Au pays des pierres de lune
33 pages
Français

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Au pays des pierres de lune , livre ebook

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Description

Quand il neigeait à Boulogne, tous les Russes de l’immeuble étaient heureux. C’était la fête. Ma grand-mère débarquait dans ma chambre à sept heures du matin.
«Debout là-dedans ! hurlait-elle. Regarde ! » Elle ouvrait les volets d’un geste magistral pour me montrer le ciel blanc. « Il neige ! Habille-toi ! Vite ! »
Babou n’était pas une grand-mère ordinaire. Elle me racontait que les yeux des filles, en Russie, brillaient comme le reflet de mille pierres de lune dans la nuit. Les garçons les aimaient, ils les embrassaient, puis ils les oubliaient.
C’est l’hiver de mes treize ans qu’à mon tour j’allais découvrir l’amour. Il s’appelait Boris. Il avait les yeux bleus et quelque chose au milieu qui me donna envie d’y plonger.
« Partir Au pays des pierres de lune, c’est l’assurance d’un magnifique voyage – riche en rencontres et chargé en émotions – qui marque assurément de son empreinte nostalgique le lecteur qui l’entreprend. »
Blog Les lectures de Marie

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 décembre 2015
Nombre de lectures 11
EAN13 9782211227049
Langue Français

Extrait

Le livre
Quand il neigeait à Boulogne, tous les Russes de l’immeuble étaient heureux. C’était la fête. Ma grand-mère débarquait dans ma chambre à sept heures du matin.
« Debout là-dedans ! hurlait-elle. Regarde ! » Elle ouvrait les volets d’un geste magistral pour me montrer leciel blanc. « Il neige ! Habille-toi ! Vite ! »
Babou n’était pas une grand-mère ordinaire. Elle me racontait que les yeux des filles, en Russie, brillaient commele reflet de mille pierres de lune dans la nuit. Les garçonsles aimaient, ils les embrassaient, puis ils les oubliaient.
C’est l’hiver de mes treize ans qu’à mon tour j’allais découvrir l’amour. Il s’appelait Boris. Il avait les yeux bleus etquelque chose au milieu qui me donna envie d’y plonger.
 
« Partir Au pays des pierres de lune , c’est l’assurance d’unmagnifique voyage – riche en rencontres et chargé enémotions – qui marque assurément de son empreintenostalgique le lecteur qui l’entreprend. »
Blog Les lectures de Marie
 

L’auteure
Tania Sollogoub confie qu’elle a écrit ce roman « très, trèsvite. En presque deux jours, l’essentiel était fait. Il était enmoi depuis toujours. Il a “filé” tout seul, je n’ai rien réfléchi.J’ai commencé un soir et je ne pouvais plus m’arrêter. J’aieu mal au bras pendant une semaine ensuite. J’avais besoinde retrouver tous ces gens-là, de m’enfuir, de retrouver lesmessages importants de mon enfance. »
 
Pour aller plus loin avec ce livre.
 

Tania Sollogoub
 
 

Au pays
des pierres
de lune
 
 

Médium
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

À mes Amies, mes chères et belles Amies,
à nos amours, nos routes communes,
nos rires, nos enfants, nos rêves,
et le chant des oiseaux sur nos balcons.
I
 
À treize ans, j’aimais par-dessus tout passer les vacancesde février chez ma grand-mère paternelle. Nousl’appelions « Babou ». Elle habitait à Boulogne-Billancourt, dans un immeuble plein de gens venusde tous les pays du monde, plein de gens qui n’auraient jamais dû se connaître. C’est là que j’ai découvert l’amour.
– C’est un HLM, m’avait-elle expliqué quandj’étais petite. Nous sommes arrivés ici après la révolution russe et nous y sommes restés. Parfois, ma chérie,c’est aussi simple que cela, la vie.
Et elle riait en laissant tomber par terre la cendrede sa cigarette. Puis elle me soufflait dans le nez ungrand cercle de fumée noire. Il faut dire que magrand-mère riait beaucoup, surtout quand il y avaitdes hommes. Elle renversait la tête en arrière, elle fermait les yeux, et son rire montait haut, très haut,il s’envolait quelque part dans le ciel, sans doute dansun endroit spécial du paradis où les Russes se retrouvaient pour parler de leur vie, avant les HLM. J’aimaiscela. Cette impression de pouvoir grimper directement au paradis en riant.
 
– Tu veux essayer ? m’avait-elle proposé un jouren me tendant une cigarette.
Babou n’était pas une grand-mère ordinaire. Elleportait toujours des fleurs en soie rouge accrochéesen haut de son décolleté, et elle fumait des demi-Gitanes avec un long fume-cigarette noir. Elle avaitun peigne en corne glissé dans la bride de son soutien-gorge et deux énormes bagues à chaque main.Une en améthyste, une autre en nacre blanche, latroisième en pierre de lune, et enfin la dernière, laplus grosse, en ambre jaune.
Celle que je préférais, c’était la pierre de lune,parce qu’à la lumière un reflet la traversait de part enpart et dessinait exactement un croissant de lunebleu. À cette époque, je croyais que la Terre vue duciel devait être aussi belle que cela et qu’elle ressemblait au cœur des hommes.
– Elle est belle, ta bague.
Je lui prenais la main. Je lui caressais les doigts, unà un, et le bout lisse de ses ongles ronds.
– Tu me la donneras un jour, dis ?
– Elle vient de Novossibirsk, me répondait-elleen ayant l’air de ne pas entendre. Je l’ai eue pour mesdix ans. C’est ma mère qui me l’a offerte.
Novossibirsk, c’était en Russie, très loin, et cettepierre était vivante. Là-bas, c’était chez elle.
– En hiver, le monde devient blanc, murmuraitBabou en fermant les yeux, la terre rejoint le ciel. Ilfaut accrocher des clochettes autour des troïkas pourqu’on les entende arriver. Et mettre des bottes defeutre par-dessus les chaussures pour que la neigen’attache pas. Il fait si froid que la gorge brûle quandtu respires.
– Tu en as déjà fait, toi, de la troïka ?
Elle ne répondait pas. Elle parlait d’autre chose.Avec elle, on ne savait jamais ce qui était vrai et cequi ne l’était pas, c’était une histoire à trous. Tolstoïdit que les garçons, en Russie, aiment sauter d’untraîneau à l’autre en chantant. Ils serrent de bellesfilles blondes dans leurs bras tandis que leurs chevauxvont au galop, en envoyant des gerbes de neige dechaque côté de la troïka. Tolstoï dit que les yeux desfilles, en Russie, brillent comme le reflet de mille pierres de lune dans la nuit. Les garçons les aiment,ils les embrassent, puis ils les oublient.
– Dis, Babou, on t’a déjà embrassée au fond d’untraîneau ?
Je lui posais les questions que je voulais. Toutescelles que j’emmagasinais un an durant, je les gardaispour les vacances de février. On pouvait lui parler detout. Babou n’avait jamais vraiment su quel âgej’avais.
Il a fallu que j’attende longtemps pour savoir queles troïkas n’existent plus et que les bottes en feutresont désormais fabriquées en Chine. Mais peuimporte. Les Chinois n’ont pas d’usines à rêves. Ceux-là ne poussent que le soir, autour des feux, dans lesisbas de bois qui sont au fond de ma mémoire.
II
 
Le matin, à Boulogne, je restais longtemps au lit. Jeregardais la cour par la fenêtre. Il y avait des dizainesd’oiseaux qui me réveillaient très tôt. Cela faisait unsacré grabuge ! Je me demandais comment il pouvaity avoir tant d’oiseaux en février dans une cour deHLM, près de Paris, juste avec des immeubles dechaque côté ! Peut-être les oiseaux aimaient-ils euxaussi cette ambiance étrange où les gens parlaientune langue différente à chaque étage. D’une certainefaçon, nous étions dans un zoo, et c’étaient eux lesvisiteurs.
 
Chez Babou, au troisième étage, il y avait surtoutdes Chinois et des Russes. Enfin, je dis des Chinoisparce qu’ils avaient les yeux bridés, mais c’étaitpeut-être des Vietnamiens, ou des Thaïlandais, ou desJaponais, ou des Martiens. Ça n’avait pas beaucoup d’importance. Ils venaient tous des quatre coins dumonde et cela ne s’expliquait pas.
Parfois, ma grand-mère offrait des blinis à lavieille au fond du couloir, et d’autres fois, c’était ellequi nous donnait des nems. À Boulogne, le mondeétait vaste. À cette époque, j’avais la taille de la vieilleChinoise.
– Elle ressemble à un petit pot de tabac, tu netrouves pas ? murmurait ma grand-mère quand onpassait près d’elle, tout en lui faisant un grand sourire.
J’ai toujours eu la sensation que la Chinoisen’était pas dupe et qu’elle comprenait ce que Babouracontait.
– Tu as raison, répondis-je en riant sous cape. Unvrai petit pot de tabac.
– Merci, madame, c’est délicieux ! À bientôt !
J’aurais voulu que cela dure toujours et pourtantles nems n’étaient pas bons. Mais ça nous faisait tellement rire, Babou et moi.
 
Quand il neigeait, à Boulogne, tous les Russes del’immeuble étaient heureux. Ma grand-mère débarquait dans ma chambre à sept heures du matin et elleétait bien la seule à qui je pouvais pardonner cela.
– Debout là-dedans ! hurlait-elle. Regarde !
Elle ouvrait les volets d’un geste magistral pourme montrer le ciel blanc.
– Il neige ! habille-toi, vite !
C’était la fête. C’était chez eux.
 
Elle sortait sa chapka et son manteau de fourrureélimé aux poignets, puis nous allions toutes les deuxchez Félix Potin, à côté de l’église.

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