendie des Tuileries, visibles de sa fenêtre, au temps de la Commune de Paris. Rien de tout cela à Saint-Hilaire-du-Bois, au fin fond du Maine et Loire. La grande Histoire n’a laissé ni indice ni trace. L’auteur n’a pas non plus la possibilité de faire défiler dans ses souvenirs les célébrités littéraires ou politiques qui peuplèrent l’enfance de Claude Mauriac, de Dominique Fernandez ou de Frédéric Beigbeder. Ici, on ne croise que des destins restés parfaitement obscurs ; rien d’autre à voir que la vie ordinaire de gens simples. Peut-on espérer retenir l’attention sur des existences vides de notoriété, de gloire ou d’influence ? Pourtant un éminent professeur de Harvard, l’Américain Laurence Wylie, n’a pas dédaigné consacrer un livre passionnant à un village tout à fait comparable : même superficie (une trentaine de km2), même chiffre de population (un peu plus de 1000 habitants), même enracinement géographique et culturel à la lisière des Mauges
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profondément catholiques, et du Saumurois volontiers protestant ou radical socialiste.Chanzeaux, village d’Anjou, a été publié aux États-Unis en 1966 et traduit en français aux éditions Gallimard en 1970. À la tête d’une équipe de dix-sept collaborateurs, Wylie a fouillé l’histoire de cette commune, étudié son système économique, l’évolution de sa démographie, les rapports de la religion et de la politique et, plus généralement, le mode de vie de ses habitants à l’aube des grands bouleversements de la modernité. Il savait l’exemplarité de ce type de monographie pointue. Au fond mon ambition, quoique modeste, est assez analogue ; mais avec une approche totalement différente. En effet le regard porté sur cette commune de l’Anjou est celui de l’indigène. Je suis né dans ce village ; j’y ai vécu toute mon enfance et mon adolescence. Je puise donc largement dans ma mémoire personnelle avec le souci de privilégier les observations et impressions de l’enfant que j’étais alors, tout en les soumettant, avec une bienveillance parfois amusée, au crible de mes repères intellectuels d’aujourd’hui. La dimension autobiographique est donc là, qui bouscule la gravité savante de l’enquête sociologique. Bien sûr, on sait quel terrain mouvant est la mémoire d’un témoin unique. Celle des faits en tous cas ; beaucoup moins, celle des impressions et des émotions. C’est pourquoi je puise aussi dans les souvenirs écrits de plusieurs habitants que j’ai connus personnellement. Ils les ont couchés sur le papier de façon parfois maladroite, mais toujours très vivante. J’y associe les notes de mon père et surtout je tire parti des longues conversations que j’ai eues avec lui, si instructives pour une compréhension de ce mode de vie rural. Arrivé dans ce village en 1931 comme instituteur, avec sa femme également institutrice, il y aura enseigné pendant trente-neuf ans. Enfin, de façon plus classique, j’ai entrepris un travail d’archives et réalisé des entretiens avec des témoins privilégiés, certains de ma génération, d’autres d’une génération antérieure. 6
Pourquoi la vie d’un village rural de la France de l’Ouest en 1950 est-elle un moment d’histoire particulièrement intéressant ? La réponse est simple. Parce que ce sont les dernières années intactes d’un mode de vie qui a traversé les siècles et qui pourtant s’apprête à disparaître : la France des charrettes à cheval et des curés de campagne. Un monde d’apparente stabilité et de réelle lenteur, souvent décrié à ce titre puisque la société moderne présente des caractères exactement contraires. Mais comme l’écrit Pierre Sansot : « La lenteur n’est pas la marque d’un esprit dépourvu d’agilité… Elle peut signifier que chacune de nos actions 1 importe ». Et si la stabilité est souvent synonyme de stagnation, elle a aussi le mérite d’offrir certaines formes de sécurité. Ces rapides considérations ne visent pas à idéaliser un passé qui produisait, lui aussi, ses exclus, ni même à nourrir la nostalgie d’un mode de vie de toute façon défunt, mais plutôt à rappeler la relativité des bienfaits et des inconvénients de tout genre de vie. Ce qui a peu de prix aujourd’hui pouvait en avoir beaucoup hier ; et ce que l’on méprisait, au nom d’opinions qui allaient de soi, est parfois devenu valeur suprême indiscutée. Pour lutter contre le penchant spontané à l’auto-centrisme (pour ne pas dire l’ethnocentrisme) du regard et de la pensée, rien ne vaut la plongée dans des mondes exotiques. Or beaucoup plus que leFishing aux Maldives ou leTrekkingTanzanie (pour en parler comme les Bobos), le voyage dans une petite paroisse de la France rurale des années cinquante nous confronte à un univers culturel authentiquement lointain. Cet univers pourra être jugé avec beaucoup de condescendance, voire d’inconsciente naïveté. C’est en effet par ignorance que les explorateurs européens des nouveaux mondes ont, la plupart du temps, oscillé entre le mépris dédaigneux des « barbares » et l’idéalisation débridée des « bons sauvages ». L’imposition 1 Pierre Sansot,Du Bon usage de la lenteur, rééd. Paris, Rivages, 2000, p. 97. Ce sociologue est aussi l’auteur deLes gens de peu, PUF, 1992, qui fut un grand succès éditorial. 7
d’étiquettes comme celles d’ « arriérés », ou de « réactionnaires », prolonge aujourd’hui ce type d’aveuglements. Il faut beaucoup de disponibilité intellectuelle et d’empathie pour parvenir à comprendre sans préjugés des modes d’existence tout simplement différents du nôtre, réellementautres. En 1950, Saint Hilaire du Bois est un village typique en dépit de ses traits forcément singuliers. Mais typique de quoi ? D’une France encore largement rurale, bien sûr, mais plus précisément d’une vaste région qu’André Siegfried 2 appelait l’Ouest intérieur . Dans cette partie de la France qui s’étend de la Normandie jusqu’au marais poitevin, l’Eglise catholique a conservé une grande influence comme d’ailleurs les notables qui habitent les châteaux. Rien d’étonnant donc si, à Saint-Hilaire-du-Bois, le bourg est dominé par une vaste église romane agrandie au XIXe siècle, tandis qu’à deux kilomètres de là se dresse la masse imposante du château du Coudray dont les premiers vestiges remontent au XIIIe siècle. À l’époque, l’église est desservie par un prêtre assisté d’un vicaire, et le château habité en permanence quoique, depuis Pluviose an VI, par de simples roturiers. La campagne, avec ses hameaux dispersés et bien peuplés, est totalement vouée à l’agriculture car, en dépit de son nom, Saint Hilaire est depuis bien longtemps dépourvu de forêts et de bois. Dans le bourg, cinq ou six maisons, pas davantage, peuvent prétendre, avec un inégal succès, au statut de maison bourgeoise : le presbytère, les habitations de deux marchands de bestiaux, celle d’un propriétaire de carrières, enfin celle de l’instituteur qui a été léguée à la paroisse par un ancien notaire. Le « tissu urbain » pour parler plaisamment comme un fonctionnaire du ministère de l’Équipement, c’est une rue principale bordée surtout d’habitations d’un seul étage ; un réseau restreint de rues
2 André Siegfried,Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIe République(1913), rééd. A. Colin, 1980. 8
secondaires non encore goudronnées, aux maisons souvent humbles, qui débouchent rapidement sur les champs ; au centre, un vaste cimetière à peine séparé de l’église par une petite place étroite où le représentant du maire, juché sur un gros caillou, fait parfois des annonces officielles le dimanche à la sortie de la grand’messe. La mairie, légèrement excentrée, flanquée d’une très modeste école communale, a l‘allure d’une maison d’habitation ordinaire. La devise républicaine a été « oubliée » sur son fronton ; ici on n’est pas dans ces communes de la Creuse ou de l’Allier qui, au contraire, l’inscrivent parfois jusque sur le porche de l’église. Toits d’ardoises et toits de tuiles coexistent partout, les premiers signalant presque toujours des constructions plus récentes. Les pancartes routières, gros cubes de ciment blancs montés sur pied, indiquent : Vihiers 2 kms, La Plaine 9 kms, Saint Paul du Bois 5 kms, Les Cerqueux 5 kms. Un environnement rural donc, puisque Vihiers n’a pas plus de 1600 habitants et que les autres communes en ont moins de 800 et parfois beaucoup moins encore. Bref Saint-Hilaire-du-Bois constitue, en 1950, un échantillon modeste, mais représentatif d’une certaine France blottie à l’ombre de son (remarquable) clocher.
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