La lecture à portée de main
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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 mai 2008 |
Nombre de lectures | 109 |
EAN13 | 9782296919860 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Le Goût du pouvoir
Conception graphique François Caspar
© L’Harmattan, 2008
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairiehamattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-05416-5
EAN : 9782296054165
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Jacques de Courson
Le Goût du pouvoir
L’Harmattan
DU MÊME AUTEUR
Le Projet de ville
Syros-La Découverte, Paris, 1993
La Prospective des territoires
Éditions du C ERTU,
ministère de l’Équipement, Lyon, 1999
Les Élus locaux
Éditions d’Organisation, Paris, 2000
Brésil des villes
L’Harmattan, Paris, 2003
L’Appétit du futur, Voyage au cœur de la prospective
Éditions Charles Léopold Mayer, Paris, 2005
À Catherine
Mes vifs remerciements pour la lecture attentive
du manuscrit à Dominique Gaudron et
Guy Loinger, et surtout ma grande reconnaissance
à Christophe de Lassus pour l’intelligence et
la pertinence de ses suggestions. Un grand merci
à Corinne Bruno pour sa relecture.
Prologue
Ces récits sont autant d’histoires politiques qui se sont déroulées dans les années 2000, en France, en province le plus souvent. Ce carnet de route est une sorte de saga politique datée, comme une coupe dans le temps, une collection de « vues sur image » du microcosme politique français.
Ces histoires sont-elles vraies ou inventées ? Je répondrai par un poème de Claude Roy intitulé « Crise d’identité » (À la lisière du temps , Poésie/Gallimard, 1998) : « Je ne dis pas que c’est vrai. Je dis que je m’en souviens. » Plus exactement, et à la manière de Blaise Cendrars dans une lettre à Lévesque du 23 décembre 1937, je dirais que « ces histoires sont vraies, non seulement parce qu’elles furent en partie vécues, mais parce qu’elles sont arrivées comme ça et que c’est ainsi que je les ai enregistrées bien avant de les écrire – et avec une autre mémoire que la seule mémoire du cerveau » (Histoire vraies, Denoël, 2003).
Ces histoires ne sont donc ni des reportages ni des récits, mais des nouvelles qui se tiennent, comme dit Cendrars lui-même dans la suite de la lettre citée, « dans un espace instable entre la chronique et la fiction ». Elles n’ont pour objet que d’instruire et de distraire le lecteur autant que de faire valoir « le bon plaisir du conteur tout autant que sa discrétion à l’égard de ses modèles ». Ce livre est donc un « roman » qui pourrait être vrai ou, du moins, dont tous les détails sont vrais, mais dont la trame, les lieux, les acteurs, le scénario et les dialogues sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Gageons cependant que quelques-uns pourront parfois s’y reconnaître.
Elles ne parlent que du pouvoir : sa conquête, son avènement, son exercice, puis sa mort, toujours brutale, et parfois son rebond. Chaque nouvelle est conçue comme une histoire, bâtie autour d’un seul ou de plusieurs personnages réels que l’auteur a rencontrés. Le lecteur pourra s’en rendre compte par lui-même. Tout le reste est littérature.
1 . L’affaire du dépôt
« L’État, c’est moi », précepte légendaire de Louis, le quatorzième du nom. Et chaque Français de conclure que l’État, ses propriétés et ses dépendances, c’est un peu lui-même, ou du moins une part de son domaine royal. C’est ainsi que les Français furent longtemps persuadés que le barrage de la Rance, le T GV , le Rafale, les P TT et la Nationale 7, naguère Renault, le Concorde et le paquebot France, et jadis les forteresses de Vauban, tout cela appartenait à l’État, donc à « nous », et par conséquent à « moi » comme à tous les Français. Et ce sentiment de propriété publique et indivise, qui traverse des siècles d’histoire française, est particulièrement développé en ce qui concerne les attributs de la francité que sont les armes, l’énergie, le train et le tabac. C’est ainsi que les cartoucheries – telle celle de Bourg-lès-Valence dans la Drôme – appartiennent encore aujourd’hui à l’État et que les Français s’enorgueillissent d’avoir la meilleure compagnie de chemin de fer du monde, de fournir l’électricité la moins chère d’Europe et de fabriquer – et distribuer – monopole oblige, même si ce n’est plus vrai aujourd’hui, les cigarettes et autres articles pour fumeurs sur tout le territoire national.
Les élus locaux sont sensibles à cette dimension proprement politique du monopole étatique, parce qu’ils se sentent investis de cette mission sacrée qui consiste à défendre la présence du patrimoine national sur « leur territoire » contre les intérêts privés. Sans compter que ces monopoles faisaient vivre – et le font encore aujourd’hui pour partie – des dizaines de milliers de salariés d’État et leur famille, dont les statuts sont jalousement protégés. Pour les maires des communes concernées, chaque parcelle de ces biens nationaux est ardemment revendiquée comme leur bien propre, le sentiment général – partagé par les électeurs – étant que ces sociétés nationales sont de quasi-services publics dont ils sont les propriétaires indivis et les gardiens vigilants en cas de menace existentielle.
C’est dans ce contexte que s’est déroulée dans la ville de B. l’affaire dite « du dépôt ». Il s’est agi, dans un temps court, de décider et de réaliser la fermeture du plus gros dépôt de la Seita (Société d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes) du sud-est de la France dans les années 1980. Dans toute la France, la S EITA , société d’État depuis 1674, sous tutelle du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, dite « la Régie », était propriétaire du terrain et des bâtiments des établissements. Même si la consommation de cigarettes commençait déjà à décliner – elle va s’effondrer dans les premières années du XXI e siècle, après quelques soubresauts – la S EITA représentait encore à l’époque un véritable empire industriel. Elle achetait le tabac en feuilles à des milliers d’agriculteurs à des prix fixés par l’Administration, puis fabriquait et distribuait les fameuses Gauloises et Gitanes jusqu’au fin fond des campagnes françaises de métropole et d’outre-mer. Dans les années d’avant-guerre, le tabac représentait pour la profession agricole, dans certaines régions, un véritable salaire auquel les paysans étaient très attachés, et que les élus locaux défendaient farouchement au nom du monopole. À l’époque, tout le monde était fumeur ou presque, élus et militaires inclus, en France et aux colonies, et le problème du tabac et de ses méfaits éventuels – comme ceux de l’alcool – ne se posait pas. On raconte qu’à la Libération les veuves de guerre eurent droit à des « emplois réservés » de buralistes, profession commerciale très réglementée.
L’origine de l’affaire qu’a vécue, au moins partiellement, Carina comme consultante pour son cabinet parisien, est la suivante : la direction générale de la S EITA à Paris dans un contexte de forte réduction prévisible des ventes de tabac et cigarettes – il ne fallait pas être grand clerc pour le deviner – avait décidé de resserrer le dispositif national et de fermer une à une (Lyon, Issy-les-Moulineaux, Morlaix…) ou de moderniser les usines du réseau. En ce qui concerne l’établissement dont il est question, décision avait été prise, il y a quelques années, de transformer progressivement l’entreprise en dépôt interrégional des produits de la société pour tout le Midi de la France, ceci afin de ne pas trop déstabiliser un marché du trav