10 rue de l Avenir
235 pages
Français

10 rue de l'Avenir , livre ebook

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235 pages
Français

Description

« Il trônait sur une table basse (...), le poste de radio dit de ''Télégraphie Sans Fil''. Je n'ai jamais percé le mystère de cette appellation. Où donc se nichait son télégraphe sans fil, et pourquoi s'obstiner à brancher son cordon à une prise murale ? Je ne savais qu'une chose : dès que la TSF s'allumait, ma mère n'était plus seule. À quoi tenait ce prodige ? Au fait qu'il était le cadeau de mariage de ses beaux-parents, qu'ils lui envoyaient leur affection par la magie des ondes, peut-être même leurs encouragements lorsque, seule en cuisine, elle réalisait qu'une fois de plus leur fils, son mari volage, serait absent au dîner ? »
Un enfant de banlieue évoque le quotidien des Trente Glorieuses à travers de courts récits où alternent tendresse et ironie, lyrisme et cocasserie, enthousiasme et mélancolie. Quel est le personnage central de ces multiples anecdotes ? Le pavillon familial, l'enfant, son frère, ses parents, ou bien la vie tout simplement ?

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Informations

Publié par
Date de parution 12 février 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782140142826
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pierre Bringuier
10 rue de l’Avenir
Une enfance sous les Trente Glorieuses
Graveurs de Mémoire
Graveurs de mémoire Cette collection est consacrée à l'édition de témoignages, récits personnels divers contemporains. Depuis 2012, elle est organisée par séries en fonction essentiellement de critères géographiques mais présente aussi des collections thématiques (univers professionnels, itinéraires divers...). Déjà parus Niccolaïni (Gwenola),L’Algérie, connais pas, Treize témoins en quête de souvenirs, 2019.
Rozan-Loubeyre (Aliette),La somme des couleurs, 2019 Roux (Jean-Baptiste),Confidences d’un maire dans la tourmente de 14-18, textes rassemblés par Elisabeth Roux, 2019 Ossoma-Lesmois (Richard),Antoine Ndinga Oba, Homme de terroir, éducateur, diplomate, africanité, 1941 – 2005,2019.
Dijou-Guiffrey (Andrée),1846. Destination : l’Afrique, 2018.
Garron (Robert),Itinéraire d’un professeur au long cours,2018.
Schneider (Bertrand),Mes révolutions. Souvenirs de l’ancien secrétaire général du Club de Rome, 2018.
Saad (Robert),Le jasmin dans la savane, 2018.
Banoun-Caracciolo (Frédérique),Les tribulations d’une traductrice, 2018.
Guidon (Frédéric),Mon métier de professeur,2018.
Ces dix derniers titres de ce secteur sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.editions-harmattan.fr
Pierre Bringuier 10rue de l’Avenir Une enfance sous les Trente Glorieuses
Du même auteur Scolarités fragiles,L’Harmattan,2016. Des jeunes qui se cherchent,L’Harmattan,2015. © L’Harmattan, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-18740-2 EAN : 9782343187402
I Un monde minuscule
Le pavillon Nous devons tous nous rendre à l’évidence : nos parents ont été un jour des jeunes gens. C’est dans la liesse collective de la Libération de Pa-ris que les miens célébrèrent leurs vingt ans, perdus dans des vêtements devenus trop grands pour eux et avec pour tout alcool la disette. Qui n’aurait cédé, ce jour-là, au désir d’enterrer une guerre qui s’obstinait à ne pas mourir? Le sourire émacié, le cœur empli d’un optimisme grave, ces deux orphelins de l’enfance tentèrent de re-prendre le fil des jours là où la peur l’avait coupé. Mais ils étaient si légers que sans aide ils n’auraient pu fendre la muraille du réel, avec ses restrictions, sa quête d’emploi et de logement... Dans leurs familles respectives, chacun avait son truc pour tenir à distance les petits comme les grands malheurs. Certains chantaient du matin au soir,d’autres, devenus mutiques, ne prenaient plus la peine de piocher dans les mots disponibles une raison de vivre ou même de faire semblant. Ils soupiraient à in-tervalle régulier, pour se convaincre qu’ils vivaient. Du côté de ma mère, ils s’entassaient dans de mi-nuscules appartements parisiens dépourvus de confort ou d’ouverture vers le ciel. Que mes parents y aient conçu Jean-Paul, mon frère aîné, relève du miracle. Tous les occupants étaient pris dans les rets de la promiscuité, quelle que soit leur nature, leur humeur. Le rossignol fredonnait du Jean Sablon, du Reynaldo
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Hahn en longeant un étroit couloir sombre, tentant de ne pas voir qu’il frôlait de la hanche ou du coude le sanglier bougon, le craintif campagnol, la taupe indif-férente... La gaieté solaire des uns tissait avec la mélancolie résignée des autres un macramé doux-amer qui s’efforçait de rappeler le chatoiement de la vie d’autrefois. Les manies étaient tolérées, car si elles aga-çaient, elles distrayaient aussi. Dans ces petits huis clos perchés en haut d’immeubles noirs de suie régnait une atmosphère de folie morne. La débâcle, la capitulation, les délations, les arrestations, le rationnement, le recours forcé au marché noir, tout s’était conjugué pour les désespérer en démonétisant leurs valeurs morales. Certaines d’entre elles pourtant faisaient de la résis-tance, au premier rang desquelles le respect des con-venances. Le ventre de ma mère attestant du sérieux de leurs relations, les deux fautifs, convoqués au tribu-nal de l’honneur familial, consentirent au mariage, eux qui ne demandaient qu’à redevenir des enfants. Ce ma-lentendu avec le calendrier fut l’affaire de toute leur vie. Mais à quelque chose, parait-il, malheur est bon : après des années de promiscuité, riches de leur pre-mier bébé, ils finirent par dénicher en banlieue un pa-villon inchauffable, trop grand pour être rassurant, trop petit pour être inquiétant... L’idéal, pour les ex-plorateurs que nous allions devenir, Jean-Paul et moi. Il devait avoir drôlement hâte que je naisse!
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Il n’eut guère à attendre, les méthodes contracep-tives d’alors laissant toutes leurs chances aux nom-breux candidats à la vie, dont j’étais. Je naquis, et le pavillon blotti au fond d’un jardin grand comme une jungle de lutins devint notre château au bois dormant. La vie y absorbait les saisons, les années, sans laisser d’indice sur le passage du temps. Nous habitions le présent comme Dieu l’éternité. Aux beaux jours, un arrosoir plus lourd que nous, à tour de rôle, nous transportait jusque devant des de-moiselles généreuses en couleur, mais qui se plaignant à peine nous froissions leur robe en les abreuvant avec ferveur. Parfois nous pensions à cueillir pour notre mère du muguet ou du lilas avant que les fleurs ne fa-nent. Mais les cerises juteuses, acides à tirer une gri-mace, pas vu pas pris, c’était pour nous! En hiver, sitôt libérés par le maître d’école de l’étude du soir, nous rentrions en hâte, dans la nuit, sans être certains de gagner la course contre le froid. A peine dans le vestibule, nous laissions les cartables tomber où ils voulaient et dégringolions l’escalier de bois poussiéreux qui menait au sous-sol, afin d’alimenter la chaudière à charbon à grands coups de pelle enthousiastes. Sans reprendre souffle, nous remontions ensuite au rez-de-chaussée, courions à l’évier de la cuisine nous remplir le gosier d’eau fraîche, les lèvres à même le robinet, transpirant et ravis. Après trois grosses respirations, nous escaladions l’escalier de bois ciré qui menait à l’étage, sans penser à ôter nos chaussures, ni à enfiler les chaussons alignés
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au matin par une mère pressée de partir travailler, mais espérant s’épargner la séance de paille de fer et de ci-rage du samedi matin. De bien beaux chaussons pour-tant, en feutrine et à semelle de crêpe antidérapante. Tout enfant est le tortionnaire de sa mère, alors deux... A l’étage, nous revisitions chaque pièce, exceptée notre chambre où nous attendaient nos devoirs! Chambre parentale, cagibi, salle de bains, il y avait tou-jours à découvrir, à approfondir, car pour être amu-sante l’inspection devait être lente. Quand le courage était au rendez-vous, nous mon-tions dans les combles. L’escalier était raide, chaque planche grinçait sous notre poids d'intrus. Les occu-pants des lieux cultivaient des champs de poussière grise et avaient une étrange façon d’accueillir le visi-teur : les toiles d’araignée, mues par le souffle de notre passage, venaient se coller au visage comme des petits fantômes avides de contact, tandis que les souris s’affairaient en tous sens, glissant sur leurs griffes dans une cavalcade d’effroi. Nous n’étions pas pressés d’inventorier les objets déposés par les ans. Il fallait d'abord se rendre muets, fusionner avec les choses. Ç’aurait été mission impos-sible si les lieux n’avaient pas inspiré la crainte et le respect. Soudain ils craquaient, sans qu’on sache où ni pourquoi. Souffraient-ils de rhumatismes comme les vieux? Menaçaient-ils de céder sous la poussée d’un monstre tiré du sommeil par deux garçons transgres-sifs? La curiosité triomphant de la peur, on décidait d’entendre dans ces claquements sourds le consente-
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