Mami Wata la Sirène et les peintres populaires de Kinshasa
225 pages
Français

Mami Wata la Sirène et les peintres populaires de Kinshasa , livre ebook

-

225 pages
Français

Description

Mami Wata, moter water: la mère des eaux, la sirène, la déesse hybride, femme-poisson apparue et vénérée en Afrique au moment de la rencontre entre Blancs colonisateurs et Noirs bientôt colonisés. Objet d'un culte qui se répand bientôt dans toute l'Afrique occidentale et centrale, elle devient la déesse préférée des "femmes libres" des villes africaines post-coloniales, fait l'objet de rites propitiatoires, de magie noire et de sorcellerie, mais est aussi source d'espérance en une vie meilleure. Symbole de ces femmes libres qui effraient et fascinent, elle devient au Congo-Zaïre, à l'époque Mobutu et avec la montée du sida, l'un des thèmes dominants de l'art populaire congolais.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2004
Nombre de lectures 13
EAN13 9782296322974
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mami Wata la Sirène
et les peintres populaires
de Kinshasa
Collection La Bibliothèque d’Africultures Dirigée par Sylvie Chalaye et Olivier Barlet
S’appuyant sur la dynamique de la revueAfricultures, la collection La Bibliothèque d’Africultures accompagne son travail d’approfondissement des cultures africaines par la publication de textes portant sur des aspects éven-tuellement méconnus de ces cultures. Elle cherche, hors de toute chapelle, à stimuler la recherche et contribuer à la connaissance et à la reconnaisssance des expressions culturelles africaines.
Ouvrages parus :
- Ahmed Rahal,La Communauté noire de Tunis – thérapie initiatique et rite de possession, 158 p., 2000.
- Nar Sene,Djibril Diop Mambety – la caméra au bout… du nez, 134 p., 2001.
- Sylvie Chalaye,Nègres en images, 194 p., 2002.
- Ange-Séverin Malanda,Michel Leiris et la théorie des arts africains, 96 p., 2003.
Couverture :dessin de l’auteur d’après une peinture de Chéri Benga.
© Editions L’Harmattan, 2003 ISBN 2-7475-4472-9
Préface
Lucie Touya a très justement analysé la séduction exer-cée par la sirène (appelée localement Mami Wata) sur les citadins congolais, particulièrement les Kinois, sous deux principaux angles. Tout d’abord, elle prend en compte la représentation d’accès et de participation au pouvoir que procurent la richesse et la spiritualité au sens large, en par-ticulier les pratiques religieuses d’inspiration chrétienne. D’autre part, elle approche la question par le recours à la médiation que nécessite la négociation de la place de l’in-dividu, mâle en tout premier lieu, dans la société et dans l’univers politique. Tant à l’époque coloniale, que postco-loniale, la ville est un lieu où les stratégies individuelles d’accumulation de la richesse et du pouvoir politique ont le plus de chance de réussite à long terme, où elles peuvent avoir des effets cumulatifs. À côté ou en conjonction avec l’accumulation des valeurs économiques ou des diplômes scolaires et universitaires, les pratiques personnelles du christianisme y offrent le plus de chance de succès. On recrute des adeptes en ville plutôt qu’ailleurs puisque la séduction y opère d’individu à individu.
Ainsi, c’est en ville que l’affirmation du soi comme acteur autonome a trouvé en la sirène une figure de média-tion et une représentation sociale qui autorise un débat social sur la séduction de la modernité et ses conséquences pour les individus et pour la communauté. Les stratégies individuelles d’accumulation d’ascendance sur d’autres acteurs sociaux sortent ainsi de l’éphémère, émergent d’une certaine « clandestinité ». Devenues objet d’un débat social, elles peuvent conduire à une « capitalisation », malgré un consensus sur l’immoralité de la relation avec la sirène.
Lucie Touya remarque justement le lien que cette repré-sentation figurative entretient autant avec les croyances et les pratiques anciennes, de guérison surtout, qu’avec l’ima-ginaire partagé dans l’univers colonial où la reproduction mécanique a mis en circulation un exotisme cosmopolite. L’affichette de charmeuse de serpent supposée hindoue qui se vendait au marché ne diffère foncièrement pas d’unsoap operahindou ou brésilien vu sur l’écran de télévision au Sénégal ou au Congo. Sans être explicitement coloniale ni explicitement métropolitaine, la sirène, image globale de facture moderne, circule en milieu urbain à titre de mar-chandise. Son acquisition passe par la médiation moderne, celle de l’argent. Nous avons affaire à un cosmopolitisme colonial d’abord, postcolonial ensuite. On pourrait parler d’une globalisation périphérique qui contourne l’Occident, qui le provincialise et lui refuse le statut de place centrale. L’image de Mami Wata elle-même est une localisation sinon du global ou moins du cosmopolite. Les vertus qu’on lui attribue au Congo en font une médiatrice (une passeuse pour ainsi dire) entre les obligations locales de reproduction sociale, les devoirs envers la communauté et les opportuni-
6
tés globales de promotion et d’accumulation à titre indivi-duel. Mami Wata aide à faire le saut d’un univers à l’autre, mais en exige un prix. Image et objet de circulation de l’univers libéral, elle confirme que toute chose a un prix, le succès individuel en particulier.
Toutes proportions gardées, au Congo la représentation picturale de la sirène est comparable au sous-verre sénéga-lais. Même si l’une relève de l’univers chrétien et l’autre de l’univers islamique, les deux prennent pour point de départ des images mécaniquement reproduites, mises en circula-tion par le commerce colonial. Par leurs références visuelles et mémorielles, les deux modes de représentation relient les espaces culturels coloniaux périphériques par rapport à la métropole à laquelle le statut de centre est refu-sé. Dans un cas comme dans l’autre, des techniques de pro-duction ont été localement appropriées et développées, à savoir la peinture de chevalet et la peinture sous-verre. De même, la pratique locale de chaque représentation inscrit l’emprunt d’origine cosmopolite dans l’univers local de 1 représentation.
Lucie Touya consacre son livre à l’exploration des pra-tiques artistiques et des usages sociaux de la représentation kinoise de la sirène. L’intérêt particulier de son livre vient de ses entretiens avec quelques peintres de Kinshasa qui lui parlent non seulement de la sirène qui prend vie sous leur pinceau et des pratiques sociales de cette représentation mais aussi de leur univers religieux. Comme elle l’écrit,
1. Voir Mamadou Diouf, « Islam, peinture sous verre et idéologie popu-laire », inArt pictural zaïrois, dir. B. Jewsiewicki, Sillery, Septentrion, 1992, p. 29-40.
7
Mami Wata est un symbole des aspirations individuelles ; c’est ainsi que la rumeur en a toujours attribué une à Mobutu, la plus puissante de toutes celles qui pouvaient s’offrir à un Congolais, avec laquelle un Congolais pouvait s’engager dans un jeu de séduction.
Le hasard a voulu que j’aborde, en même temps que Lucie Touya, la représentation picturale de la sirène au 1 Congo . Elle m’a surtout séduit comme médiatrice entre la mémoire sociale et les aspirations et expériences indivi-duelles du capitalisme en post-colonie. À ce titre, je la vois inscrite dans une temporalité spécifique, celle de la Seconde République de Mobutu. La situant plutôt dans le cadre de la ville et de ses syncrétismes religieux, Lucie Touya l’approche en anthropologue et s’approche de l’ana-lyse de Biaya Tshikala qui, il y a déjà dix ans, mettait en relation la peinture populaire congolaise et les pratiques de 2 spiritualité féminine . Il n’a donc pas présenté explicite-ment la représentation d’une Mami Wata qui ne séduit que des hommes. En postcolonie congolaise, le succès indivi-duel éventuel des femmes est directement et explicitement attribué à une relation contre nature, relation avec un ser-pent, symbole chrétien de satan.
À chacun sa Mami Wata pourrait en conclure le lecteur, soupçonnant dans ce dernier paragraphe une dérobade post-moderniste. Pourtant la Mami Wata congolaise, une repré-
1.Mami Wata,la peinture urbaine au Congo, Paris. Gallimard 2003. 2. Biaya Kayembe Tshikala,Femmes, possession et christianisme au Zaïre. Analyse diachronique des productions et pratiques de la spiri-tualité chrétienne africaine, thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 1992.
8
sentation résolument moderne, se prête à ces multiples lec-tures, et plus encore les pratiques sociales au Congo reven-diquent cette multiplicité. Image plutôt que récit, elle est un lieu où l’imaginaire et l’évaluation morale travaillent.
Bogumil Jewsiewicki Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire, Célat, Université Laval, Québec.
9
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents