Les contes populaires du Berry et de quelques cantons voisins Par Christophe Matho
Avant-propos
Le conte populaire semble avoir toujours été présen t dans ma famille, surtout du côté berrichon, par ma mère. Du côté de mon père, plutôt bourbonnais, ma grand-mère garde aussi au fond de sa mémoire une manne d’histoires e t récits fabuleux ou fantastiques. Nous ne sommes pas une famille de conteurs, nous av ons simplement eu la chance d’oublier moins vite que d’autres la tradition oral e qui a longtemps animé les veillées. Chance, mais volonté aussi, volonté de conserver co mme un bien précieux la souvenance de ces « racontages » familiaux anciens. Avec eux ressurgissent du passé les fruits d’une tradition transmise de génération en génération par l’oralité. Les contes populaires ont régi la création et la circulation d es histoires dans nos communautés berrichonnes.
Les veillées commençaient en Berry après la Toussai nt, une fois les récoltes engrangées, les grains, fruits et légumes mis à l’a bri et le bétail rentré, le paysan pouvait alors s’octroyer à un peu de repos. Réunies autour de l’âtre rougeoyant, les familles dégustaient les plaisirs simples des soirées entre voisins. Le feu réchauffait les corps et les cœurs, les esprits aussi. L’oreille en alert e, chacun attendait que sortent des bouches expertes les cascades d’histoires, de conte s envoûtants qui allaient ravir la soirée et s’inscrire pour toujours dans les mémoire s ; fidèle, édulcoré, modifié le conte voyageait, il vivait par la transmission.
A cette époque pas d’électricité, pas de télévision , bien sûr, mais convivialité et cordialité étaient de rigueur et on dansait, on chantait en pa tois ; on mangeait des châtaignes en buvant un coup de cidre, de vin parfois. On échange ait un savoir populaire, on apprenait en écoutant les anciens. On se grandissait de leur sagesse. Les veillées développaient l’esprit communautaire et jouaient un rôle social. On s’entraidait en partageant la tâche avec ses voisins, on renforçait le lien. On en écou tait un qui causait bien pendant qu’on écrasait le chanvre pour le débarrasser de son écor ce. Les enfants aidaient en cassant les coquilles des noix pour l’huile. Les hommes par laient fort pour couvrir le bruit qu’ils faisaient en réparant leurs outils, ils tressaient la paille ou l’osier, fabriquaient corbeilles et paniers, ou, munis de leur couteau sculptaient l e bois. Parfois, plus rarement, ils jouaient aux cartes. Les femmes filaient, cousaient , ravaudaient. Rien ne devait se perdre, c’était du développement durable avant l’he ure. On changeait chaque soir de maison afin d’économiser le bois et la lumière...
Les enfants jouaient avec les braises sous l’œil vi gilant des anciens et fascinés, ils se rapprochaient pour écouter les histoires fabuleuses ou horrifiques, merveilleuses parfois,
toutes extraordinaires et qui feraient la trame de ce qui deviendrait un conte. Des fables et des chansons traditionnelles, malicieuses, nosta lgiques ou récentes, apprises lors de séjours à la ville ou dans les foires venaient agré menter les récits des veillées transmis de bouche-à-oreille.
Le conte populaire a ainsi pu traverser les siècles , simplement par la mémoire de la langue des hommes. Nul besoin des livres alors !
e Avec l’arrivée du XX siècle, dans le Berry, les veillées se font de plu s en plus rares. La révolution industrielle, le machinisme agricole, la première Guerre Mondiale ont raison des conteurs. La campagne se dépeuple, les jeunes p artent pour la ville, attirés par le travail des usines qu’ils pensent meilleur. Il y a de moins en moins de monde pour entendre ou dire les contes aux veillées. Ces conte s, en plus, étaient dits en patois et le vieux langage régresse sous l’uniformisation de la langue voulue par l’école et la conscription. Le patois s’éteint. Bientôt la radio remplace les conteurs. Puis chacun reste e chez soi, il n’y a plus de veillées. Le début du XX siècle bouleverse profondément la vie sociale des Berrichons, réduisant presque à néant l eur culture orale. Contes, mais aussi chansons populaires, devinettes et comptines tomben t dans l’oubli...
e À la fin du XIX siècle, déjà, dans toute la France, des folklorist es prennent conscience qu’un pan essentiel du patrimoine oral est sur le p oint de disparaître. Ils auditionnent les anciens à travers les campagnes et collectent leurs vieilles histoires. Ils sont écrivains, ainsi Charles Beauquier le Franc-Comtois, Jean-fran çois Bladé le Gascon, Henri Carnoy le Picard, Eugène Rolland le Messin, Paul Sébillot le Breton. Carnoy séjourne plusieurs fois en Berry, il y collecte quelques contes.
Du côté de La Charité-sur-Loire, œuvre un des plus grands collecteurs français de contes populaires : Achille Millien. Celui-ci n’entend col lecter que des contes de la Nièvre qu’il considère, tous, comme nivernais. En se fixant aux limites administratives de la République, il nous offre une belle collecte berric honne, puisque si on se réfère à l’ancienne province de Berry, celle-ci traversait l a Loire et voyait La Charité-sur-Loire et ses environs être terres berrichonnes. Quel dommage que Millien n’aie pas traversé la Loire pour ses collectes ! Quel dommage que nous n’ ayons pas eu de grands collecteurs comme il y en eut en Bretagne ou dans l’Est ! Georg e Sand connaissait bien ces contes de paysans, mais elle ne les a pas transcrits. Maur ice, son fils, et Aurore, sa petite-fille, en ont sauvés quelques-uns.
Hugues Lapaire en a recueillis, mais les traces de ses collectes font défaut. Il a préféré s’en inspirer pour rédiger des contes littéraires p lutôt que se consacrer à la collecte des versions orales. Mon arrière-grand-mère m’en a narr és quelques-uns, qu’elle disait lui avoir été transmis de vive voix par l’homme de lett res. Enfant elle avait été bercée par les narrations; ma trisaïeule, sa mère donc, exploitait une ferme à Sancoins, « aux Martignaux » plus précisément. Hugues Lapaire était propriétaire d’une bonne partie des terres qu’elle cultivait. L’écrivain prenait plaisi r à raconter ces vieilles histoires de paysans à la petite Louise dont le père était tombé à Verdun. Ma grand-mère aimait à
évoquer le souvenir de ce lointain cousin, ami de s a grand-mère et de sa mère qui avait enchanté son enfance. L’écrivain ne rédigea jamais ces contes-là, il s’agissait d’histoires qui se racontaient dans les fermes environnantes. J ’avais 12 ans, lorsque j’ai entendu ces contes. Mon arrière-grand-mère est partie depui s longtemps et je ne peux pas tous les retrouver, j’ai fouillé les méandres de ma mémo ire pour leur redonner vie, parfois aidé de ma mère qui les avait entendus avant moi. Ni ell e ni moi n’avions pensé à les transcrire. Ma mère avait bien collecté les « histo ires du père Coin » lorsque nous vivions à Thaumiers, à « La Leux » plus précisément, au tou t début des années 80. Vieux « bonhoumme », Henri Coin, connaissait des contes e t m’en a racontés quelques-uns, il avait assisté à tant de veillées ! Il était né au d ébut du siècle et nous a quittés, au détour des années 90. Ces contes là feront sans doute l’ob jet d’un prochain tome de cet ouvrage.
Joël, mon grand-père maternel, est né à Fresselines , en Creuse, à quelques lieues du Berry. La famille de sa mère, les Dérier, avait fai t souche à Orsennes dans l’Indre avant de s’éparpiller dans les communes voisines. Il conn aissait des tonnes de choses extraordinaires mais deux contes au moins ont reten u mon attention d’éditeur. Je n’ai malheureusement pas eu le temps d’éclaircir certain s points avant que la maladie ne l’emporte, à ce moment je me laissais porter par le conte, je ne cherchais pas à en connaître l’origine. Ces contes étaient-ils berrich ons, creusois... ou teintés d’italien car son père Orazio Franceschi né à Bagni di Lucca, en Italie ? Orazio était venu à Éguzon, gagner quelque argent en travaillant à la construct ion du barrage. Le bel Italien projetait de rejoindre sa sœur aux États-Unis. Il tomba sous le charme d’une paysanne berrichonne, Armance, mon arrière grand-mère, qu’il épousa, et il passa le reste de sa vie à Fresselines. C’est lui qui a raconté ces deux histoires à son fils.
J’ai rassemblé tous les contes qui ont gravité dans le cercle familial. Il n’y avait pas de quoi faire un livre. Fasciné par l’univers du conte populaire, j’ai élargi mes recherches aux collectes faites par d’autres. Le Solognot Géra rd Bardon m’a confié les quelques collectes qu’il avait réalisées en Berry. Remontant le temps, j’ai cherché dans les archives et les bibliothèques, j’ai regardé ce qui avait été collecté dans le Cher et dans l’Indre ; j’ai enrichi de trouvailles faites à La C harité-sur-Loire hier berrichonne, à Boussac aujourd’hui creusoise mais berrichonne sous l’ancie n régime. La Sologne, pour un tiers berrichonne, a aussi fourni son lot de contes. Bien sûr avant 1789, Saint-Amand et Sancoins étaient bourbonnaises, une grande partie d e la Brenne tourangelle et La Guerche-sur-l’Aubois nivernaises. Alors j’ai intégr é à ma récolte les fruits de mes recherches dans quelques cantons voisins du Berry p our avoir un florilège satisfaisant. En fait, je n’ai pas triché en sortant un peu du Ch er et de l’Indre, car les contes voyageaient, transmis de ferme en ferme par les col porteurs, les marchands, les j, n’a rien à voir avec une limiteournaliers. La réelle zone de diffusion d’un conte administrative ; les contes étaient dits en patois. La première limite à leur diffusion était donc la traduction d’un idiome à un autre. Leur air e de développement était un espace linguistique où on parlait le même patois. Si on ve ut retrouver les vrais contes berrichons, il faut plutôt regarder les deux aires linguistique s qui traversent le Berry :