Tel un fil de pourpre
256 pages
Français

Tel un fil de pourpre , livre ebook

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256 pages
Français

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1996
Nombre de lectures 55
EAN13 9782296325760
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tel un fil de pourpreIllustration de couverture: Paul C~zann~ "Bouquet d'al"l)r~s". 1845-1900.
Aquarelle sur papier - 31 x 49 cm
@Éditons L'Harmattan 1996
ISBN: 2-7384-4641-8Paul HAIM
TEL UN FIL DE POURPRE
Vingt-deux histoires vraies
L'Harmattan L'Harmattan Inc.
5-7, rue de l'École Polytechnique 55, rue Saint-Jacques
75005 Paris -FRANCE Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9Du même auteur
- Michel Seuphor, Une vie à angle droit, (avec Christiane
Germain) Éditions de la Différence, 1988.
- Passage du désir, roman, Éditions de la Différence, 1991.
- Marchand de couleurs, roman, Éditions de l'Harmattan,
1995.A Émilie, Henry, Olivier.Tel un fil de pourpre, tes lèvres;
ton verbe est désirable...
Telle la tour de David, ton cou...
Cantique des cantiques
Chapitre IV - verset 3UN GRAND PRIX À VENISELe vaporetto accosta à l'appontement des Giardini.
C'était un samedi de la mi-juin 1962. Ce soir-là on
proclamerait les noms des lauréats de la Biennale pour la
peinture et la sculpture. Adossé à un montant du pont arrière,
j'avais effectué le voyage depuis San Zaccaria, absent à
moimême, inattentif aux transparences nacrées, à la brume légère
qui diaprait de rose les façades de la Riva dei Schiavoni. Mon
cœur était ailleurs, immergé dans la tristesse de la cérémonie
qui nous avait réunis, peu nombreux - une vingtaine - pour
célébrer la mémoire d'Yves Klein. Disparu, foudroyé à
trentequatre ans par une crise cardiaque.
Chacun de nous avait prononcé quelques paroles, puis
nous avions gardé le silence. Guido Le Noci de la galerie
Appolinaire à Milan pleurait. Pierre Restany, le prince des
critiques, soutenait Jeannine de Goldschmidt qui deviendrait
plus tard son épouse. Peppino Palazzoli, Attilio Codognato,
marchands de Klein à Milan et Venise, et moi-même,
consternés, observions le silence.
Iris Clert, en sanglots, arriva comme nous nous
séparions. Elle avait inauguré la veille, avec un succès qui n'avait
pas apaisé son chagrin, sa Piccola Biennale au Palazzo
Papadoli. Les Télé-lumières de Takis brillaient de leurs feux
clignotants devant une foule de curieux intrigués par les
oriflammes revêtues de l'inscription "Iris Clert à Venise".
Grecque sculpturale, sa crinière noire, ses ongles
multicolores, ses toilettes que Paco Rabanne créait pour elle,
faisaient sensation. Moins toutefois que les artistes qu'elle
11défendait. Elle avait été la première à croire en Klein et à
montrer ses monochromes.
Ma mémoire me restituait les temps forts de mes
rencontres avec Yves, les palabres avec Pierre Restany à
l'époque de la création du Nouveau Réalisme dans la pénombre de
l'appartement de la rue Campagne-Première, le désarroi des
invités de Maurice d'Arquian le soir où, dans sa Galerie
Internationale à Paris, Yves avait aspergé de son bleu outremer
I.K.B.* des modèles nus, qui s'étaient ensuite roulés sur des
surfaces de papier et de toile blanche pour les marquer de
leurs "anthropométries", traces fugitives de seins, de hanches
et de cuisses.
Un créateur exigeant, provocateur, un défricheur de
territoires inexplorés de l'art venait de s'éteindre, mais c'est
l'ami que nous pleurions. Palazzoli et Le Noci à Milan,
Codognato à Venise avaient été ses marchands. J'avais été de
ses premiers acheteurs. Je m'étais laissé vendre en 1957, par
Iris Clert, un monochrome d'environ un mètre de haut que
j'avais accroché chez moi, en pendant d'une toile lacérée de
Fontana. Ma curiosité me portait à découvrir comment je
pourrais vivre devant cette surface uniformément bleue. Je
m'abîmais dans la contemplation de ce pigment, le vide et le
silence qui en émanaient. Sa vibration, aux franges de la toile,
m'était devenue familière. Je la captais après un temps de
concentration et cet exercice faisait naître en moi une
fascination puis un apaisement.
Palazzoli était allé plus loin. Il avait succombé - victime
lui aussi consentante - à la doctrine d'Yves concernant la
conquête du vide. Il avait acquis et payé à prix d'or un
tableau immatériel. J'avais eu entre les mains le document
sanctionnant cette transaction portant sur une œuvre
inexistante. Il était daté de novembre 1959 et portait la
signature de Klein qui reconnaissait avoir reçu vingt grammes
d'or fin contre une "zone de sensibilité picturale
immaInternational Klein Blue*
12térielle". Yves prévoyait que cette acquisition n'était cessible
qu'au double du prix payé "sous peine d'annulation totale de
la sensibilité de l'acquéreur"!
Au sortir de cette réunion où s'étaient tenues les assises
du souvenir et de l'amitié, nous ne parvenions pas à nous
séparer, nous sachant chacun dépositaire d'un lambeau
différent de mémoire lié à sa traversée fulgurante de la vie.
Palazzoli m'avait invité à prendre un cappuccino au Florian,
puis il accompagné jusqu'à l'embarcadère San
Zaccaria, tenant mon bras, s'arrêtant tous les quelques pas
pour me faire face. Nous nous interrogions: cette disparition
mettait-elle un terme à l'œuvre parachevée d'un créateur
ayant aboli les limites de la création? Sonnait-elle, au
contraire, le glas d'un courant qu'il commençait d'ébaucher?
Certaines images d'Yves, de Rotraut, le souvenir d'une
réception à Plaisir, chez Jeannine de Goldschmidt, en
compagnie de marchands et d'amis japonais où nous avions dansé et
beaucoup bu, m'habitaient tandis que je cheminais dans les
jardins de la Biennale, répondant à quelques saluts.
L'effervescence qui précède les trois coups de la première au théâtre
régnait à l'intérieur et alentour des pavillons. Ma tristesse
m'ôtait tout ressort. Aucune curiosité ne me portait. Je passai,
indifférent, devant les pavillons d'Espagne et de Belgique.
l'errais, l'esprit obscurci, empreint de mélancolie. Pourquoi
n'avais-je pas, ce matin-là, plutôt choisi d'aller me perdre
dans les venelles du quartier de l'Accademia entre le Campo
Santa Margherita et la Chiesa dei Frari que j'affectionnais,
où j'aurais pu laisser libre cours à mon abattement? Je
n'avais cure de cette fête de l'art faussement joyeuse qui se
préparait sous mes yeux.
Je pénétrai dans le pavillon central où se regroupent
traditionnellement les salles consacrées aux rétrospectives
d'artistes italiens de renom. Sur la gauche, dès l'entrée,
s'agglutinait la cohue habituelle de journalistes et d'invités
privilégiés autour du comptoir réservé à la presse. Sur la
13droite, une double porte fermée. Quel démon me poussa-t-il à
l'ouvrir? l'avançai la tête. Giacometti était là, à deux pas,
semblant m'attendre.
- Ah, c'est toi? Entre !
- Pardon, je ne voulais pas...
- Entre, je te dis!
Sans me serrer la main, il referma vivement derrière
moi et tourna la clé dans la serrure. Je me sentis pris au piège.
Je connaissais Giacometti depuis nombre d'années et je
lui portais l'admiration mêlée de respect d'un jeune marchand
à l'égard d'un' géant écrivant l'histoire. A Paris, j'avais
souvent poussé le portail du 46 rue Hippolyte Maindron.
J'allais d'abord saluer Diego. Après lui avoir affectueusement
réclamé la table basse qu'il me promettait depuis toujours, je
ressortais dans la cour en longueur et me glissais dans
l'entrée au fond de laquelle se dressait l'escalier de bois
étroit, peu engageant.
Je ne pénétrais dans l'atelier où régnait le désordre - et
ce qui pouvait apparaître comme une pauvreté poignante -
qu'après m'être assuré qu'Alberto était seul. Il se tenait, en
veston et cravate, debout, pinçant sur une sellette la terre
d'une figurine fragile. D'autres fois, assis sur un méchant
sommier encombré de journaux, il dessinait sur une feuille
fixée à une planche posée sur ses genoux. Je déballais alors la
sculpture ou le tableau que je venais lui soumettre. Je
m'excusais. Il grommelait, puis s'approchait de moi la main
tendue:
- Qu'est-ce que tu veux savoi

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