Ne touchez pas aux idoles
64 pages
Français

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Ne touchez pas aux idoles , livre ebook

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Description

Si Jonas n'avait pas eu si peur que son ami Grégoire vienne chez lui et voie l'appartement dans lequel il vit, il ne lui aurait sans doute jamais proposé d'aller regarder les filles à la sortie du Lycée. Et Grégoire ne serait jamais tombé amoureux de Melle X, qui porte un manteau rouge et fume la pipe. Et rien ne serait arrivé. Peut-être que personne n'aurait découvert le secret de Berriau, le prof de latin que tout le monde hait. Tout le monde sauf Jonas.
Parce que Jonas a, lui aussi, un secret. Il sait que les gens sont faits pour vous surprendre, et les idoles pour vous décevoir.
Il a aussi compris, en regardant brûler des cahiers dans la cour, un jour de mai, qu'il se méfiait des révoltes. Et qu'il était idiot de vouloir sauver quelqu'un contre son gré.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 décembre 2015
Nombre de lectures 16
EAN13 9782211226509
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0017€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le livre
Si Jonas n’avait pas eu si peur que son ami Grégoirevienne chez lui et voie l’appartement dans lequel il vit, ilne lui aurait sans doute jamais proposé d’aller regarder lesfilles à la sortie du Lycée. Et Grégoire ne serait jamaistombé amoureux de Melle X, qui porte un manteaurouge et fume la pipe. Et rien ne serait arrivé. Peut-êtreque personne n’aurait découvert le secret de Berriau, leprof de latin que tout le monde hait. Tout le monde saufJonas.
Parce que Jonas a, lui aussi, un secret. Il sait que les genssont faits pour vous surprendre, et les idoles pour vousdécevoir.
Il a aussi compris, en regardant brûler des cahiers dansla cour, un jour de mai, qu’il se méfiait des révoltes. Etqu’il était idiot de vouloir sauver quelqu’un contre songré.
 

L’auteure
Brigitte Smadja est née à Tunis en 1955. Normalienne etagrégée de lettres, elle est aujourd’hui professeure à Paris etdirige la collection Théâtre à l’école des loisirs.
Celle qui confie : « j’écris toujours en pensant à undestinataire ou plusieurs et je leur raconte une histoire.Qu’elle devienne un livre, je n’en suis jamais sûre », a toutde même publié une cinquantaine de romans.
Quand on lui demande d’où vient son inspiration, ellerépond très simplement qu’elle découle « de choses trèsconcrètes qui rappellent un souvenir, une émotion, unétat. »
 

Brigitte Smadja
 
 

Ne touchez pas
aux idoles
 
 

Médium
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

Pour mes frères et Caroline.
 
Il ne faut pas toucher aux idoles :
la dorure en reste aux mains.
Flaubert
Madame Bovary
 
T ous les jours, Grégoire et moi, nous passons unlong moment chez lui. J’attends ce moment avecimpatience. Depuis plus de deux ans, les heuress’écoulent au lycée jusqu’à cet instant où les murs,les longs couloirs, la voix métallique de monsieurBerriau, tout explose soudain dans la dernière sonnerie. Alors je ressens le goût de la délivrance etc’est un autre temps qui commence.
Nous nous retrouvons dehors et sans échangerun mot, sans accorder un regard aux autres élèves,nous traversons la foule et nous commençons lechemin qui nous mènera chez lui.
Grégoire ne peut soupçonner ce que représente pour moi ce moment. Pour lui, il ne s’agitque de rentrer après les cours en compagnie de sonmeilleur copain. C’est une évidence qui se passe de tout commentaire et qui fait partie de la routine. Pour moi, c’est une fête.
Grégoire avance d’un pas très rapide, la têterentrée dans les épaules, et il lance ses jambes enavant pluôt qu’il ne marche. Il a grandi d’un seulcoup pendant l’été, mais il reste encore plus petit que moi. Pourtant cela ne l’empêche pasd’avoir cette allure nonchalante que je lui envie.Ce ne sont pas seulement ses vêtements d’unequalité irréprochable qui lui donnent cette allure ; c’est le fait qu’il les porte avec naturel tandis que je me sens constamment engoncé dansmon blouson ou ridicule avec mes pantalons tropcourts. L’usure même des vêtements de Grégoiresemble calculée et lui confère une élégance d’autant plus remarquable à mes yeux qu’il n’en estpas conscient.
Je marche aux côtés de Grégoire tout en essayant de freiner son pas pour prolonger notrebalade et je pense à Suzanne, sa grande sœur.
Avec un peu de chance, Suzanne viendra aujourd’hui. J’espère la rencontrer. L’année dernière, quand elle a quitté l’appartement et que sa chambre s’est transformée en chambre d’amis, j’aicompris soudain qu’elle me manquerait. Maintenant, chaque fois que je vais chez Grégoire, je medemande si elle sera là. Elle passe parfois boire unthé ou un chocolat.
Je ne dis pas à Grégoire mon espoir de voirSuzanne. Depuis qu’elle habite dans une chambreau sixième étage, c’est rare qu’elle descende. Mais,parfois, nous la retrouvons dans la cuisine en trainde discuter avec Elizabeth.
Suzanne parle de la guerre du Viêt-nam. Elleen parle tellement bien que j’ai même cru qu’elley était allée.
Elle dit que les Américains sont des impérialistes, des fascistes, des barbares. Elle défend le« peuple vietnamien ». Au début, je ne comprenaispas pourquoi Suzanne aimait tellement les Vietnamiens et je me suis demandé si les Clancieravaient de la famille au Viêt-nam.
Elizabeth aussi déteste les Américains et ellerépète toutes les phrases de Suzanne. Ça nous faitrire. Nous savons qu’Elizabeth ne comprend pasce qu’elle répète, mais elle aime tellement Su zanne qu’elle l’a accompagnée à une manifestationcontre la guerre. Grégoire et moi, nous étions làquand Elizabeth est revenue à la maison, paniquée. Elizabeth pleurait. Elle nous a dit que Suzanne était en prison, qu’elle serait torturée etqu’il ne fallait rien dire aux parents. J’étais prêt àme rendre à la police, j’échafaudais des plans pourla délivrer quand Suzanne est entrée dans la cuisine, radieuse. Elizabeth avait tout inventé. Nousavons dansé. Suzanne m’a entraîné dans un rockimprovisé tandis que Grégoire dansait avec Elizabeth. Nous avons vite arrêté. J’ai prétexté quenous faisions trop de bruit. En réalité, j’étais affoléde sentir le corps de Suzanne contre moi. Je lui aimarché sur les pieds.
Suzanne a eu sa photo dans le journal. C’étaitil y a deux ans. Grégoire est entré en classe et il abrandi sous nos yeux une photo de sa sœur : unesilhouette de jeune fille devant une voiture enflammes avec un pull à col roulé et brandissant unpavé. La photo était très floue. Personne ne voulait croire Grégoire qui montrait la photo de sasœur comme s’il s’agissait d’une vedette interna tionale. J’ai reconnu Suzanne. Grâce à mon témoignage, la photo a circulé dans la classe.
Quelque temps après, nous avons vu notreprofesseur de français brûler les cahiers de classedans la cour en criant : « C’est fini ! C’est fini !Brûlez tout ! » C’était le professeur le plus jeunedu lycée, un barbu aux yeux bleus qui voulait absolument que nous le tutoyions. Nous avons regardé les cahiers brûler. Je voyais mes bonnesnotes s’envoler, transformées en cendres noires,tandis que certains élèves dansaient autour du feuen imitant les Sioux. J’ai fini par danser avec eux.Il n’y avait que ça à faire. C’était au mois de mai.Il faisait chaud.
A la rentrée, le jeune professeur n’était plus là.Il s’est fait renvoyer, je suppose, par le proviseur,qui observait de sa fenêtre l’incendie dans la cour.En tout cas, on ne l’a plus revu. Il a été remplacépar monsieur Berriau, un fanatique de la disciplineet des zéros. Tout est rentré dans l’ordre.
Depuis un certain jour, j’aime bien Berriau :son crâne chauve, son costume fripé, son génie. Iltraduit Sénèque et Tacite à livre ouvert, il parle la tin couramment. Je ne parle plus à Grégoire deBerriau. Il ne comprend pas. Il le déteste commetous les élèves du lycée.
 
J’aime la maison de Grégoire. Elle est tout prèsdu lycée, rue Clapeyron. Enfin, pas si près, il fautquand même marcher dix minutes.
Nous sommes là, tous les deux, à déambulerdans les rues le plus souvent sans rien dire. C’est çaque j’aime avec Grégoire. Nous n’avons pas besoinde nous parler.
Je me promène avec lui jusqu’à la rue Clapeyron. Il fait encore froid, si froid que je ne sensplus mes oreilles et le bout de mon nez. La nuitmet beaucoup plus longtemps à tomber. C’estnormal pour un mois de mars. Il y a peu de tempsencore, elle arrivait d’un seul coup. Ça m’a toujours fasciné, cette rapidité du soleil à disparaîtreen hiver.
J’aurais envie que ça dure comme ça, longtemps, et retarder le moment où je devrais rentrerchez moi, là-bas, dans ma maison que Grégoire neconnaît pas, qu’il ne connaîtra jamais. J’habite comme lui à Paris, mais dans une autre ville qu’ilne soupçonne pas, à Belleville.
Jamais Grégoire ne viendra. Je ne veux pasqu’il rencontre monsieur Lucas, notre voisin dudessous qui est devenu fou depuis la guerre d’Algérie, ni qu’il voie notre appartement que mamanest incapable de ranger, qui reste encombré par descartons qu’elle entasse dans le salon. « On ne saurait pas où mettre les choses, de toute façon. »
Ici, les rues sont presque vides et les immeublestout blancs ou couleur sable avec des volets bienrangés encadrant les fenêtres.
La porte de l’immeuble de Grégoire est entourée par des cariatides. C’est sa mère qui m’a ditce mot que je ne connaissais pas, un jour que jefaisais remarquer ces statues de femmes nues enpierre de chaque côté de la porte d’entrée. Grégoire ne les avait pas remarquées ou les avait oubli&

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