Un petit Dauphinois de l Occupation à la Libération
280 pages
Français

Un petit Dauphinois de l'Occupation à la Libération , livre ebook

-

280 pages
Français

Description

Ce récit met en scène Grenoble sous l'Occupation italienne puis allemande, les affrontements entre résistants et collabos, la Libération vécue à Châbons, le retour de captivité du père, la lente reconstruction dans le milieu paysan des Terres froides et la banlieue ouvrière grenobloise.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2012
Nombre de lectures 20
EAN13 9782296507937
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Graveurs de Mémoire
G
Gilbert Bosetti
Un petit Dauphinois de l’Occupation à la Libération
Le temps retrouvé d’une enfance
Graveurs de Mémoire Série : autobiographies / France
Un petit Dauphinois
de l’Occupation à la Libération
Graveurs de Mémoire Cette collection, consacrée essentiellement aux récits de vie et textes autobiographiques, s’ouvre également aux études historiques *
La liste des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le sitewww.harmattan.fr
Gilbert Bosetti Un petit Dauphinois
de l’Occupation à la Libération Le temps retrouvé d’une enfance
DU MÊME AUTEUR : Le Mythe de l’enfance dans le roman italien contemporain, 1987, ELLUG, Grenoble, 374 p. L’Enfant-dieu et le poète, Culte et poétiques de l’enfance dans le roman italien du XXe siècle, 1997, ELLUG, Grenoble, 423 p. De Trieste à Dubrovnik. Une ligne de fracture de l’Europe, 2006, ELLUG, Grenoble, 417 p.
© L'Harmattan, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-99377-8EAN : 9782296993778
Sur la véracité des réminiscencesDes souvenirs de ma lointaine enfance, on pourrait croire qu’ils sont d’autant plus authentiques qu’ils sont intimes. Néanmoins, à ces images mentales plus ou moins floues et évanescentes au fil du temps, peuvent se mêler des fantasmes ultérieurs. Certains scénarios semblent pourtant nets, sans doute parce qu’ils ont été verbalisés, l’enfant ayant raconté aux siens ce qu’il venait de vivre. Or sa relation a pu travestir l’événement par une exagération épique ou au contraire une omission due à la pudeur. Autre déformation possible : on se revoit enfant dans une scène où l’attention du môme devait vraisemblablement se concentrer sur ce qui se passait autour de lui plutôt que sur lui-même ; ce cas de figure laisse soupçonner l’apport d’un témoin dans l’élaboration de la souvenance. Par exemple, les parents ont pu commenter et refaçonner l’événement en le racontant par la suite à leur fils plus âgé. Malgré toutes ces réserves, l’évocation de certaines scènes a ressuscité des émotions enfouies qui m’ont permis de retrouver le cœur d’enfance qui survit en moi et que je distingue de souvenirs qui se rapportent à mon enfance sans que j’en détienne l’exclusivité. En effet, dans cette autobiographie se côtoient des événements dont le moi enfant fut le protagoniste ou le témoin direct, mais aussi des témoignages de tiers, famille ou amis qui permettent de restituer le climat d’une époque. Les souvenirs qui m’appartiennent en propre indubitablement sont des révélations : l’enfant ne s’était confié à personne. Tous relèvent en tout cas de ma subjectivité. J’ai voulu être sincère sans prétendre restituer une vérité historique qui n’est pas l’objet de cette quête. Certes, la mémoire nous joue des tours. Les erreurs les plus fréquemment repérées concernent la chronologie. Ainsi l’explosion qui fit sursauter le môme de cinq ans pendant qu’on langeait le bébé Georges n’était pas celle du Polygone, comme je le crus d’abord, mais celle de la caserne de Bonne, parce que c’est cette dernière qui a eu lieu de bon matin. Or je revis en détail une séquence de ce matin-là, mais c’est la date de naissance de mon cousin qui m’a révélé le mois et l’année. Là n’est pas l’important. Ce qui compte dans les premiers pas d’une vie, ce sont les émotions et les sentiments qui nous ont marqués pour le reste de l’existence. C’est la résilience du ressenti qui forge un caractère avec ses forces et ses faiblesses. Entrent aussi en compte les illusions enfantines et les moments où
5
elles se dissipent. La véracité des souvenirs n’est pas à rechercher dans l’objectivation d’une réalité mouvante. Elle s’inscrit dans leur subjectivité profonde, dans leurs retentissements affectifs. Néanmoins, je ne me suis pas couché sur un divan de psychanalyste. Pour que ce récit d’entrée dans la vie ne bascule pas en roman familial où le moi fantasme des imagos parentales, il m’a paru plus authentique de relater le ressenti de Gigi à la troisième personne, car ce soi-même enfant est un autre que le moi d’aujourd’hui qui commente à la première personne à l’aide de ce qu’il a appris ultérieurement. C’était Noël, avec notre famille traditionnellement réunie pour cette fête de la Nativité. Notre fille nous annonça la bonne nouvelle que depuis longtemps nous espérions tant : son premier enfant en gestation ! Mon épouse ajouta en contrepoint que mon cœur devrait subir prochainement une remise en état. La roue des générations tournait. Toute existence a un avant et un après au sujet desquels j’avais négligé de m’interroger. Il fallut ce double signal pour que je me rende enfin compte que mon curriculum vitæ retracé à l’occasion de ma retraite n’était qu’une chronologie futile. Nos enfants peuvent témoigner de papa et maman mais que savent-ils des enfants que leurs parents furent jadis ? De même, que connaît l’épouse du temps d’avant ? Mes proches ignoraient mon vécu sous l’Occupation et pendant la Libération en Dauphiné, alors que la moitié de ma vie professionnelle avait consisté à analyser des récits d’enfance pour en évaluer la portée. Je résolus donc de rédiger pour les miens un mémento de mes premières années. Je le voulais bref ; il fut interminable. Durant trois années de stimulants efforts de remémoration, me tança le remords de ne pas avoir accompli plus tôt cette thérapie régénératrice, car trop de parents et de témoins qui auraient pu répondre à mes questions avaient disparu. L’illusion de parvenir rapidement à rassembler les souvenirs les plus déterminants dans la construction d’une identité se dissipa. Je me rendis compte que rien n’est insignifiant dans notre mémoire, que des détails signent une époque, que tout se tient en des destins croisés dans une ville provinciale, que c’est un bonheur de ressusciter un être avec qui l’on a partagé si peu que ce soit, pas seulement mes chers disparus, mais des camarades d’école, des amoureuses, des maîtres. En deçà de ma naissance, se découvraient les tribulations de deux familles émigrées, l’une du canton de Vaud, l’autre du Trentin. Que
6
savais-je moi-même de la jeunesse de mes grands-parents ? Ce que j’ai cru découvrir m’a prouvé qu’elle concernait leur descendance. Il m’était arrivé de raconter aux miens certains épisodes. Les écrire engage davantage. Chercher le mot juste conduit à vérifier, à découvrir un secret dans les archives, à remettre en question soi et l’entourage, à confronter la mémoire vivante de notre vécu avec une Histoire aussi lourde à porter que celle de la Seconde Guerre mondiale en Dauphiné. Grandir à Grenoble sous l’Occupation, ce n’était pas rien. Laisser se dérouler la libre association des souvenirs puis tenter d’y mettre de la cohérence sans porter atteinte à leur authenticité, c’est autre chose qu’inventer un roman, fût-il autobiographique, même si la mode est à l’autofiction. L’autobiographe ne dispose pas de cette liberté créatrice, ce qui ne veut pas dire qu’un mémorialiste n’invente pas malgré lui. Dansle Rivage des Syrtes, souvent Julien Gracq décrit longuement un paysage qui est en fait un paysage intérieur annonciateur de l’état d’esprit du personnage qui va entrer en scène. Si je me prenais pour un romancier digne de ce modèle, oserais-je inventer un ciel de mars changeant au-dessus de Grenoble chaque fois que Gigi se rendait avec sa mère à la gare assister au retour des prisonniers dans l’espoir d’y retrouver le leur ? Oserais-je y introduire un beau matin une touche de ciel bleu tendre préfigurant le grand retour ? Pardonnez-moi cette caricature d’un écrivain inégalable, mais ce serait trahir le vécu brut. Du jour le plus marquant de mon existence, deux ou trois images – le quai, la sortie de la gare, l’arrivée rue Franklin – effacent tout le reste. Qu’importe la météo de ce jour J que j’aurais pu retrouver dans les annales du Petit Dauphinois! Elle n’appartient pas au vécu de l’enfant d’alors. Lorsqu’un souvenir lointain émerge, il comporte peu de qualités sensorielles par rapport à une perception naturelle parce que la souvenance concerne l’affect plus que la représentation. Le miracle de la madeleine chez Proust n’est lié qu’à une seule sensation. Les évocations les plus riches de laRecherche du temps perdu, en ce qu’elles sollicitent les cinq sens, ne sont pas la manifestation d’un simple souvenir mais le fruit du grand art du romancier. Il se peut que malgré moi j’aie habillé une scène d’une touche de couleur improbable. Néanmoins la véracité est garantie par le ressenti émotif qui m’habite encore. Même la plus banale des vies est tissée d’une suite de rencontres anonymes qui finissent par lui donner du sens ou du moins dessiner
7
un chemin. Giuseppe Tomasi di Lampedusa notait en relisantLa Vie d’Henry Brulardl’État devrait imposer à chaque citoyen de que rédiger ses mémoires. Non pas pour en attendre une œuvre d’art, mais parce que tous ces témoignages accumulés seraient riches d’enseignements, ainsi que l’avait compris notre concitoyen Stendhal en identifiant dans son enfance le cœur de sa personnalité. Cette thérapie de reconnaissance m’a permis de mettre au jour quelques scènes qui me hantaient dans l’ombre portée de ma démarche mais aussi, comme aimantés, une multitude de détails qui, assemblés, finissent par dessiner le tableau provincial et populaire d’une époque révolue. Elle fera soupirer ceux qui l’ont vécue et sourire les habitants du village planétaire virtuel où aujourd’hui les humains communiquent. La plupart des gens simples évoqués dans cet ouvrage ont disparu ; j’ai tenté de les sauver d’un oubli irrémédiable en laissant leur nom. Qu’ils revivent au moins le temps d’une lecture.
8
L’aurait-il donc laissé partir sans l’embrasser ? Le 23 août 1939, le petit Gigi atteignit son deuxième anniversaire mais ses parents avaient-ils vraiment le cœur à la fête ? Ce jour-là en effet, la France et le monde apprenaient que l’Allemagne nazie et la Russie soviétique avaient signé un pacte de non-agression. Quelques semaines plus tard, son père Romane était mobilisé comme des millions de jeunes Français. Cette coïncidence entre ma date anniversaire et le point de départ d’un engrenage fatal, je la découvre seulement au moment où je commence cet ouvrage. Dans ma mémoire, rien n’émerge de ces jours-là. Mes souvenirs d’avant-guerre ne sont pas authentiques ; comme souvent, le moi se les approprie à partir des récits réitérés des parents. Ayant lu par vocation des dizaines de récits d’enfance, sincères ou arrangés, je n’ignore pas que les prétendus « premiers souvenirs » sont des pièces rapportées. Ils sont généralement liés soit à un exploit du môme qui a étonné les siens, soit à une frayeur due au péril encouru par le cher petit du fait de l’inattention parentale, d’où le besoin de confesser comment le bambin en a réchappé. Bref, dans les deux cas, des miracles. Que me reste-t-il donc en mémoire de cet avant-guerre ? Deux scènes, que seule maman Érica a pu raconter à son fils unique, plusieurs fois, innocemment, sans doute avec d’autres scènes que le fiston n’aura pas retenues. Par ce double filtrage opéré par la mère et son petiot durant l’éloignement forcé du mari, elles sont donc à méditer comme révélatrices des relations affectives du trio. L’entrée en scène de Gigi dans le roman familial se place sous le signe du caprice. Un caprice pointé par la mère mais que l’enfant a assumé non sans fierté puisqu’il a repris, si j’ose dire, le conte à son compte. Son père Romane, ouvrier monteur chez un petit artisan en plomberie du nom de Pesselier, avait assez économisé pour s’acheter une moto avec un side-car, bien que le pays eût traversé non sans dommages la grande dépression du début des années trente. L’obtention d’une semaine de congés payés grâce à la victoire du Front populaire avait sans doute permis et motivé cet achat qui offrait au couple, marié en 1934 à l’église Saint-Louis de Grenoble, la possibilité d’aller voir la famille maternelle dans les Terres Froides et de découvrir la beauté des Alpes. Pour cette modeste famille
9
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents