Mercredi gentil
41 pages
Français

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Description

Autant le dire tout de suite, ça n’a pas été chose facile car je ne savais pas du tout comment attaquer le problème. Je n’étais pas sûr qu’on puisse apprendre la sympathie et la gentillesse, mais je devais essayer. Je me suis rassuré en me disant que ça ne devait pas être si compliqué et que tout le monde pouvait y arriver, je connaissais des tonnes de gens sympas ou, ce qui revenait au même, qui avaient la réputation d’être sympas. Alors, pourquoi pas moi ? Il suffisait d’observer et de reproduire. Copier. Coller.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2018
Nombre de lectures 11
EAN13 9782211227810
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le livre
Autant le dire tout de suite, ça n’a pas été chose facile carje ne savais pas du tout comment attaquer le problème. Jen’étais pas sûr qu’on puisse apprendre la sympathie et lagentillesse, mais je devais essayer. Je me suis rassuré en medisant que ça ne devait pas être si compliqué et que tout lemonde pouvait y arriver, je connaissais des tonnes de genssympas ou, ce qui revenait au même, qui avaient la réputation d’être sympas.
Alors, pourquoi pas moi ? Il suffisait d’observer et dereproduire.
Copier. Coller.
 

L’auteur
Jérôme Lambert est né à Nantes en 1975 et vit aujourd’hui à Paris où il travaille à présent dans l’édition.Tout en lisant beaucoup, il traduit les auteurs qu’il aime(comme Chaim Potok et Jerry Spinelli) et écrit à son tour.Outre ses livres à l’école des loisirs , il a publié deux romans La Mémoire neuve en 2003 et Finn Prescott en 2007 auxéditions de l’Olivier.
 
« Jérôme Lambert a le chic pour dire avec humour etélégance, les tourments de l’adolescence, l’embarrasde soi-même et de son corps, le sentiment, toujours,d’être comme une mouche dans un bol de lait. »
Michel Abescat, Télérama
 

Jérôme Lambert
 
 

Mercredi gentil
 
 

Neuf
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
J’ai décidé de devenir gentil par amour
 
Il y a presque deux semaines, Fatou, Croûton etmoi sortions de notre cours de théâtre et je faisais la tête. Jusque-là rien d’anormal puisque lamauvaise humeur est un peu mon état naturel.Passer quatre heures enfermé dans la mêmepièce avec des gens de mon âge est l’idée que jeme fais de l’enfer. Je ne sais plus très bien quellequestion Fatou m’a posée juste devant le gymnase, mais je me souviens que j’étais énervé parnotre prof, M. Kerkatmec, qui avait épuisé mesmaigres réserves de patience. Toujours est-il quej’ai répondu à Fatou d’une manière un peu tropbrutale à son goût et que c’était une très trèsmauvaise idée. Pour être honnête, je m’en suis rendu compte immédiatement, mais il était déjàtrop tard pour essayer de me rattraper, les motsétaient sortis de ma bouche tels quels, impossiblesà ravaler. La suite ne s’est pas fait attendre.
– Bon, mon petit Lucien, tu n’as pas l’aird’humeur à m’écouter attentivement ni à meparler aimablement, m’a-t-elle dit de son ton leplus glacial et le plus formel. Je n’insiste donc pasdavantage et nous nous adresserons à nouveau laparole quand tu seras un peu plus sympa. Tudevrais y arriver une fois dans ta vie, non ? Essaie,tu verras, ça fait du bien d’être gentil de tempsen temps.
Et, sans que je puisse réagir, elle a tourné lestalons. Expression absurde puisque Fatou neporte que des baskets. J’ai eu l’idée géniale de luicourir après pour la rattraper et lui expliquer quecet échange n’était qu’un horrible malentendutrès simple à dissiper, mais j’ai ensuite eu l’idéeencore plus géniale de ne pas bouger. Je venaisde me souvenir que Fatou était aussi têtue quebelle et beaucoup plus forte que moi en combatsverbaux.
L’alternative était simple : soit je changeais depersonnalité, soit je perdais ma copine. Autantj’aurais facilement supporté de passer pour unhomme mauvais aux yeux du monde entierjusqu’à la fin de mes jours, autant je ne pouvaispas envisager que Fatou me trouve le moindredéfaut. Trop peur qu’elle me quitte. Les ados sontdes gens très inconstants et j’avais déjà eu cettefrayeur quelques semaines auparavant 1 .
 
C’est comme ça que j’ai pris ma grande décision concernant la gentillesse. À cause d’une fille.
Autant le dire tout de suite, ça n’a pas été facilecar je ne savais pas du tout par où commencer nicomment attaquer le problème. Je n’étais mêmepas sûr qu’on puisse apprendre la gentillesse, maisc’était une question de vie ou de mort.
En me renseignant sur des forums dédiés, j’aicompris que ce chemin comportait une premièreétape nommée « être sympa ». Chaque chose enson temps apparemment.
Je me suis vite rassuré en me disant que ça nedevait pas être si compliqué et que tout lemonde pouvait y arriver, car en fait je connaissaisdes tonnes de gens sympas ou, ce qui revenait aumême, qui avaient la réputation d’être sympas.Alors pourquoi pas moi ? Il suffisait d’observer etde reproduire. Copier. Coller.
Mais pour copier intelligemment, tout lemonde le sait, il faut s’entourer des meilleursélèves. J’ai donc décidé de faire un rapide inventaire dans mon entourage.
J’ai commencé par l’exemple des sympasles plus proches : mes voisins. Mes voisins s’appellent Daniel et Catherine Pearson. Déjà, jetrouve leur nom sympa. Ils partent avec unavantage énorme car il y a quelque chosed’exotique dans ce « Pearson », d’anglais, d’américain. « Ça fait vedette », comme dirait mamie.Pearson est un nom qu’on ne croise pas souventdans la vraie vie et on le retient. Un nom cool.Beaucoup plus stylé en tout cas que Lemeurqui est mon patronyme depuis treize longuesannées. Daniel et Catherine Pearson invitent régulièrement mes parents à des dîners sympasdans leur maison que tout le monde adore.Quand les beaux jours arrivent, ils organisentdes barbecues sympas avec des brochettes marinées super sympas et des chips trop sympas.Leur chien Jean-Michel est sympa et mêmeleur fils Timothée est sympa, malgré son prénom que je ne trouve pas sympa du tout. Il doitavoir entre un et cinq ans, cet âge qui ne sertpas à grand-chose ; je ne sais même pas s’il parleou non et je m’en fiche un peu, mais TimothéePearson est sympa alors qu’il devrait être,comme tous les enfants, insupportable. C’estsans doute grâce à ses parents. Je ne l’ai jamaisconfié à personne, mais plusieurs fois j’ai euenvie de me faire adopter par Daniel et Catherine. Ne serait-ce que pour m’appeler LucienPearson. On peut donc dire que cette familleest l’essence même des gens sympas. Chaquefois que le mot « sympa » est prononcé sur terre,les Pearson touchent des droits d’auteur, j’ensuis sûr. Et tout le monde est unanime dans lequartier :
– Ah oui, les Pearson, ils sont vraiment sympas.
– Qu’est-ce qu’ils sont sympas, les Pearson !
– Un apéritif avec les Pearson ? Ah quellebonne idée, ils sont tellement bath !
Mamie est la seule personne à ne pas les trouver sympas mais à les trouver bath. C’est mamie.Ne me demandez pas ce que veut dire « bath » etne cherchez ni sur Google ni dans le dictionnaire,ce serait peine perdue : à mon avis elle invente desmots. Mamie utilise des Phrases De Mamie pourse faire remarquer. Le principe des PDM estd’employer des mots dont personne n’a entenduparler depuis l’invention de l’électricité. Et c’estjuste pour se faire remarquer. Heureusement, ellene parle pas tout le temps de cette manière sinonil faudrait un interprète pour la comprendre. Ellese contente de saupoudrer ses PDM au milieu denos conversations normales du XXI e siècle. Sesmots et ses phrases se déposent alors comme destoiles d’araignée ou de la poussière sur un beauvernis tout lisse, fraîchement sorti de chez IKEA.Contrairement à ce qu’en dit maman, je pensequ’elle se rend très bien compte de ce qu’elle fait et qu’elle s’en amuse beaucoup. Les PDM sontimparables et impossibles à contredire.
À propos de personnes âgées, j’ai un scoop :il y a des personnes sympas parmi les profs. J’aifait il y a quelques jours un sondage dont il ressort que certaines personnes adultes du collègeméritent apparemment ce titre. Parmi eux, maprof d’histoire, Mme Bachelet. Elle s’habillebien, ni trop jeune ni trop vieux, parfum agréable mais discret, sourit beaucoup, plutôt cool auconseil de classe, pas de note catastrophique, sefâche peu, ne frappe pas. Ces critères suffisentà un collégien pour la classer dans la catégoriesympa.
Deuxième exemple, notre prof d’EPS, MadameLanöé. Elle a beau se raser le crâne à blanc, porter un anneau dans la narine gauche, une bagueà chaque doigt et faire peur à tout le monde, moije ne suis pas dupe. Malgré tous ces signes extérieurs de guerrière, Madame Lanöé est sympa.Ses grands yeux très bleus et ronds comme desballes de ping-pong disent que c’est une vraiesympa qui joue à la dure. Elle planque ses sou rires comme elle peut, mais ils lui échappent detemps en temps. Mamie dirait qu’elle a bon fondet que l’habit ne fait pas le moine, et je suis biend’accord.
Autre cas surprenant : notre directeur. Malgréson impressionnante barbe de rugbyman duNéandertal, Monsieur Tarbel est plutôt sympa –sympa pour un directeur, j’entends. Pas au pointde distribuer des iPhones pour bonne conduite.Qui dit barbe ne dit pas forcément Père Noël.Mais sympa quand même.
En somme, les gens sympas et les gens bathcourent les rues. Il en naît chaque jour. Alorspourquoi pas moi ? Pourquoi ne serais-je pas unsympa qui s’ignore ? Un sympa qui se réveilleaprès les autres, une petite fleur tardive de lasympathie ?
 
Mais Fatou me demandait plus : elle ne secontenterait pas d’un petit ami sympa. Elle voulait que je sois gentil . Ce qui est encore autrechose. Et je partais avec un sérieux handicap car,comme je l’ai déjà dit, je suis plutôt connu pour mon sale caractère et ma tête de lard (PDM).Mais j’avais réussi à vivre ainsi jusqu’à l’âge detreize ans sans réforme majeure de ma personnalité. C’est d’ailleurs grâce à une liste détaillée dechoses que je n’aime pas (dont les endives aujambon) 2 que j’ai rencontré Fatou. Croûton,mon meilleur ami (non, ce n’est pas son vrainom), me dit régulièrement que plus je râle,plus il m’aime. Alors avais-je vraiment envie dedevenir gentil ? Bonne question. C’est même LAgrande question.
 
D’ailleurs, en réfléchissant bien, je me suis ditqu’il y avait quand même quelque chose d’unpeu limite avec cette histoire de gentillesse, unesorte d’hypocrisie gênante que je ne parvenaispas à nommer. Mais moi qui n’ai peur ni de direla vérité ni de remonter le courant tel un saumon bondissant dans le torrent du mensonge,moi, j’ai osé l’affirmer tout seul et pas trop fortdans ma chambre vide et porte verrouillée : quand les gens disent « gentil », ils pensent« idiot ». Ils pensent « débile », « neuneu », « stupide », « mongol », « teubé ». Voire pire.
Exemp

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