Cité et pavillon
84 pages
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Cité et pavillon , livre ebook

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Description

Quand Fatiha, la femme de ménage des Lampelle, entend un râle à l’étage de la maison où elle travaille et découvre une masse sombre, inerte, étendue sur le sol, elle ne se doute pas que cet événement va changer le cours de la vie d’Arthur, jeune lycéen en train de sombrer dans l’addiction aux jeux en réseau.
Florence, sa mère, et Fatiha racontent cette dérive à deux voix et initient, chemin faisant, une certaine découverte réciproque. « Cité et pavillon » croise le regard de ces deux femmes qui vivent dans la même banlieue mixte où les habitants des HLM et ceux des pavillons demeurent dans les limites de leurs territoires, sans se côtoyer ni se connaître.
Leur récit, tantôt douloureux tantôt cocasse, donne à découvrir deux mondes ayant chacun ses codes et ses règles, deux mondes dont la souffrance n’est pas exclue, quel que soit le côté de la rue où l’on habite.
Un roman inspiré par des histoires vraies, des anecdotes et des paroles glanées tant dans les cages d’escaliers que les rues pavillonnaires.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 novembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782363154941
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0009€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cité et pavillon


Margarita PEREA ZALDIVAR

2015
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Table des matières

Chapitre 1 : Urgences
Chapitre 2 : Couscous
Chapitre 3 : Carnaval
Chapitre 4 : Sevrage
Chapitre 5 : Chambre et jardins
Biographie
Chapitre 1
 
Urgences
 
 
Fatiha
Il y a des jours où rien ne se passe comme d’habitude. Quand je suis arrivée devant le portail des Lampelle, le chat m’attendait. Il m’a précédée jusqu’à l’entrée en vérifiant de temps à autre, par un regard, que je connaissais toujours le chemin.
Le mardi après-midi, Mme Lampelle fait cours et son fils Arthur est aussi au lycée : je suis seule. Dès que j’ai ouvert la porte, l’odeur de céleri et de friture m’a sauté au nez. C’est l’odeur des maisons françaises. Ils n’aèrent pas assez… Mon premier geste a été d’ouvrir en grand toutes les fenêtres, avant de me préparer un thé, comme d’habitude. Quand elle n’est pas là, Madame Lampelle me laisse toujours ma tasse et un sachet près de la bouilloire, en signe de bienvenue. Elle est la seule de mes patrons à faire ça.
Pendant l’infusion, j’ai enlevé mon foulard et j’ai aéré mes cheveux : dans ce tissu, ils sont tout aplatis. J’ai posé mon manteau sur la chaise de l’entrée puis j’ai mis mon tablier et mes chaussons. J’ai bu debout, le dos appuyé contre le frigo. Ensuite, j’ai enfilé les gants en caoutchouc, ouvert le placard et sorti les produits d’entretien, les chiffons et l’aspirateur. Le chat a demandé à sortir dès qu’il a compris ce qui se préparait.
Dans chaque maison où je fais le ménage, je respecte un ordre précis des tâches. Je l’ai réfléchi et amélioré avec l’expérience pour que la routine me permette de penser à autre chose. Comme ça, le temps passe plus vite. Ici, je commence par nettoyer le mobilier blanc de la cuisine et les toilettes. Ensuite, je m’occupe des meubles. L’odeur exotique du dépoussiérant me donne envie d’écouter de la musique mais je n’ai jamais osé mettre un disque quand je suis seule, comme je le fais chez moi, avec de la musique marocaine. Je me contente de regarder les nouvelles boites sur l’étagère. Ensuite, je passe au produit à vitres et je commence par les miroirs. Aujourd’hui, dans celui de l’entrée, j’ai regardé mon visage. Ce que j’ai vu m’a inquiétée et j’ai accroché le chiffon à la poignée de la porte la plus proche. J’ai tiré la peau de chaque côté de mes joues, vers les oreilles, et j’ai pensé : « Avant, c’était comme ça. ». Mais j’ai relâché aussitôt car ce lifting d’essai imposait à ma bouche un sourire forcé qui m’a fait peur. Il vaut mieux que je continue à bien serrer le foulard…
J’allais reprendre le chiffon quand j’ai entendu un bruit, comme un râle. Je me suis figée, le bras en avant. J’ai senti un chatouillement le long de mon dos et mes jambes se sont paralysées. Je suis restée là, à écouter avec tout mon corps, à interroger mon propre regard dans le miroir, Puis j’ai réussi à lever la tête d’un coup vers la source du bruit et j’ai aperçu, en haut des escaliers, entre les barreaux de la balustrade, une masse noire qui bougeait légèrement.
Mon cœur s’est mis à battre comme cette musique qu’écoutent les jeunes de ma cité dans leurs voitures et qui fait vibrer les vitres quand ils passent, pendant qu’on les maudit à toutes les fenêtres. Ma bouche est devenue très sèche, mes narines dilatées. Pourtant, je ne sais quelle curiosité a déverrouillé mes pieds et m’a poussée vers l’étage. J’ai serré la rampe en montant doucement, les jambes agiles mais le haut du corps raide. Le râle s’est fait plus intense, plus régulier : un souffle lent et profond. J’ai accéléré.
Une masse était allongée par terre, en travers du petit palier. Un corps drapé de noir avec une tête noire aussi.
Cette tête était recouverte, sur la partie supérieure, d’un casque luisant, très lisse, qui descendait en s’évasant vers les épaules. La partie inférieure, des sourcils au cou, ressemblait plutôt à un masque totalement fermé, avec des yeux de plastique noir immenses, enfoncés, désespérés, et des joues en pointe. Une grille triangulaire, par laquelle semblait sortir le râle, faisait penser à une bouche.
La forme ne bougeait pas mais j’ai deviné quelle avait des bras sous le tissus. Je me suis arrêtée trois ou quatre marches avant le haut de l’escalier, les yeux fixés sur cette tête invisible qui respirait de façon impressionnante. Je ne savais même plus si j’avais peur.
Le masque noir a essayé de se tourner vers moi et, dans le souffle étouffé par le plastique, j’ai cru entendre : « Fatiha… ». Il me connaissait ? J’ai concentré alors toute mon attention sur ce corps, tentant d’y trouver un indice, un signe, une explication. C’est alors que j’ai remarqué les pieds : ils portaient des tennis, des tennis blancs et noirs un peu usés. Le casque a répété alors, entre deux râles, « Fatiha… ».
– Arthur ?
La chose noire s’est tendue un peu plus vers moi.
– Arthur, c’est toi ? Arthur !
J’ai essayé de dégager sa tête du casque mais j’ai vite compris que je n’y arriverais pas parce que je ne savais pas comment m’y prendre et que je tremblais de tout mon corps. Dans mon cerveau, les questions se télescopaient : pourquoi Arthur est-il là-dessous ? Que lui arrive-t-il ? Arthur n’est-il pas asthmatique ? Mme Lampelle me l’a dit un jour…
Je suis redescendue à vive allure. Mes chaussons, simplement enfilés, claquaient sur le bois. J’ai couru jusqu’au bureau et j’ai attrapé le téléphone. J’ai tapé le 18. Heureusement que je connais les chiffres parce que ma fille m’a appris.
– Caserne des pompiers, j’écoute…
– Monsieur, faut vite venir. Arthur, il fait une crise.
– Qui êtes-vous ?
– La femme de ménage.
– La femme de ménage de qui ?
– De Mme Lampelle. Mais venez…
– Pouvez-vous me donner l’adresse ?
– Oui. C’est au 15 bis rue de l’Amitié. Vite, Monsieur…
– Raccrochez et je vous rappelle tout de suite.
– Pourquoi il faut… ? 
– Raccrochez Madame, je vous rappelle.
J’ai raccroché mais j’ai gardé l’appareil dans la main. Je regardais l’escalier, mécaniquement, même si je ne voyais pas Arthur. Dès que le téléphone a frémi de nouveau, je l’ai saisi.
– Oui, c’est les pompiers ?
– Vous êtes bien la dame de ménage de Mme Lampelle au 15 bis rue de l’A…
– Oui, oui, Monsieur, c’est ça, c’est ça, mais il faut venir de suite…
– Nous serons là dans cinq minutes, Madame.
Je suis remontée rapidement à l’étage. Arthur respirait toujours fort. J’ai posé mes lèvres sur le côté du casque. À travers le plastique froid, je lui ai crié :
– Arthur, tu t’inquiète pas. Les pompiers, ils arrivent tout de suite. Je suis là.
Arthur ne bougeait pas et son souffle devenait un peu plus rapide, plus sifflant. Maintenant, la peur était dans mon ventre. Ce n’était plus de l’effroi, mais une véritable angoisse, celle qui travaille dans les entrailles. Je me suis aperçue que je respirais au même rythme qu’Arthur, que je l’accompagnais dans sa souffrance bronchique.
Quand j’en ai pris conscience, j’ai essayé de faire quelque chose en allant surveiller la rue depuis la fenêtre. Rien pour l’instant. Je suis revenue près d’Arthur. Je n’osais pas le toucher. J’étais impressionnée à la fois par le risque qu’il pouvait courir et par la présence de cet immense regard de plastique tourné vers moi.
– Mais pourquoi que t’es habillé comme ça, Arthur ?
J’ai reçu pour seule réponse la régularité du souffle qui sortait du masque.
 
 
Je tremblais comme si j’avais froid. Je suis allée de nouveau à la fenêtre et j’ai écouté au loin, en me

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