Journaux intimes
288 pages
Français

Journaux intimes , livre ebook

288 pages
Français

Description

Une image d'Epinal est liée au journal intime, celle d'une demoiselle en train d'écrire sur son cahier ses secrets d'amour, ses espoirs, son mal de vivre. Quand l'on se met à l'écoute du monde des journaux intimes, on s'aperçoit rapidement de l'existence de pratiques très distinctes. Les adolescentes romantiques sont présentes, bien sûr, mais à côté d'elles se trouvent des femmes et des hommes aux histoires différentes, de tous âges et de toutes conditions sociales. Il est ici question de journaliers plus ou moins réguliers, de prolixes prosateurs, de conservateurs de papiers, d'emplisseurs de cahiers, de rêveurs ou de chercheurs plume à la main... Ils ne sont pas écrivains, une minorité d'entre eux l'ambitionne. Que cherchent-ils alors dans l'écriture ? A quoi leur sert de tenir leur journal ? Ce dernier n'a-t-il qu'une vie secrète ? Comment se détermine le choix de la pratique d'écriture personnelle sous forme de journal ? Quelles formes de socialisation peut-elle opérer ? Quels liens existent entre le diariste, son journal, sa réalité sociale objective et subjective ? A partir d'analyse d'entretiens, de données historiques et contemporaines, cet ouvrage propose des réponses à ces questions. Plus largement, il est une invitation à la découverte du monde des diaristes en France aujourd'hui.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2000
Nombre de lectures 73
EAN13 9782296325043
Langue Français
Poids de l'ouvrage 9 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

JOURNAUX INTIMES
Une sociologie de l'écriture
personnelleMalik ALLAM
JOURNAUX INTIMES
Une sociologie de l'écriture
personnelle
préface de Philippe Lejeune
L'Harmattan L 'Harmattan Inc.
5-7,rue de l'ÉcolePolytechnique 55, rue Saint-Jacques
75005 Paris - FRANCE Montréal (Qc) CANADA H2Y lK9@ L'Harmattan, 1996
ISBN: 2-7384-4605-1Un lieu pour ça
Que soient ici remerciées les personnes grâce à qui
ce livre a pu exister car elles ont bien voulu me parler de leur
pratique et ont répondu avec patience à mes questions.
Que soient aussi remerciées toutes les personnes
dont la contribution volontaire a penni la réalisation pratique de
ce livre.Préface
Il Y a deux manières d'étudier les journaux intimes.
La première, cela semble évident, consiste à lire les textes.
C'é'st la méthode suivie par les auteurs d'études désormais classiques
sur""1e genre, comme Alain Girard .et Béatrice Didier.
Cette méthode a deux limites.
On ne peut lire que des textes publiés. L'édition privilégie les
textes d'écrivains, ou de personnes notoires. Or l'immense masse des
joufQ.aux est tenue sans idée de publication. Quand il s'agit
d'inéonnus, l'édition opère une sélection et une mise en forme qui
éloigne de l'original. De toute façon, les journaux d'inconnus publiés
sont rares. Resterait à fouiller dans les archives publiques. Elles ne
sont pas riches en journaux intimes, et de toute façon elles ne donnent
accès qu'aux pratiques d'autrefois.
Seconde limite: le journal est une pratique, dont le texte est le
produit. Rien n'est plus difficile à comprendre, plus opaque sur la
personne, et. sur la pratique elle-même, que le texte d'un journal. Pas
commode de lire entre les lignes. Souvent on désire un contexte (c'est
pour cela aussi qu'on étudie de préférence les journaux d'écrivains ou
de personnes célèbres). Il arrive que le journal se commente
luimême, mais ce «métadiscours» est un rituel lui-même à intetpréter, un
imaginaire. Bien des aspects de la pratique lui échappent. Les choix et
censures. Le rôle des communications du journal. Ou, cela a l'air bête
à dire - la destruction. D'après les enquêtes que j'ai pu faire, le sort
nonnal d'un journal est d'être détruit.
D'où l'idée d'avoir recours à une seconde méthode,
apparemment opposée: interroger les diaristes sans lire leur journal.
C'est la méthode que j'ai pratiquée de manière sauvage il y a
quelques années. Etablir un questionnaire et l'administrer à des
groupes dans un cadre scolaire ou universitaire, ou lors de réunions.
On a ainsi des centaines de réponses d'une population qui n'est pas
triée, faite de non-diaristes et de diaristes. Ou bien lancer dans la
presse un appel au témoignage: là, bien sûr, les répondeurs se trient
eux-mêmes en répondant, plus question de penser à quantifier, mais
les longues lettres reçues contiennent une infonnation qualitativement
très riche, et en contexte.
Malik Allam, dans l'étude qu'on va lire, pratique cette seconde
méthode de manière moins sauvage que je ne l'avais fait, en
7sociologue méthodique qu'il est. fi a choisi la voie de l'entretien. Son
questionnaire est très large, il déborde la pratique du journal, la resitue
dans le contexte d'une trajectoire sociale et d'un itinéraire personnel.
Les entretiens, mieux que les lettres, permettent d'éclairer tous les
a'spects, et d'éprouver les hypothèses au moment même où l'on
récueille l'information.
.
Sa population comporte dix-huit personnes, dix-huit «cas»,
dont six font l'objet d'une étude plus approfondie, et dont les douze
autres' servent à vérifier et nuancer les premières conclusions.
Sociologue, Malik Allam est en même temps diariste : il tient
~.Journa1 de sa recherche, et nous allons lire son étude comme un
petit roman. Comme dans un policier, nous suivons la démarche de
l'enquêteur, nous voyons les pistes se construire, et nous pouvons,
puisqu'il nous livre l'essentiel des entretiens, les discuter avec lui.
Mais en même temps chaque étude de cas se lit comme une nouvelle.
Certains éléments se prêteront à la généralisation. Mais chaque
journal est différent, et doit être compris, avec sympathie, dans le
contexte d'une existence entière.
J'ai parlé d'enquête. Elle aura bien des facettes. Mais elle se
développera autour d'une piste principale: dans l'intime, cherchez le
social.
Le diariste qui se retire dans sa chambre devant son cahier a le
sentiment d'un tête-à-tête avec lui-même. Il s'isole, se ressource,
reprend contact avec son moi profond. Ecrivant sa vie, il en redevient
l'auteur, le démiurge. Ce sentiment, très sincère, d'autonomie, est
exploité dans les thérapies d'inspiration jungienne qui proposent des
«ateliers» de journaux, comme le fait Ira Progoff aux États-Unis.
Pour Malik Allam, ce moment de repli vers l'intériorité et de
reprise en main est lui-même une étape dans un processus social dont
il analyse l'amont et l'aval. En amont, un processus de détennination :
les conflits et problèmes dont se nourrit le journal sont, comme notre
identité même, le produit de l'histoire familiale et sociale. En aval, un
processus d'adaptation: loin d'être une rumination stérile, le journal,
même s'il n'y arrive pas toujours, nous aide à mieux naviguer...
Je laisse à Malik Allam le soin de vous expliquer comment, et
reviens aux problèmes de méthode.
Lire les journaux, ou interroger les diaristes : l'idéal serait bien
sûr de combiner les deux. Mais la chose est délicate. Lire le journal,
qui continue à être tenu, d'une personne vivante, avec laquelle on est
en relation, c'est un pacte intime plus qu'une démarche scientifique.
8On ne conseillera à personne de se lancer dans une telle aventure. Il
est déjà périlleux, même sous pseudonyme, d'analyser un entretien.
Mais disséquer un journal...
C'est une des vertus de la littérature que de nous offrir des
oojets de réflexion qui laissent au lecteur distance et sérénité.
.~?'. Lisons donc Malik Allam et, à défaut des journaux de ses
informateurs, relisons Amiel QU Stendhal, Marie Bashkirtseff ou
Catherine Pozzi... -ou notre proprejournal, si nous en avons tenu un.
Philippe Lejeune
9PREMIERS MOTS
"Dès qu'elle est proférée, fût-ce dans l'intimité la plus
profonde du sujet, la langue est au service d'un pouvoir. (...)
Mais à nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des
surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu'à tricher
avec la langue, qu'à tricher la langue."
Roland Barthes, "Leçon".1. POINT D'ORIGINE
Je ne sais si l'on peut dater de façon exacte le début d'une
recherche. Par contre, certains faits prennent, avec le temps passé,
Î.:_aspectde moments initiaux. En ce qui concerne cette recherche,
tine anecdote a pris la place de point d'origine. Elle se situe au
moment où, étudiant en maîtrise de sociologie, je cherchais le sujet
de mon mémoire de fin d'année. J'avais commencé alors à tenir,
pour la première fois, un journal de recherche. C'est par la lecture de
deux entrées de ce journal que je vous propose de prendre
connaissance de l'anecdote en question. La première entrée du
journal date du début de l'année universitaire, la deuxième de la fin.
29 décembre 1989
Ici débute ce journal de travail. Depuis quelques mois je n'ai plus
écrit avec le je.
Il Y a trois semaines maintenant j'ai eu l'idée d'écrire, de
travailler pour mon mémoire sur des écrits de jeunes, sur l'intime...
Je ne savais pas encore exactement quoi. Mon envie partait des
petits mots qu'on laisse sur le bord du petit déjeuner au journal
intime en passant par les histoires, les poèmes... L'envie était de
travailler sur cet intime qu'on écrit, qu'on s'écrit de soi à soi.
Quelles fonnes prend-il? Quel degré de sociabilité a-t-il?
Beaucoup d'artistes en ont tenu un, certains toute leur vie,
d'autres à des moments précis et courts. J'aurais pu m'intéresser à
l'un d'eux mais alors je ne parlais plus d'inti

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