Antonine Maillet conteuse de l Acadie
188 pages
Français

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Antonine Maillet conteuse de l'Acadie , livre ebook

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Description

Katia Bottos restitue les étapes d'un intense travail poétique commencé en 1958 avec un roman d'apprentissage, Pointe-aux-coques. Alliant la convention épique à la tradition folklorique des contes et des légendes, Antonine Maillet, romancière acadienne, instaure une géographie nouvelle, revivifiée. Du sein de ce mélange de terres et d'eaux, la polyphonie des voix se fond dans les souffles naturels pour composer une poétique originale de l'espace et des éléments.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2011
Nombre de lectures 41
EAN13 9782296457836
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ANTONINE MAILLET CONTEUSE DE L’ACADIE ou L’ENCRE DE L’AÈDE
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-54564-9 EAN : 9782296545649
Katia BOTTOS ANTONINE MAILLET CONTEUSE DE L’ACADIE
ou
L’ENCRE DE L’AÈDE
Préface de Daniel-Henri PAGEAUX
L’Harmattan
Classiques pour demain dirigée par Daniel-Henri Pageaux Cette collection rassemble des études sur des écrivains de notre temps, consacrés par le succès dans leur pays (francophones ou de langues ibériques en particulier), pour lesquels il n'existe pas encore d'approches critiques en français. Elle vise donc à diffuser auprès du public étudiant et de lecteurs soucieux de s'ouvrir aux littératures étrangères des parcours et des propositions de lectures, voire une base de documentation bibliographique. Déjà parus Sara CALDERON,Jorge Volpi ou l’esthétique de l’ambiguïté, 2010. Silvia AMORIM,José Saramago. Art, théorie et éthique pour demain, 2010. Karin DAHL,La réception de l'œuvre de Stig Dagerman en France, 2010. Bertrand CARDIN,Lectures d’un texte étoilé.Corée de John McGahern, 2009. Juan Carlos BAEZA SOTO,Emilio Prados, L’absolu solitaire, 2008. Philippe GODOY, Le Guépard ou la fresque de la fin d’un monde, 2008. Jean-Igor GHIDINA,Carlo Sgorlon, romancier frioulan. Société, mythe, écriture, 2008. Lucia DA SILVA,David Mourão-Ferreira, 2005. Marcelo MARINHO,João Guimarães Rosa, 2003. François PIERRE,Francisco Umbral ou l'esthétique de la provocation, 2003. Françoise MORCILLO,Jaime Siles : un poète espagnol "classique contemporain",2002. Dorita NOUHAUD,Isaac Goldemberg ou l'homme du Livre, 2002. Anouck LINCK,Andrés Caicedo, un météore des lettres colombiennes, 2001.
PRÉFACE Sans tomber dans l’anecdote ou la confidence personnelle, je me dois de donner quelques informations sur la préhistoire de la présente étude, sur son trajet depuis Trieste jusqu’à Paris. Un trajet qui m’apparaît exemplaire.Àl’issue d’un de ces séminaires que j’ai eu l’honneur et la joie de donner à l’Università degli Studi de Trieste, j’ai vu venir à moi une des étudiantes les plus motivées et qui se signalait par sa belle maîtrise de la langue française. Alors que je m’attendais à quelques questions qui permettent de préciser ou de prolonger le cours,j’eus la surprise d’entendre Katia Bottos me faire part d’un projet de recherches sur Antonine Maillet. J’ai toujours tenu, dans mes séminaires de francophonie où la Suisse, l’Afrique et les Antilles étaient largement représentées, à ce que la petite Acadie ne fût pas oubliée. Oserais-je dire que l’initiative de Katia Bottos pour laquelle elle me demandait conseil m’est allée droit au cœur? Ma francophonie a toujours suivi les chemins d’une géographie sentimentale dans laquelle l’importance accordée aux espaces littéraires ne se mesure pas à leur simple superficie. Les années, la distance n’ont pas altéré la détermination de Katia Bottos. Si j’ai suivi et orienté, comme l’on dit, sa thèse, ce fut par échange épistolaire, puisque mes passages à Trieste se sont espacés et que des obligations professionnelles éloignaient de cette ville « ma» doctorante. Aussitôt après sa brillante soutenance, j’ai souhaité que « son » Antonine Maillet aille rejoindre ma collection « Classiques pour demain » où elle avait toute sa place, et pas seulement parce qu’elle avait été justement distinguée avec le prix Goncourt en 1979 pour son romanPélagie-la-Charrette.
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En la présentant comme « aède», participant ainsi d’une tradition épique qui a chanté les exploits des héros guerriers, Katia Bottos a conféré d’emblée à Antonine Maillet une dignité poétique
à laquelle elle a pleinement droit. Sans doute, il n’y a plus, en Acadie comme ailleurs, de demi-dieux combattants: c’est un petit peuple qui est honoré, haut en couleurs, aux noms sonores et pittoresques. On s’agite, on vocifère, on s’apostrophe, on s’invective, entre mer et terre, là haut, tout là haut sur la carte du monde, sur des terres récupérées par la volonté, l’amour et la fidélité. Car pour les Acadiens, rien n’a jamais été acquis. Avec une ténacité et une détermination inébranlables, ces descendants de paysans des provinces de l’Ouest de la France se sont engagés, après ce qu’on a appelé le «» qui les avaitgrand Dérangement expédiés jusqu’en Louisiane, sur le chemin inverse, le chemin du retour, pour reprendre possession du pays qui était le leur et à nouveau l’habiter, au nez et à la barbe de leurs nouveaux maîtres britanniques. Si Antonine Maillet s’est faite le chantre inspiré (un féminin, de grâce, à trouver vite…) de ce retour à la mère patrie, elle a voulu aussi sonner, après un siècle d’endormissement, le réveil de celle qu’elle appelle la «». UnBelle au bois dormant réveil qui a fait se lever des cohortes de mots d’autrefois, qui a mêlé, dans un discours aux robustes saveurs, les contes, les légendes, les mythes, les fables, les historiettes, tout ce qui compose les coutumes et traditions d’un pays. Tout ce qu’a retenu, de bouche à oreille, une prodigieuse « raconteuse » qui va défendre et illustrer la « parlure» acadienne, la matière d’Acadie, comme les médiévistes de l’hexagone ont pu parler, pour les premiers romans « français », de matière de Bretagne. Antonine Maillet n’a jamais eu l’idée d’employer le néologisme d’« oraliture», ce mélange d’oralité, de français, de créole, de réécritures diverses, forgé par les écrivains des Antilles. Il s’agit, pour elle, de retrouver les mots d’antan, de les passer par le « gorgoton», de s’enivrer de leurs sonorités retrouvées et parfois de pouvoir, avec eux et par eux, «vider son cœur». Point n’est besoin d’avancer un quelconque devoir de mémoire. Le devoir ici, icittecomme l’on dit, est un bien grand mot, ou un mot de passe commode qu’on lance quand on ne sait plus quoi dire ou penser. Antonine Maillet a mené un dur et joyeux travail de mémoire. Elle a reconnu les bois, les côtes et les dunes, parcouru les champs,
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entendu le chant des outardes et des goélands et, pour le plaisir, elle a humé l’air salin, comme pour y chercher les souffles de l’inspiration. Elle a été la première « défricheteuse » des familles, parentèles et généalogies. Ce faisant, elle a, à coups d’images, d’adjectifs, d’exclamations, à coups de gueule, construit et recréé, pour son peuple, un nouvel espace de vie. Elle a donné la parole à despetites gens dans une longue série d’émissions radio, de 1969 à 1971, sous le titre « Par derrière chez mon père» d’où est sortie la Sagouine, laveuse de planchers, pour qui elle fait une « pièce pour femme seule » (1971). Cette polyphonie des voix qui se retrouve dans ses romans, Katia Bottos a su admirablement la capter et la faire entendre. Dans le même temps, Antonine Maillet approfondissait son étude sur la langue acadienne en terminant une thèse consacrée à « Rabelais et les traditions populaires en Acadie » (rééditée aux Presses de l’Université Laval, en 1980, après sa consécration du Goncourt). Ces enquêtes, à la fois livresques et menées sur le terrain, lui ont permis de jeter des ponts multiples entre la culture de la Renaissance et son Acadie. Bien avant que Bakhtine ne soit à la mode, elle avait redécouvert la verve rabelaisienne et en avait fait l’une des sources du parler acadien.Et puisque le nom du théoricien du dialogisme vient d’être prononcé, on peut songer à utiliser l’une de ses intuitions exposées dansEsthétique et théorie du roman(Gallimard, 1978) et faire du « roman-idylle» un modèle pour le monde romanesque d’Antonine Maillet, du moins à ses débuts. L’idylle est entendue de la manière suivante (1978 : 367-368) :
«l’adhésion organique, l’attachement d’une existence et de ses événements à un lieule pays d’origine – avec tous ses recoins, ses montagnes, vallées, prairies, rivières et forêts natales, la maison natale. La vie idyllique et ses péripéties sont indétachables de ce « coin » concrètement situé dans l’espace, où vécurent pères et ancêtres, où vivront enfants et petits-enfants. Ce micromonde limité dans l’espace se suffit à lui-même; il n’est pas lié à d’autres lieux, au reste de l’univers.»
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N’est-ce pas l’espace dans lequel un double d’Antonine Maillet, Mademoiselle Cordier, institutrice, fait aussi son apprentissage romanesque dans un premier roman,Pointe-aux-coques(1958)? L’Acadie comme espace idyllique est bien une tentation qui a traversé l’esprit de la romancièrelorsqu’elle fait remarquer, dans un conte repris dansPar derrière chez mon père(1972), que son Acadie a perdu un « r » : «J’ons lâché le «r » en cours de voyage…» Peut-être l’Acadie a-t-elle été cette Arcadie de la fable antique. Mais l’histoire et les épreuves ont passé, laissant leur marque sur le sol et dans les âmes. En perdant une lettre, au moment même où elle entrait dans les turbulences de l’Histoire, l’Acadie est devenue un «». Elle demeureparadis ébréché cependant, pour la romancière, la terre de l’enfance et, à ce titre, elle a gardé beaucoup de la fraîcheur et de la pureté dans l’ancienne Arcadie.Mieux vaut ne pas parler, à propos d’Antonine Maillet, de roman de la terre. Laissons cela aux grands voisins du Québec qui ont fait du « roman du terroir » le genre romanesque par excellence pendant plus d’un siècle. Le roman de l’Acadie, avant d’être la geste que Katia Bottos va détailler, est le roman du dialogue de l’homme avec un espace;et d’abord de l’enfant avec un lieu privilégié qui fait passer de la naissance à la formation.
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Qu’on nous permette un long détour pour faire entendre l’un des plus beaux hymnes que je connaisse adressé non pas à la « province », mais au « pays », un certain Sud-Ouest vu et vécu par Roland Barthes, dans un article donné en 1977 au journal l’Humanitéet repris dans le recueilIncidents(éd. Seuil). L’homme qui a distingué trois Méditerranées dans son célèbreSur Racine, distingue trois Sud-Ouest. Le premier est « un sentiment tenace de solidarité » : « toute nouvelle qui vient de cet espace me touche de façon personnelle » écrit-il. Le deuxième Sud, et la précision est précieuse, n’est pas «une région »: c’est seulement «une ligne, un trajet vécu ». Passé Angoulême, «un signal m’avertit que j’ai franchile seuil de ma maison et que j’entre dans le pays de mon 8
enfance. » Le troisième est « encore plus réduit » : «la ville où j’ai passé mon enfance ». Le mot est répété et sera le mot de la fin : «Au fond il n’est de pays que de l’enfance.» On laissera donc la « terre » et ses racines, le mirage des originesà l’idéologie et à la politique pour ne garder de certains lieux que leur dimension tout à la fois vécue et poétique. L’Acadie, c’est d’abord un petit monde vu et découvert par les yeux d’une enfant, Radi, qui apparaît pour la première fois dansOn a volé la dune(1962) et qui réapparaît encore dansLe temps me dure(Actes sud, 2003). Je n’hésiterais pas, pour ma part, à parler, pour Antonine Maillet, d’une «», en dépit desprovince intérieure multiples agitations qui saisissent le petit peuple qu’elle met en scène, des bagarres picrocholines lues dans Rabelais et transposées outre-Atlantique, par exemple dans saGribouille (1982), descendante de Pélagie-la-Charrette, maîtresse femme du Fond-de-la-Baie. Ou dans cetteIle-aux-Puces, (1996) au sous-titre savoureux : « Commérages ». La « petite île appelée à un grand destin » avait fait son apparition dansDon l’Orignal(1977), espace de guerres et d’amours oùmêlent le conteur de Chinon, se l’inventeur de Lilliput et l’auteur d’une Iliade locale, maître Pamphile. Ou encore dans cesCordes-de-Bois, (1977), infimes buttes où campent les Mercenaire, famille de femmes libres emmenées par la Bessoune dans d’infinies escarmouches avec le Mac Farlane, marchand de bois écossais et les saintes-nitouches de la côte. Et puisqu’on est revenu au bord de l’océan, ajoutons encoreCrache à Pic(1984), l’aventurière contrebandière embarquée à bord de sa goélette « La vache marine ». La « province intérieure » : la formule permet de comprendre comment l’évocation souvent stylisée de l’espace peut coexister avec d’autres formes littéraires, romanesques, comme le roman familial, les mémoires, la littérature de confession, avecLes confessions de Jeanne de Valois(1992) qui s’achemine gaillardement vers sa centième année. L’espace est moins décrit que transcrit, traduit : il a été vécu et revécu, récrit, questionné par l’écrivain. La «» ne peut faire oublierprovince intérieure complètement les éléments du réel, les données physiques, géographiques, mais celles-ci sont associées à d’autres, plus
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intimes, fondues dans le temps de vie du narrateur ou des personnages. C’est une autre façon d’appeler le «pays des chimères », expression empruntée à laNouvelle Héloïse de Rousseau (VI,8) et qu’emploie Guy de Pourtalès dans ce grand roman tout à la fois familial et d’apprentissage,La pêche miraculeuse(1934) qui fait passer des rives du lac de Genève au Jura, de la Suisse paisible à l’Europe embrasée par la Première Guerre mondiale. La « province intérieure » renvoie à un périmètre magique, à la fois dans le temps, à commencer par le temps biographique, et hors du temps, dans une durée qui n’a de compte à rendre qu’à la poésie du souvenir. Elle est le lieu qui permet aux expériences personnelles, émotionnelles de se changer, avec l’écriture, en une expérience poétique originale, authentique.DansPointe-aux-coques, le lieu de l’enfance se confond avec celui de l’école et des premières aventures, avec le lieu où s’affirme une vocation d’écrivain. Après une année d’enseignement, Mlle Cordier a renoué non seulement avec son pays, mais avec son père. Les paroles qu’il lui adresse et que ne manque pas de rappeler dès le début de son travail Katia Bottos, tracent aussi ce que sera la mission d’une certaine Antonine Maillet : «Tu es fille d’Acadie, ton âme est faite de ses fleurs et de ses vents; partout où tu iras, l’odeur de la mer et la musique des champs de trèfle te hanteront. »
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En 1978 Antonine Maillet invente une Acadie nouvelle avecPélagie-la-CharretteGrand Dérangement »,. Elle conte le « le déplacement des Acadiens jusqu’en Louisiane, après la perte du Canada, puis leur remontée, sous la houlette de Pélagie-la-Charrette, une paysanne qui assume le rôle de guide, de chef de tout un peuple. Une fois les charrettes (« les charretons ») revenus en Acadie, Pélagie meurt : sa mission est accomplie. Les familles reprennent possession de l’espace et se mettent à l’exploiter: l’Acadie travaille, mais elle s’endort, en dehors del’Histoire. Un
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