Le journal télévisé
138 pages
Français

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Le journal télévisé , livre ebook

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138 pages
Français

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Description

Le journal télévisé a pour particularité de viser deux objectifs contradictoires : faire peur aux téléspectateurs et les anesthésier. Son caractère manipulateur consiste moins en la désinformation qu'en la non-information. Comment réaliser cette prouesse ? Il existe des techniques verbales parfaitement adaptées à un public demandeur d'émotions plus que de discours rationnel.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2007
Nombre de lectures 61
EAN13 9782336279381
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2007 5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296039032
EAN : 9782296039032
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Ouvrages du même auteur Pour commencer Météo Vacances Pédagogie Sport Démocratie Hiérarchies Maladie et handicap Nos chers disparus Victimes Terrorisme et attentats Justice Glissades Emotions Communautés Accidents et catastrophes Ah, la banlieue ! Drames suburbains Gardez le sourire
Le journal télévisé

Jean-Jacques Robrieux
Ouvrages du même auteur
« Jean-Philippe Rameau et l’opinion philosophique en France au XVIIIème siècle », Oxford, Studies on Voltaire and the eighteenth century, n° 238, 1985.

Vocabulaire de l’analyse littéraire , Nathan, 1994 (en collaboration).

Le Rire de Voltaire , éditions du Félin, 1994 (en collaboration).
Rhétorique et argumentation , Armand Colin, 2005.
Pour commencer
Le journal télévisé est au journalisme ce que les sagas de l’été sont à la littérature et ce que les polars version téléfilms sont au cinéma. Sur le sujet des fictions télévisées, on a presque tout dit. En tout cas, presque tout pensé. En ce qui concerne la presse, on a montré les aspects prétentieux des journalistes parisiens et provinciaux, très « Sciences Po » (par exemple Burnier et Rambaud, Le Journalisme sans peine , Plon, 1997) pour railler les manies de folliculaires qui ne manquent finalement pas de talent autant que certains voudraient le dire. Lorsqu’on lit leurs remarques sur le vocabulaire et les phraséologies tournés en dérision, on arrive à sourire de manière complice si l’on est un intellectuel rompu aux techniques de l’écriture, journalistique ou non. En vérité, le propos de ce petit ouvrage abordera un domaine plus éloigné, et surtout plus « profond » : la presse parlée assortie d’images, images que je n’aborderai pas, car cela a été fait maintes fois. C’est le vaste ensemble des manies lexicales du JT qui sera visé ici, regroupant : 1) les commentaires énoncés par les hommes et les femmes-troncs qui se succèdent devant les caméras, et concoctés par des équipes d’experts en banalités, en nunucheries et en non-information, qui guident les premiers à travers les prompteurs ; 2) les prestations verbales stéréotypées des reporters ou de leurs acolytes censés nous informer des événements de la planète ; 3) les vociférations, jérémiades et autres propos plus ou moins consternants que ces derniers ont recueillis et sélectionnés dans le monde des hommes (et des femmes) politiques, des sportifs, des honnêtes commerçants et des braves gens du peuple. toujours prompts à nous gâter de vérités premières et de moralité consensuelle.
On l’aura compris, le JT se veut délibérément tourné vers un bas peuple prétendument taxé de qualités et de défauts que les chaînes de télévision ont bien entendu analysés en vertu des lois les plus avancées du marketing et de la sociologie. En fait, que les téléspectateurs restent ce qu’il sont, et surtout ce que nous voulons à tout prix qu’ils soient, cela nous arrange, nous autres manipulateurs de la sensiblerie populaire, car l’infantilisation est notre métier depuis quelques dizaines d’années, et informer honnêtement tous ces gens, qui plus est, les faire réfléchir, reviendrait à déconsidérer le journalisme pour tous.
Le peuple est râleur et frondeur : on lui montre des scènes d’arrestation de chauffards repentants, ayant dépassé de 10 km/h la limitation de vitesse. Voilà nos petits Gaulois rebelles édifiés. Le peuple a peur pour sa santé : on le rassure avec une interview du professeur Machin et un reportage à la Pitié-Salpêtrière au sujet d’une technique opératoire encore à l’essai, peut-être envisageable dans dix ou quinze ans. Le peuple se sent écrasé d’impôts. Qu’à cela ne tienne, on saura toujours lui montrer quels sont les pays d’Europe où la situation est pire. Le peuple se demande comment sont votées les lois au parlement : on choisit le jour des questions au gouvernement pour lui montrer quelques passes d’armes entre députés en verve (c’est beaucoup plus calme et indolent au Sénat) qui attestent de la frénésie de la vie politique de notre pays. Mais on évite surtout d’insister sur les lamentables images des autres jours qui montreraient une vingtaine de parlementaires endormis en train de voter une loi impopulaire à la suite de trois discours soporifiques d’orateurs peu convaincus. Il vaut mieux gaver les téléspectateurs de « petites phrases », sans humour ni signification, plutôt que d’aborder franchement les contenus et les enjeux des problèmes nationaux. Si le peuple réclame des « débats », ce mot sacré est prononcé deux cents fois par jour, pour nous faire croire à la probabilité d’une démocratie. Qu’est-ce, au fait, qu’un débat ? Ce doit être deux ou trois personnes qui se querellent plus ou moins bruyamment sur un plateau, bardées de diplômes et de titres d’experts. Mais cela peut être aussi, particulièrement au JT, des micros-trottoirs contradictoires de citoyens favorables et de citoyens défavorables à telle ou telle idée. L’absence totale d’argumentation de leur part ne gêne en aucun cas les rédactions des JT. Au contraire, cela réconforte le peuple dans l’illusion qu’il a droit à la parole, tout comme les décideurs. Nombre d’intellectuels n’auront jamais voix à l’antenne, mais on peut entendre régulièrement les récriminations de chasseurs avinés et les oeuvrettes scandées de rappeurs incultes et haineux, au milieu des prêchi-prêcha des autorités vertueuses régulièrement convoquées pour apporter la bonne parole de la science et de la moralité publique. Ce curieux mesclun rhétorique doit correspondre à la conception que la télévision se fait de la démocratie. Navrant.
Pour mettre le peuple en éveil, et surtout pour l’asservir intellectuellement, on doit s’efforcer de lui faire peur, comme on le fait avec les enfants, grands amateurs effrayés de contes de fées. La narration des crimes et des catastrophes naturelles est truffée d’hyperboles destinées à dramatiser tous les reportages. Chaque autorité interrogée doit s’efforcer d’en remettre une tonne sur les serial killers et sur la Shoah, au cas où les imbéciles de téléspectateurs n’auraient pas suffisamment compris que les tremblements de terre, c’est bien triste, que le crime, c’est mal, que la récidive, c’est encore plus mal et que le génocide, c’est pire. On sait que le peuple se repaît de faits divers et, au lieu de le calmer, on lui en offre avec générosité, ce qui ne coûte rien. Certainement pas, en tout cas, en explications ni en arguments. On trouve un consensus tellement facile entre toutes les classes sociales et entre toutes les catégories diverses pour dénoncer, au forcing, ce que les gens n’exècrent pas nécessairement au fond d’eux-mêmes. A entendre tous ces interviewés dûment triés par le casting quotidien du JT, il n’y aurait pas tant d’antisémitisme dans notre pays, pas plus que du racisme anti-musulman chez les Blancs, ni l’inverse. Pas vraiment de discrimination contre les femmes, contre les handicapés, ni d’ailleurs contre qui que ce soit. Les flics exagèrent dans leurs pratiques, mais on a tout de même besoin d’eux : ils manquent seulement un peu de sens du dialogue. Cela signifie clairement que la police doit s’efforcer de négocier avec des dealers et autres incendiaires de voitures, être « sympa ». Autrement dit, on dramatise pour dédramatiser ensuite. Le monde est injuste, et pourtant il n’est pas si mauvais qu’il ne le paraît. Les informations se complètent et se contredisent, cahin-caha, un coup par ci, un coup par là. Les voyous sont certes des voyous, mais ils peuvent avoir un bon fond. Les juges sont de plus en plus répressifs et leurs décisions passablement arbitraires et inquiétantes, mais on nous les montre tellement humains et ils se posent tant de questions ! Les sportifs se crachent à la figure et ne respectent même plus les règles élémentaires du sport ni tout simplement de la bonne conduite en société ; mais, après tout, ils expriment leur virilité et les gamins les adulent. Et de toute façon, les footballeurs font semblant de faire amende honorable après avoir asséné un coup de poing à un arbitre, ne serait-ce que pour pouvoir rester intégrés dans leur équipe de milliardaires, ce qui, dans l’esprit du JT, reste une affaire d’honneur, rien d’autre. Allons donc !
La mission primordiale du JT est de perpétuer l’image d’une France éternelle, pétrie de contradictions, violente mais bonne enfant, fliquée mais à l’origine des sacro-saints droits de l

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