Le Tabac dans le Sud-Ouest - Histoire d une culture et d une économie
162 pages
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Description

Les plantations aux opulentes feuilles d’un vert aquatique, parfaitement écimées et alignées, ont longtemps occupé les terres fertiles des vallées du Lot, de la Dordogne et de la Garonne. Dans les années 1960, on comptait plus d’une vingtaine d’établissements de transformation du tabac dispersés de Toulouse à Bordeaux, en passant par Tonneins ou Bergerac. Mais au cours des dernières décennies du XXe siècle, de nombreuses exploitations tabacoles se sont éteintes ainsi que les manufactures. Il était donc urgent que René Delon, ex-directeur de l’Institut du tabac de Bergerac devenu historien du tabac, nous offre un précieux travail d’inventaire et de mémoire sur ce qui constitue un patrimoine agricole et industriel unique dans le sud-ouest de la France.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2014
Nombre de lectures 5
EAN13 9782813815446
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

1. Une culture historique et majeure pour l’agriculture du SudOuest
Eu égard à la superficie cultivée, le tabac ne tient pas une place très importante parmi les autres cultures françaises. Cependant, le revenu brut par hectare du tabac a toujours été nettement plus élevé que celui des autres cultures, ce qui explique en partie la faveur dont a joui la culture du tabac auprès de nombreux agriculteurs, dans le SudOuest notamment. Vers la fin des années 1950, Gisquet et Hitier (1961) indiquaient que le monopole des tabacs en France contribuait à faire vivre environ 100 000 familles d’agriculteurs, 11 000 personnes (cadres, techniciens et ouvriers) au Seita, et plus de 50 000 débitants de tabac. Des chiffres qui parlent d’euxmêmes et illustrent parfaitement le rôle du tabac dans
e Scène de récolte de tabac dans le Périgord au début du XX siècle. (Carte postale Astruc.)
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Le tabac : une culture longtemps familiale. Ici, lors de la mise à la pente de tabacs récoltés en feuilles.
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l’économie nationale (1960) et permettent de constater que le tabac était un facteur important de vie rurale. Le tabac a longtemps assuré, avec la garantie d’écoulement des produits et un revenu à l’hectare élevé, un équilibre financier de l’exploitation, quand il ne s’agissait pas tout simplement de la survie de bon nombre de petites et moyennes exploitations agricoles.
Les débuts de la culture
Les premières graines de tabac semblent avoir été introduites en France vers 1556 par le moine André Thevet, au retour d’un voyage au Brésil. Il en distribua aux paysans du voisinage de son couvent en Angoumois, ce qui fit donner à la plante le nom d’herbe« angoulvine ». Un peu plus tard, Jean Nicot, ambassadeur de France au Portugal, introduisit à la cour de Catherine de Médicis du tabac en poudre qu’il présentait comme un médicament universel, notamment pour soulager la reine de ses fortes migraines. Priser devint à la mode et la plante prit tout naturellement le nom d’herbe à Nicot ou « Nicotiane », qui lui est resté.  Au début, la vente fut réservée aux apothicaires. L’usage se développa rapi dement et une industrie artisanale s’épanouit, alimentée surtout par des tabacs en provenance d’Amérique et par des tabacs indigènes dont la culture commen çait à se développer, notamment en Guyenne, en Bretagne et dans les Flandres. D’après une note parue dans lesNouvelles de la culturede 1949, on explique que e le rapide développement de la culture du tabac au XVII siècle doit beaucoup aux seigneurs de Turenne. La vicomté de Turenne s’étendait sur les départe ments actuels du Lot et de la Corrèze. Le village de Turenne est encore dominé par les ruines imposantes du château des vicomtes. La vicomté formait un Etat dans l’Etat. Ainsi, lorsque le roi interdit dans le royaume la culture du tabac, cette mesure ne s’applique pas à la vicomté où, au contraire, elle s’intensifie. On y relève les chiffres de production ciaprès : début de la culture en 1605 ; de 1693 à 1700 : 2 000 quintaux par an. Un magasin est installé à Souillac ; de 1701 à 1715 : 8 000 quintaux par an ; premières années de la Régence : 16 000 quin taux par an valant 1 million de livres.  Le tabac en feuilles était vendu aux Espagnols sous le nom de « tabac de la Vicomté » mais, avec l’établissement de deux manufactures à Clairac et Tonneins, la vicomté expédie ses« poudres et ses cordes »en Lombardie. Il s’éta blit ainsi un trafic considérable de tabac en feuilles entre Souillac et Cahors par voie de terre, et de Cahors vers Clairac et Tonneins par voie d’eau, déjà empruntée depuis longtemps par les vins de Cahors à destination de l’Angleterre viaBordeaux.
Dès 1637, la culture apparaît dans la commune de Clairac ou Clérac (Lotet Garonne), près de Tonneins, qui s’enorgueillit d’être le berceau de la culture
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en France. Elle s’étend rapidement dans tout l’Agenais d’autant que, la culture étant libre, des droits de douanes ont été imposés aux tabacs en provenance de l’étranger (Gisquet et Hitier, 1961). C’est en effet vers 1690 que les habitants de Clairac, dans un mémoire adressé à l’intendant de Guyenne, revendiquent le privilège d’avoir été les premiers à cultiver le tabac autrement qu’en pots et comme une curiosité.« C’est à Clairac, à qui l’obligation de la culture est due comme lieu où elle s’est premièrement faite, la graine y ayant été apportée il y a environ soixante ans par un voyageur de ce lieulà. Dans les premières années, on n’en plantait que dans les jardins plutôt par curiosité que pour faire un commerce, mais les Français s’en tant fait des délices comme les nations étrangères, cette culture[s’]accrut et se répandit dans les juridictions voisines et passa même dans quelques autres provinces, et le commerce avec l’étranger a été des plus considérables par sa qualité. »Ce hardi voyageur s’appelait le chevalier de Vivens qui, en 1637, revint d’Amérique pour s’installer à Clairac, sa commune natale, où il planta du tabac, notamment dans les jardins de l’abbaye, et développa la production pour le plus grand bénéfice des cultivateurs.  En 1641, les seigneurs de Meauzac tentent également d’acclimater le tabac sous le contrôle de marchands de Clairac. Le contrat de culture est établi entre les frères de Bar, frères du seigneur du lieu, et Gratien Castera. Il est conclu à Meauzac, village situé sur la rive gauche du Tarn, quatre lieues en aval de Montauban. Sans doute peuton expliquer l’introduction de la culture du tabac à Meauzac par la qualité exceptionnelle des terres profondes et fertiles de la vallée. De plus, le site de Meauzac est pourvu de voies de communication aisées avec Montauban, Moissac et Castelsarrasin. Mais il faut essentiellement attribuer cet essai de culture nouvelle dans la basse vallée du Tarn aux liens étroits qui unissent le seigneur de Meauzac avec Clairac. Gratine de Bar ayant épousé la fille d’un médecin de Clairac et résidé quelques années dans la juridic tion de Clairac où, dès 1637, grâce au chevalier de Vivens, le tabac est cultivé en e plein champ. Vers le milieu du XVII siècle, la culture connaît un bel essor dans la vallée du Tarn, principalement en amont de Montauban (Anonyme, 1966).  En septembre 1674, Colbert, par ordonnance royale, amorce les bases d’un monopole avec privilège exclusif de la vente et fabrication du tabac : la culture reste libre, les tabacs indigènes devant être vendus aux préposés du roi. Quelques mois plus tard, ce monopole est cédé à la Ferme des tabacs. Celleci, voyant dans le tabac indigène un moyen facile de fraude, fait interdire la culture en France, sauf dans les provinces jouissant de droits spéciaux et dans lesquelles n’était pas appliqué le privilège royal sur les tabacs : certaines juridictions situées dans la vallée moyenne de la Garonne et sur le cours inférieur du Lot, certaines zones du Comtat Venaissin, de Normandie et de Lorraine.
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André Thevet
Si le nom de Nicot est largement passé à la postérité, en revanche celui d’André Thevet est resté plus confidentiel. Et pourtant, c’est à ce dernier que l’on doit l’arrivée sur le sol français de cette herbe qui faisait déjà fureur chez les Indiens. Né en 1502 à Angoulême, André Thevet entre de bonne heure dans l’ordre des Cordeliers. C’est en sa qualité de chapelain des catholiques qu’il part en mission en Amérique du Sud où une délé gation française devait fonder une colonie privilégiée où catholiques et protestants vivraient en paix. Arrivé en 1555 au Brésil, l’abbé, malade, ne devait y rester que quelques mois. A son retour, il publieLes Singularités de la France antarctique, récit de ce voyage d’où il rapporte des graines d’une certaine herbe appelée pétun, qu’il sème dans son jardin ; il obtient les premiers plants de tabac que notre pays aurait connus. Etrangement, bien qu’il sût parfaitement de quelle manière s’en servaient les Indiens, notre jardinier ne voulut, sembletil, y voir qu’une plante ornementale et ne fit pas luimême usage de son herbe« angoumoisine ». Bien que très controversé par ses contemporains sur l’exactitude de certains faits relatés dans son ouvrage, l’abbé Thevet est quand même le premier à mentionner l’existence de la plante tabac :« Autre singularité de ce pays [le Brésil] : une herbe que les autochtones nomment en leur langue“petun”qu’ils portent ordinairement avec eux parce qu’ils l’estiment merveilleusement profitable à plusieurs choses. »lorsque, en 1561, Nicot fit parvenir Aussi du Portugal à Catherine de Médicis cette« herbe merveilleuse », la mode du tabac était lancée et notre ambassadeur apparut comme un découvreur. André Thevet, furieux, défendit avec acharnement son« herbe angoumoi sine »contre« nicotiane ». Il était alors cosmographe du roi et fit paraître sa Cosmographie universelleoù il complétait ses réflexions sur le tabac. Après sa mort, en 1590, on oublie tout à fait qu’il fut l’introducteur du tabac en France, malgré quelques disciples qui tentèrent en vain d’imposer au tabac le nom de « thevetine », mais seul « pétun » resta longtemps en e usage. Ce n’est qu’à la fin du XIX siècle que l’on rendit à André Thevet sa place dans l’histoire du tabac.
Une réglementation sévère et souvent vexatoire amène des difficultés sans nombre entre cultivateurs et agents de la Ferme, difficultés qui se transforment souvent en lutte ouverte. Ce régime préjudiciable à la culture indigène dure jusqu’en 1719, date à laquelle elle est complètement interdite, sauf dans les pro vinces de FrancheComté, Artois, Hainaut, Cambrésis, Flandre et Alsace récem ment conquises par Louis XIV. Elle ne retrouve sa liberté qu’à la Révolution, le
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décret du 20 mars 1791 disposant que la culture du tabac serait libre, ainsi d’ail leurs que la fabrication et la vente. La culture indigène se développe alors peu à peu : en 1805, 16 départements cultivent 8 000 hectares avec une production de 9 000 tonnes ; en 1808, la culture s’étend dans 46 départements sur une superficie de 15 000 hectares produisant 22 000 tonnes.  C’est par le décret du 29 décembre 1810 que le monopole de l’achat, de la fabrication et de la vente du tabac est institué. A partir de 1811 et jusqu’en 1960, le monopole sera exploité directement par l’Etat qui autorise la culture dans divers départements, la contrôle, achète toute la récolte et en règle l’importance selon ses besoins.
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André Thevet, historiographe et cosmographe du roi, d'après C. Fermond, 1895.
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Le monopole (18111960) : la culture du tabac, facteur de vie rurale
Depuis l’établissement du monopole en décembre 1810, la culture du tabac fran çaise a subi de nombreuses fluctuations comme celle du nombre de planteurs. En 1816, seuls huit départements sont autorisés à cultiver du tabac : Nord, Pas deCalais, BasRhin, IlleetVilaine, Lot, LotetGaronne, BouchesduRhône et Var. Ce n’est qu’à partir de 1854 que la Gironde et la Dordogne peuvent le cultiver.  La première guerre mondiale entraîne une chute importante de la culture, suivie, après le retour de l’Alsace à la France, d’un rapide relèvement. En 1939, la production était de 33 000 tonnes pour une superficie de 18 000 hectares. Dès l’ouverture des hostilités en 1939, l’administration est amenée à prendre des dispositions pour éviter la chute de la culture observée lors de la première guerre mondiale. Elle y parvient en créant des primes pour inciter les planteurs à per sévérer et en accordant, en 1942 et 1944, l’autorisation de planter dans une vingtaine de nouveaux départements.
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Selon Cahuet (1941), l’administration des tabacs s’est montrée longtemps peu favorable à l’extension de la culture en France. Elle considérait que les tabacs produits en France, notamment dans le SudOuest, étaient de qualité insuffi sante ! Il fallait, pour les rendre utilisables, leur incorporer une forte proportion de tabac exotique, donc faire des achats importants à l’étranger. Une autre solu tion pouvait être d’étendre les cultures, mais en améliorant de telle manière la production du tabac indigène que l’on pouvait considérablement réduire l’élément étranger. Cette seconde méthode, la plus conforme aux nécessités, s’imposa. Les importations (hors tabacs coloniaux) passent alors de 50 000 tonnes en 1930 à 13 000 tonnes en 1936. Parallèlement et dans le même temps, les superficies cultivées en France passent de 15 894 hectares à 18 683 hectares. A cette époque, la culture est autorisée dans 25 départements mais, en réalité, seule une dizaine de départements répartis dans trois régions la pratique.
1. Nord, PasdeCalais, Est. 2. SudEst : Isère, Savoie, HauteSavoie, Drôme. 3. SudOuest : la région la plus importante pour la culture du tabac.
Le SudOuest comprenait la Dordogne, le Lot, le LotetGaronne, une partie de la Corrèze dans la région de Brive et la Gironde. Il y avait aussi quelques cultures dans les Landes, la HauteGaronne, l’Aveyron. Mais, en 1941, la Dordogne comptait de nombreux champs de tabac. Ainsi, la commune de SaintPierre d’Eyraud, située à quelques kilomètres à l’ouest de Bergerac (Dordogne), était celle où l’on cultivait le plus de tabac en France.
Après la première guerre mondiale, le nombre des planteurs et les superficies cultivées ont fortement augmenté, d’abord durant la période 19301935 puis, et surtout, dans l’immédiat aprèsguerre, de 1945 à 1947. La progression de cette
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Récolte manuelle du tabac en 1942.
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dernière période a été obtenue notamment par l’admission de nouvelles régions à la culture du tabac. Après un maximum de 115 500 en 1947, le nombre des planteurs se stabilise aux environs de 105 000 jusque vers 1956. Dans le même temps, les superficies cultivées, après avoir plafonné à 30 500 hectares en 1949, se maintiennent aux environs de 28 500 hectares. En 1960, l’apparition brutale du mildiou du tabac, maladie provoquée par un champignon phytopathogène (Peronospora tabacina), va entraîner une forte régression de la culture. Les dégâts très importants causés aux récoltes en 1960 en Alsace et en 1961 dans le Sud Ouest découragent de nombreux planteurs. La diminution du nombre de plan teurs de tabac va désormais se poursuivre au rythme de 6 % par an. En revanche, les surfaces vont se maintenir ou ne baisser que très légèrement. Cela signi fie que la superficie individuelle s’accroît : elle est passée de 31,8 ares en 1962 à 62,4 ares en 1977.
Evolution de la superficie moyenne de tabac/planteur (tous types de tabac), de 1927 à 2009.
Après la seconde guerre mondiale, la production suit une courbe ascendante et, devant l’accroissement des demandes de permis de culture en 1950, le comité technique de la Caisse autonome s’est vu dans l’obligation d’avoir recours au contingentement et de fixer un plafond de la culture.
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