Le Pen sous presse
240 pages
Français

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Le Pen sous presse , livre ebook

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240 pages
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Description

Par une analyse des discours de presse qui ont entouré le "Dimanche noir" du 21 avril 2002, cet ouvrage revient sur le paradoxe apparent qui vit, lors de cette campagne présidentielle, un candidat déclaré illégitime par la presse remporter un succès électoral inattendu. Il démonte l'ensemble d'un dispositif d'écriture contre-productif qui, s'il n'est pas seul en cause, éclaire néanmoins d'un jour nouveau le rôle des médias dans le succès électoral de Jean-Marie Le Pen, et en appelle à la responsabilité de la presse.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 206
EAN13 9782296699847
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LE PEN SOUS PRESSE
Jenifer Devresse


LE PEN SOUS PRESSE


La réception paradoxale
d’un discours dénonciateur
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-11983-3
EAN : 9782296119833

Fabrication numérique : Actissia Services, 2013
À Catherine
INTRODUCTION
Le « 21 avril 2002 » résonne encore dans toutes les mémoires comme un « séisme » d’amplitude inégalée : Jean-Marie Le Pen, le président du Front National (FN), se qualifie pour le second tour des élections présidentielles françaises avec 4 804 713 voix {1} , signant ainsi « le hold-up électoral du siècle » {2} . C’est la première fois en France qu’un parti d’« extrême droite » passe avec succès l’épreuve du premier tour d’un scrutin présidentiel. Mais jamais candidat n’a vu sa légitimité si violemment contestée, n’a suscité tant d’indignation et de huées. Incompréhensible, ahurissant, inacceptable, absurde, cauchemardesque, impensable, sont les premiers mots d’une France qui se pince pour s’assurer qu’elle ne rêve pas.

Le « phénomène Le Pen » n’est pourtant pas nouveau ; les scores électoraux de J.-M. Le Pen n’ont cessé d’augmenter, depuis les années 1980 jusqu’à ce fameux « dimanche noir » ; ce qui laisse à penser qu’il s’agit moins d’un « séisme » que du point culminant – et particulièrement visible – d’un phénomène beaucoup plus profond, plus structurel, et auquel les médias dans leur ensemble ne sont pas étrangers.

Le paradoxe apparent entre l’illégitimité notoire de J.-M. Le Pen, telle que nombre de ses électeurs n’osent se déclarer ouvertement, et l’importance de ses résultats électoraux, conduit le plus souvent à attribuer une puissance et une habileté extraordinaires au président du Front National ; on lui reconnaît ainsi volontiers un charisme exceptionnel, un talent d’orateur remarquable et un pouvoir de persuasion peu commun. Il est toutefois indispensable de souligner que la représentation que l’on se fait de J.-M. Le Pen, comme de toute autre personnalité publique, résulte d’une construction symbolique du personnage qui ne peut être réduite à ses qualités intrinsèques « réelles ». Le « phénomène Le Pen » est un phénomène social et non naturel ; à ce titre, on ne peut le comprendre sans étudier les représentations sociales dont il est l’objet, car la réalité sociale n’existe pas indépendamment des représentations qui la structurent et lui donnent sens.

Au rang des innombrables acteurs qui participent à la construction symbolique des représentations, les médias occupent, semble-t-il, une place fondamentale. « Miroir social du monde » {3} , le discours médiatique est le lieu par excellence où se déposent, se structurent et se transmettent les représentations sociales, que lui-même contribue d’ailleurs largement à façonner : « Les médias ne transmettent pas ce qui se passe dans la réalité sociale, soulignait Patrick Charaudeau, ils imposent ce qu’ils construisent de l’espace public » {4} .

Ces réflexions amènent à penser que les médias sont, d’une manière ou d’une autre, impliqués dans la construction symbolique du personnage de Jean-Marie Le Pen. C’est précisément ce que cet ouvrage se propose d’examiner ; s’appuyant sur une analyse critique du discours de presse, il tente de mettre au jour quelques-uns des processus de représentation qui concourent à faire exister le président du Front National en tant qu’effigie politique. Le corpus se compose de quatre-vingt-dix articles parus entre le 8 avril et le 6 mai 2002 dans Le Monde , Le Figaro et Libération {5} , soit dans une période d’un mois couvrant la campagne officielle de l’élection présidentielle qui a vu J.-M. Le Pen se qualifier pour le second tour. Un tel ouvrage ne peut, de toute évidence, prétendre épuiser une question si complexe, mais espère apporter une contribution originale, si modeste soit-elle, à l’intelligibilité générale du « phénomène Le Pen ».

Considérant le rôle des médias dans la construction de la réalité sociale, Le Pen sous Presse se fonde sur l’hypothèse que le discours des grands médias d’information en France participe, de façon inconsciente et involontaire, au succès du Front National et de son président Jean-Marie Le Pen, et ce en dépit d’une intention exhibée de dénonciation et de marginalisation de ce parti {6} . L’idée qui sous-tend cette hypothèse est que la stratégie de diabolisation du Front National mise en œuvre par les médias afin d’en prévenir les dangers aurait des effets contre-productifs, sinon inverses à ceux recherchés.

On pourrait être tenté aujourd’hui, sept ans plus tard, de classer le « traumatisme Le Pen » dans les rayonnages de l’histoire ancienne ; cependant le caractère structurel du phénomène invite à considérer qu’il est intimement lié à une certaine mise en représentation du politique qui ne se limite pas au « 21 avril », ni même à Jean-Marie Le Pen. En d’autres termes, il importe de continuer à penser ce phénomène au sens où il est susceptible de se reproduire en d’autres temps, d’autres lieux, d’autres champs.

On ne saurait trop insister sur la nécessité, pour notre lecteur, de ne pas se laisser prendre à un dualisme excessif qui voudrait qu’à une telle critique du discours médiatique corresponde une plaidoirie implicite en faveur d’un parti dont on peut, par ailleurs, légitimement se demander s’il a sa place en terre démocratique. Il s’agit au contraire d’une tentative de contribuer à mettre en lumière les mécanismes qui portent au premier plan de la scène politique un parti dont le succès n’est certes pas fonction de la valeur de son projet pour la France, raison pour laquelle le programme du Front National, en tant que tel, ne fait pas partie de notre propos.

Dans cet esprit, l’analyse des procédés discursifs s’efforcera, autant que possible, de renvoyer aux pratiques et aux croyances journalistiques qui les sous-tendent ; ceci afin de ne pas limiter le propos à une critique stérile, propice au fatalisme. Tâcher de comprendre le « phénomène Le Pen », c’est avant tout refuser de le considérer comme inéluctable, auquel cas il risquerait bientôt d’être admis comme « naturel ».

Le présent ouvrage se dispose en trois parties successives ; la première examinera les différentes explications du « séisme » qui ont été avancées – en particulier celles qui mettent en cause la responsabilité des médias – et tentera d’en faire voir les limites afin, dans un second temps, d’exposer les réflexions qui ont motivé nos hypothèses de travail et de faire apparaître l’originalité de notre recherche en regard des travaux existants. Elle précisera enfin les fondements méthodologiques de l’approche sociodiscursive que nous avons privilégiée.

La seconde partie s’attachera à analyser le traitement discursif de la campagne pour le premier tour de l’élection présidentielle. À travers les questions de la structuration médiatique de l’offre politique, de la représentation des candidats et des électeurs ainsi que des postures énonciatives, elle tâchera de déterminer en quoi et de quelle manière la presse a pu favoriser le succès électoral du FN.

L’évolution qui affecte l’écriture de presse aux lendemains du traumatisme, c’est-à-dire durant la campagne du second tour, fera l’objet de la troisième partie de cet ouvrage. Il s’agira surtout, dans cette dernière partie, d’examiner les stratégies de dénonciation du FN mises en place par la presse en situation de « crise », et de comparer ce traitement à celui qui prévalait avant le premier tour.

Le choc du 21 avril a suscité de fait nombre de questionnements à propos du mode de traitement journalistique du FN. Comment caractériser alors les réorientations qui ont affecté l’écriture médiatique post trauma ? Les nouvelles stratégies discursives mises en place dans l’entre-deux-tours évacuent-elles les effets pervers de légitimation du FN ? Quelle part de responsabilité peut-on raisonnablement imputer à la conscience journalistique, compte tenu des contraintes propres à la machine médiatique qui l’enserre ? Comment enfin envisager le problème de la position du journaliste face à un système de valeurs non partagé, la question étant : faut-il intégrer l’« extrême droite » au débat démocratique ? Les éléments de réponse que nous tâcherons d’apporter à ces questions devraient permettre, même s’ils ne peuvent apporter de réponses définitives, d’offrir des pistes de réflexion au journaliste soucieux de sa responsabilité dans le traitement d’un sujet aussi délicat que celui du FN, et de l’« extrême droite » en général.
Première partie LE PEN 2002 : LES RESPONSABILITÉS EN QUESTION
« UN 11 SEPTEMBRE POLITIQUE » {7}
Si l’on devait écrire une histoire des élections présidentielles en France, sans doute faudrait-il réserver une place particulière à celle de 2002. Jamais un scrutin n’aura suscité autant de débats, de polémiques, de traumatismes, de mobilisations, de craintes, de bouleversements, d’interrogations, non seulement en France mais dans toute l’Europe, voire au-delà. Bien plus qu’une « élection de tous les records » {8} , cet épisode de la vie politique française fut le déclencheur, sinon le révélateur, d’une crise profonde de nos démocraties occidentales, à en croire les innombrables discours et écrits qui ont déferlé sur le sujet depuis ce fameux « dimanche noir ».

Deux mois avant le scrutin du premier tour du printemps 2002, les jeux semblent faits. Au terme d’une quinzaine d’années de « cohabitation », on sait déjà que le second tour verra s’affronter le président sortant Jacques Chirac et son ancien premier ministre socialiste, Lionel Jospin. Les quatorze autres candidats apparaissent davantage comme une façon d’animer une campagne que l’issue trop prévisible rend ennuyeuse, plutôt que comme une concurrence réelle aux deux principaux candidats. À grand renfort de sondages, les médias s’attèlent déjà à réaliser des pronost

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