La nature du mal
36 pages
Français

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La nature du mal , livre ebook

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Description

Andrieu, jeune cinéaste français malmené par les médias, accepte une mission d'Amnesty International en Amérique du Sud pour redorer son image. Il doit rencontrer le colonel De La Pena, ministre de l'Intérieur du nouveau gouvernement de San Felicio, maître absolu de Castel Morro, le lieu où l'on interne et torture les opposants politiques depuis des décennies. Juan De La Pena est réputé pour sa violence, sa cruauté et ses accès de folie. Andrieu redoute cette rencontre mais quelque chose le pousse, qui n'a rien à voir avec ses soucis médiatiques : la curiosité face au mal, au mal absolu. Il y a certaines choses qu'il vaut mieux pouvoir ignorer , lui dit le colonel en guise de préambule. Le jeune émissaire d'Amnesty souhaite-t-il vraiment savoir ? Veut-il connaître la nature du mal ? J'avais quatorze ans. En tout cas, c'est ce qu'indiquent les registres de l'orphelinat où j'avais été placé avec ma soeur. De nos parents, elle ne parlait pas, et je n'ai jamais retrouvé nulle trace... Ainsi commence le récit de Juan De La Pena, qui est davantage celui d'un homme brisé, que d'un tortionnaire. À quatorze ans, il a été incarcéré à Castel Morro et a été soumis, ainsi que sa soeur, au supplice dont raffolait le maître des lieux de l'époque, le colonel Guarneri : prendre un prisonnier et lui proposer une tentative d'évasion qui lui coûtait invariablement la vie. La trappe de la liberté s'ouvrait sur une baie infestée de requins. Au moment d'être reconduit dans sa cellule, Juan De La Pena, au bord de la démence, a sauté. Il a sauté comme beaucoup d'autres, mais il est le seul qui ait jamais atteint la rive... Ce livre a reçu le Prix « Lire au College », 1999.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 août 2015
Nombre de lectures 25
EAN13 9782211225090
Langue Français

Extrait

Le livre
 
« Les requins, Andrieu ? Avez-vous déjà vu des requins ?En avez-vous déjà approché ? Ne serait-ce qu’une fois,dans un aquarium, un zoo ? Avez-vous ressenti ce picotement dans l’échine, cette irrépressible envie de fuir, d’esquiver leur regard morne, transfixiant ? »
 
Qui est vraiment le colonel de La Peña ? Ministre del’Intérieur du nouveau gouvernement de San Felicio, maître absolu de Castel Morro, le lieu où l’on interne les opposants politiques depuis des décennies, il est réputé pour sacruauté, sa violence et ses accès de folie.
Andrieu, jeune cinéaste français, a fait le voyage jusqu’àSan Felicio pour le rencontrer. Il est envoyé par AmnestyInternational, mais s’il a accepté cette mission, c’est peut-être davantage pour redorer son image que par pure conviction.
Lorsqu’il aperçoit pour la première fois de La Peña, cettenuit-là, sur l’embarcadère du port de San Felicio, Andrieucomprend la vraie raison de son voyage : il est venu jusqu’icipour connaître la nature du mal, du mal absolu.
 
« Il faut lire et faire lire les romans de ChristianLehmann, car ils témoignent de l’intention la plusnoble : amener le lecteur à se former un jugement,lui apprendre à penser librement. »
Daniel Delbrassine, Lectures
 

L’auteur
 
Christian Lehmann est né le 15 août 1958 à Paris. Médecingénéraliste, il écrit en espérant intéresser les enfants autantque les adultes, considérant à tort ou à raison qu’un livre aavant tout besoin d’un lecteur, pas d’une part de marché. Ila publié de nombreux romans, notamment Une éducationanglaise , aux Éditions de l’Olivier.
 

Christian Lehmann
 
 

La nature du mal
 
 

Médium poche
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

À Baptiste
À la mémoire de Marise Rohan
 
Les rumeurs les plus inquiétantes couraient surJuan de La Peña, et lorsque je le vis pour la première fois, cette nuit étouffante de juillet, s’avancer sur l’embarcadère du port de San Felicio, jene pus réprimer un frisson. Il marchait commeun automate, claudiquant sur le ponton, et s’arrêta dans le halo d’un réverbère, rejetant la têteen arrière comme pour défier le ciel, ou lire unmessage dans les nuages qui masquaient un instant la lune. Il me rappela furieusement l’affichede L’Exorciste , de William Friedkin, que j’avaistenté de copier pour mon second film avant d’yrenoncer.
 
Depuis plusieurs semaines déjà, j’avais tenté deme familiariser avec l’homme, avec ses méthodes, en prévision de notre rencontre. Des méthodes…le mot même faisait sourire. De La Peña avaitsemble-t-il mené la révolution, au côté d’El Jefe,l’actuel président de la République, sans autrestratégie que celle de la terreur. On racontait àson sujet des anecdotes effrayantes, sans qu’aucune preuve pût en être apportée. Faute detémoins.
C’était cet homme, réputé pour sa violence,sa cruauté, qu’Amnesty International m’avaitdemandé de rencontrer, de jauger, qui sait… deconvaincre. Et malgré mes craintes, malgré mondégoût de tout ce que représentait ce militaire,j’avais accepté. Par conviction… Du moins est-ce ainsi que l’avaient présenté les attachés depresse de mon producteur aux journalistes narquois qui flairaient là le coup médiatique. Lemeurtre d’un policier dans les circonstancesexactes d’une scène-culte de mon premier film,survenant quelques semaines à peine aprèsl’échec du second, avait déclenché une véritablecurée. Ma tête s’était retrouvée, une nouvellefois, placardée à la une des newsmagazines. Mais cette fois-ci, cela s’apparentait plus à une mise àprix. J’avais refusé de répondre à la moindreinterview, d’affronter la meute. Didier m’avaitsauvé la mise, laissant filtrer la nouvelle de mondépart pour San Felicio, au service d’Amnesty. Ilavait même menti pour me couvrir, trafiquantquelques documents qui lui avaient été confiésen fin d’année dernière pour étayer l’idée que cevoyage était prévu de longue date, et ne se résumait en aucun cas à une manœuvre destinée àsauver la face. La haine qui s’était déchaînéecontre moi avait perdu un peu de sa vigueur,mais ne demandait qu’à renaître. Je savais, confusément, qu’il me fallait rapporter quelque chosede mon voyage. Un film, un entretien, une promesse, n’importe quoi…
 
Quelques semaines plus tôt, j’avais attendu dansun café en face du cinéma tandis que Samia prenait place dans la file d’attente. Il était 13 heures30, et d’emblée je pressentis que nous allions audésastre. Sans rien en dire à Samia, j’avais choisid’arriver avec quarante minutes d’avance surl’horaire de la première séance, au cas où l’engouement du public pour mon premier filmnous réserverait de bonnes surprises. Sans tropm’y arrêter, j’avais imaginé la veille au soir, avantde m’endormir auprès d’elle dans sa petitechambre de bonne, que Samia et moi risquionsde débarquer au milieu d’une foule en délire,prenant d’assaut le Gaumont Marignan commeau bon vieux temps de la première de HarryPotter ou du Seigneur des Anneaux . Le triomphe de mon premier film, État d’urgence , avait pristout le monde au dépourvu, moi y compris.Mais depuis deux ans, j’avais eu le temps dem’habituer au succès, de le considérer commeune chose acquise. J’avais connu la folie destournées en province, le festival de Cannes, oùj’avais raté la Palme d’un cheveu, pour êtreensuite couronné à Berlin de l’Ours d’or.Ensuite le contrat de distribution aux États-Unisdans un circuit indépendant, la réussite là-basaussi, et un périple à travers les States qui s’étaitterminé comme dans mes rêves de gosse, au bordde la piscine de Steven. Oui, j’avais pris cettemauvaise habitude-là aussi, cette manie branchéede faire référence négligemment, par leur simpleprénom, à toutes les célébrités que j’avais rencontrées comme si nous étions des amis de trèslongue date, quand souvent nous ne faisions quenous croiser dans des restaurants surcotés pournous promettre de déjeuner ensemble prochainement, entre deux baisers dans le vide et deuxsonneries de portable.
Vers 14 heures, la file d’attente se mit en mou vement, et Samia, qui s’était apprêtée à livrerbataille au milieu d’une cohue dantesque, se vitdélivrer deux tickets en moins de cinq minutes.J’avais compté moins de cinquante entrées pourcette première, dans l’un des plus grands cinémasd’exclusivité de la capitale. Je savais que certainsremettaient en cause les chiffres, énonçaient un tasd’exceptions à la règle d’or, mais je n’étais pasdupe. Tous les producteurs savent que le succèsd’un film se joue lors de cette première séance. À15 heures, chaque mercredi, les chiffres de Paris etde sa périphérie sont connus de tous, et la vieultérieure du film, hormis quelques exceptions, sedécide là. C’était le bide, un bide retentissant. Avecle recul, je sais maintenant que j’aurais dû m’yattendre, qu’une part de moi l’avait sans douteprécipité. Mais sur le coup, ce mercredi d’avril,avec le soleil de printemps perçant sur lesChamps-Élysées, j’aurais voulu être loin, très loin.J’ai traversé la rue en espérant presque être renversé par une voiture, histoire de ne pas avoir àaffronter les heures à venir. Samia faisait les centpas dans le hall du Gaumont, visiblement mal à l’aise. Elle me tendit mon billet, hasarda un sourire. Je lui emboîtai le pas, la suivis dans lapénombre de la salle où passait maintenant labande-annonce du prochain Gad Elmaleh. J’avaisvoulu cette épreuve, je me l’étais infligée en imaginant que tout se passerait autrement, que jeserais obligé de pénétrer dans la salle au derniermoment, incognito, pour échapper à mes fans endélire. Au lieu de quoi je m’enfonçai dans unfauteuil des premiers rangs, Samia fidèlementvissée à mon côté, en priant pour que personnene me reconnaisse.
 
Les critiques s’en étaient donné à cœur joiepour me descendre en flammes, et le public neles avait pas démentis.
« Pour qui se prend Andrieu ? » avait titréRoussille, un critique influent du Figaro . « N’estpas Costa-Gavras qui veut. Son premier filmavait surpris par le ton, la force qui se dégageaitdes personnages principaux. On avait pardonné,sans doute trop vite, les approximations, le manichéisme des situations, mettant ces défauts au compte du jeune âge du réalisateur. Il faut direque le sujet, la violence dans nos cités urbaines,avait enthousiasmé les plus jeunes, et réveillé

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