Poétique du témoignage
145 pages
Français

Poétique du témoignage , livre ebook

-

145 pages
Français

Description

A travers sa dimension historiographique, Nuit et brouillard, court-métrage sur les camps de concentration et d'extermination nazis réalisé en 1955 par Alain Resnais, constitue un travail de mise en scène des temporalités plus qu'un travail de mise en scène des évènements dont il témoigne et qui sont essentiellement représentés dans le film par des documents d'archives. La réflexivité que le cinéma moderne acquiert en n'accordant plus sa durée à la représentation de l'action, mais à celle du temps, se trouve ici directement liée à la conscience historique...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2008
Nombre de lectures 226
EAN13 9782296196025
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mes remerciements vont à Sylvie Lindeperg pour ses lumières
éclairantes, à Jacinto Lageira pour son soutien attentif, à Agnès Lontrade,
Claire Lahuerta, Aurélia Chartier, Jean-Louis Leutrat et à Mathias Lavin
pour leur lecture et pour leurs remarques précieuses.

ENVOI

1
A travers sa dimension historiographique,Nuit et brouillard,
courtmétrage sur les camps de concentration et d’extermination nazis réalisé
par Alain Resnais en 1955, constitue un travail de mise en scène des
temporalités plus qu’un travail de mise en scène des événements dont il
témoigne. Ceux-ci sont essentiellement représentés dans le film par des
documents d’archives. La réflexivité que le cinéma moderne acquiert en
n’accordant plus sa durée à la représentation de l’action mais à celle du
temps se trouve ici directement liée à la conscience historique qui fait
irruption, au moment de la projection, dans le présent du spectateur.
Ainsi la forme cinématographique s’invente-t-elle à travers l'épreuve
qu’elle fait de l’histoire à laquelle elle se confronte.

Le film a beaucoup été commenté depuis sa réalisation. A sa sortie
d'abord, par ceux qui avaient participé à son élaboration, puis par ceux
qui considérèrent l’événement qu’il représentait. Ses démêlés avec la
censure et les complications créées par les instances officielles pour sa
projection au festival de Cannes 1956 ont motivé les premiers discours
critiques à son propos. Parallèlement à cela, la réflexion esthétique est le
plus souvent restée comme interloquée par son sujet et par sa forme
même, suspendue à la simple expression du sentiment qu’il fait naître de
la nécessité de son existence et de sa diffusion. Au début des années
soixante ensuite, Jaques Rivette le prend pour repère et comme contre
2
exemple dans sa critique du film deGillo Pontecorvo,Kapo.Cetexte
3
violent,De l'abjection, positionne son auteur entantque spectateur –
situation qu’il partage potentiellementavectous –, etentantque
réalisateur, condition qu’il partage à ce momentavec les cinéastes de la
Nouvelle Vague. A la suite d’expériences encore isolées, ces cinéastes
allaientbientôtformer enFrance la génération de l’avènement du cinéma
4
moderne tel que Gilles Deleuze le définitquand ilthéorise, audébutdes
années quatre-vingt, latradition ouverte par letravail critique d’André

1
Alain Resnais,Nuit et brouillard, film noir etblanc (archives) etcouleumin,r, 32
France, 1955.
2
Gillo Pontecorvo,Kapo, film noir et blanc, 35 mm, 112 min, Italie, 1959.
3
Jacques Rivettes, « De l’abjection », inLes Cahiers du Cinéman°120, juin 1961.
4
Gilles Deleuze,L’Image-mouvement(1983), etL’Image-temps(1985), Éditions de
Minuit, collection «Critique », Paris.

10

5
BazLe film donne alors à Riin .vette la possibilité d’exprimerun
véritable engagementesthétique puisqu’il estquestion, dans cetarticle,
de l’implication morale que suppose letravail etla mise en forme
cinématographique duregard sur le monde. Audébutdes années
quatre6
vingt-dix, Serge Daneypoursuivra cette réflexqion aprèsue le film de
Claude Lanzmann,Shoah, aura posé plus radicalementque ne le faitNuit
et brouillard, etde façon plus explicite, la question duregard etdu
visible confrontés augénocide. Aujourd'hui enfin, des études importantes
sontentièrementconsacrées aufilm de Resnais. Ainsi, le présentouvrage
fait-il suite au travail de Sylvie Lindeperg auquel il doitbeaucoup, bien
que l’œuvreysoitabordée de façon différente. Cestravauxprennentla
relève dudiscours critique et traduisent, àtravers la forme nouvelle qu’ils
donnentà la réflexion sur le film, le faitqu’il estmaintenantentré dans
l'histoire, celle des hommes comme celle ducinéma. Le demi-siècle
écoulé montre le longtemps qui a été nécessaire pour qu'il puisse être
considéré commeun objetnon pasuniquementactuel aumomentoùon
en parle, bouleversantla parole qu'il faitnaître,toujours en prise avec le
monde oùelle retentit, mais aussi commeun objetde l'histoire. Non pas
seulement un événementdonc, mais aussiun élémentdupassé, sur lequel
il estpossible de se retourner.

Comme Sylvie Lindeperg le montre avec son livre“Nuitet
brouillard”, un film dans l’histoire, Resnais non seulementne renonce
pas, pour ce projet, au travail de recherche formelle qui estle sien entant
que cinéaste, mais c’estgrâce à son exigence esthétique que le film entre
véritablementdans l’histoire. Étudié d'un pointdevue historique etselon
une méthodologie d’historien, le film apparaîtdans la lumière des
conditions à la fois précises etpoétiques de sa réalisation. Ainsi l’auteur
révèle-t-elle ce que la démarche créatrice ducinéaste doità sa
confrontation avec les historiens Olga Wormser etHenri Michel qui sont
à l'origine duprojet, avec le poète Jean Cayrol etson intermédiaire Chris
Marker pour la réalisation ducommentaire, avec le compositeur Hanns
Eisler etenfin, ce que cette démarche doità sa confrontation avec les
documents d’archives etavec l'histoire dontil estquestion. C’est un
souci complémentaire qui amine la recherche menée dans ce livre-ci,

5
Tradition poursuivie entretemps par André S. Labarthe dans sontexte « Qu’est-ce que
le cinéma moderne? »,in André Bazin,Orson Welles, Éditions duCerf, collection
ième
« 7art», Paris, 1972.
6
Serge DaneyLe Tra, «velling de Kapo»,Traficn°4, automne 1992, repris in
Persévérance, (entretien avec Serge Toubiana), P.O.L, Paris, 1994, p. 15-39.

11

abordant l'œuvre d'un point de vue esthétique. Elle constitue une
interprétation du film pour laquelle sa situation historique et« dans
l'histoire » sont évidemment fondamentales, mais néanmoins sur un plan
différent par rapport à l'étude de la forme telle qu'elle se présente au
spectateur. Ce que j'ai voulu mettre en évidence, et qui constitue la
problématique du travail, c'est la dimension politique d’un documentaire
historique qui aborde son sujet de façon à faire sentir son actualité au
moment de la projection. Le passé et le présent se rejoignent dans le
montage, bouleversant le spectateur et interrogeant à travers lui non
seulement le monde qui a produit les camps, mais aussi le monde dont il
est le contemporain.

Dans le projet d’Alain Resnais, la question de la vérité soulevée par le
travail autour des documents et vestiges de l’histoire collective se mesure
au problème du style, plus qu’à celui du réalisme. Ainsi la modernité
cinématographique que cinéma italien d’après-guerre met en oeuvre,
selon l’analyse d’AndréBazin, parun appel ducadre à la réalité brute,
enregistrée etintégréetelle quelle dans les films, se propose-t-elle
différemmentdans le cinéma français aumilieudes années 50. Si on
considère la situation charnière deNuit et brouillardpar rapportà
l’éclosion de cette modernité en France, onvoitque la captation duréely
estliée à la singularité durapportà l’histoire. Les planstournés en 1955
dans le camp d’AuschwitzBirkenau traduisent un regard qui n’intervient
pas autrementdans l’espace filmé que par son ouverture attentive, par sa
contemplation recueillie etinquiète. Pour autant, l’image ducamp à
laquelle estconfronté le spectateur n’estpas directe, elle estmédiatisée
par l’histoire qui l’entoure etc’estde cette médiation que dépend le
surgissementduréel dans la conscience duspectateur. L’alternance
rigoureuse aumontage des plans actuels en couleur etdes documents
d’archive en noir etblanc induitce rapportnécessaire des images passées
etprésentes. Celatransforme la problématique réaliste qui reste
néanmoins centrale puisque le film aborde de frontles questions de
l’expression du témoignage etde la puissance historiographique du
cinéma. Il fautsouligner à ce propos que la réalisation deNuit et
brouillardesten liaison directe avec l’institution. C’est une commande à
Resnais,

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