Écritures de la survie en milieu carcéral
306 pages
Français

Écritures de la survie en milieu carcéral , livre ebook

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306 pages
Français

Description

Cet ouvrage traite d'écrits portant sur la remémoration d'une expérience de séquestration. Il questionne les limites de ce qu'un être humain peut supporter en termes d'atteinte à ses droits fondamentaux, et présente les ressources mobilisées par des prisonniers marocains durant « les années de plomb ». Les techniques salvatrices élaborées par ces témoins donnent beaucoup à penser sur ce qui constitue le propre de l'homme : langage, sociabilité, recours au surnaturel, bricolage, création de fictions, imagination au travail. Quand il ne reste rien, demeurent le désir de préserver l'appartenance à l'humanité et l'aspiration à la dignité.

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Informations

Publié par
Date de parution 14 février 2019
Nombre de lectures 14
EAN13 9782140113888
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Études littéraires maghrébines
JeanneFouet-Fauvernier
Écritures de la survie en milieu carcéral Autobiographies de prisonniers marocains des « années de plomb »
Autobiographies de prisonniers marocains des « années de plomb »
Ecritures de la survie en milieu carcéral Autobiographies deprisonniers marocains des « années de plomb »
Etudes littéraires maghrébines N° 23 Jeanne FOUET-FAUVERNIERECRITURES DE LA SURVIEEN MILIEU CARCERALAutobiographies deprisonniers marocains des « années de plomb »
© L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-16219-5 EAN : 9782343162195
Remerciements
 Ce travail n’aurait pu aboutir sans l’aide de plusieurs personnes auxquelles je souhaite vivement exprimer ma reconnaissance.
 Marie Miguet-Ollagnier a mis sa rigueur au service de la clarté du texte, avec la disponibilité que je lui connais depuis bien des années.
 Touriya Fili-Tullon a systématiquement attiré mon attention sur les exi-gences méthodologiques de ce travail, et ses questionnements historiques m’ont poussée à approfondir ma réflexion à de multiples reprises.
 Abdellatif Chaouite et Charles Bonn ont été les lecteurs exigeants de la dernière version de ce texte.
 Joan Rundo m’a aidée à étoffer mon corpus par l’envoi d’ouvrages et de films publiés au Maroc et difficiles d’accès en France.
 Aurélien Fouet-Barak, angliciste, m’a apporté ses lumières pour analyser les nuances de traduction dans un des livres d’Ali Bourequat.
 À titre privé, je souhaite remercier chaleureusement mon époux Rémi Fau-vernier qui m’a encouragée à persévérer dans ce travail souvent aride, et ma-dame Christine Oulevey, qui a accompagné et soutenu mes efforts pour venir à bout de ce voyage dans les ténèbres.
Introduction
 Cet ouvrage porte sur certains textes de la littérature carcérale marocaine. Avant de présenter les paramètres qui nous ont permis de cerner notre corpus, nous souhaitons revenir sur la définition de cet ensemble, et guider ainsi le lecteur vers la compréhension de notre démarche.
 Par « littérature », nous entendons ici une production écrite, sans autre spé-cification. Tel est bien le sens premier de « littera » en latin : ce mot désigne d’abord le caractère utilisé par le scripteur, la lettre, puis trouve un élargisse-ment sémantique attesté vers 1120 pour signifier la constitution d’un stock de connaissances rédigées sur un sujet précis. Nous insistons sur cet aspect à des-sein : la littérature dont il va être question n’a pas d’ambition esthétique, et les auteurs dont nous allons traiter n’avaient aucune vocation d’écrivain au sens moderne du terme.
 Ces livres portent sur la remémoration d’une expérience de séquestration. Ils s’inscrivent ainsi dans une veine thématique dont un des plus célèbres exemples en français – avec usage de la fonction poétique du langage – est donné parLa Chartreuse de Parmede Stendhal, ouvrage publié en 1839 et en partie nourri des rencontres avec Silvio Pellico, incarcéré plusieurs années dans les geôles autrichiennes et qui rédigeaMes prisons en 1832. Stendhal connaissait personnellement Pellico, et a lu son autobiographie carcérale dont 1 « il s’est inspiré pour décrire la tour Farnèse à Parme » . Italianisant, Stendhal n’a pas attendu la première traduction en français de Pellico donnée en 1840 pour les éditions Charpentier. La construction du roman de Stendhal est celle que nous retrouverons souvent dans les œuvres qui nous occupent : avant, pen-dant et après la prison. Les écarts à ce plan type feront l’objet d’interrogations et de tentatives de réponses dans le cours de ce travail.
e  Dans la seconde moitié du XX siècle, les récits de séquestration portés par les survivants des camps de concentration et d’extermination nazis, ainsi que ceux des victimes du Goulag stalinien – très éloignés de la ferveur amoureuse du prisonnier Fabrice Del Dongo – ont constitué un très abondant corpus de littérature dite carcérale. Ils ont exprimé ce qui ressortissait à l’indicible : l’épreuve des corps et des esprits confrontés à des mauvais traitements d’une 1 Jean-Louis TRITTER :Stendhal. La Chartreuse de Parme, Paris : Ellipses 2000.
ampleur telle qu’elle semblait excéder les possibilités de représentation par l’écrit, fut-il dépourvu de tout désir de sublimation artistique. Ces textes sou-cieux de restituer une vérité parfois considérée comme insupportable, ont peiné à rencontrer leur public : les partisans de l’idéologie communiste refu-2 saient à Chalamov toute crédibilité, dans une approche négationniste du même type que celle d’un Darquier de Pellepoix ou d’un Faurisson, même si elle s’accompagnait de l’admiration légitime pour le sacrifice des millions de citoyens de l’Union soviétique. Plus tôt, en 1950, l’affaire du procès opposant David Rousset à l’hebdomadaire communisteLes Lettres françaises montre la force, en pleine guerre froide, du désir de ne surtout pas savoir.
 Pour des raisons différentes, dans le contexte italien d’après-guerre, Primo Lévi dut attendre 1958 pour pouvoir publierSi c’est un homme, et en France Anne-Lise Stern, rescapée d’Auschwitz devenue psychanalyste à Paris, se heurte à l’incompréhension de ses collègues lorsqu’elle veut évoquer son par-cours et interroger la place de l’Histoire dans la théorie et la pratique théra-peutique lacanienne : « Il y eut un interdit, radical, d’un qui redoutait l’“obs-3 cénité” d’une telle entreprise,mon obscénité. » C’est que ces témoignages gênent : l’Europe qui se relève d’un conflit destructeur veut juger les cou-pables désignés, et se concentrer sur la réconciliation générale des popula-tions. Les souvenirs traumatisants des déportés paraissent superflus, incon-grus, ils remettent en cause l’union nationale nécessaire à la reconstruction, 4 nul ne veut entendre parler des horreurs, et surtout des délateurs et des colla-borateurs des bourreaux. La mémoire des rescapés se heurte au désir d’apai-sement général. On veut bien voirNuit et brouillardd’Alain Resnais en 1955, qui correspond aux attentes du public en ce qu’il montre les ravages des camps nazis et ne dit rien des complicités pétainistes qui ont aussi conduit les dépor-tés à la mort.Le Chagrin et la pitiéde Marcel Ophüls, dont le tournage est bouclé en 1969, n’est programmé qu’en 1971 dans une petite salle parisienne, et est diffusé… dix ans plus tard à la télévision française. Une censure efficace a joué. Il faut préserver la paix sociale et l’esprit de réconciliation. On note en outre que les programmes scolaires du secondaire des années 1950 et 1960 en France ne font à peu près aucune place à l’enseignement du monde concentra-tionnaire, et encore moins à la collaboration.
 L’expérience de séquestration dont il va être question ici est plus récente, et très circonscrite dans l’espace. Elle concerne un pays, le Maroc, et la pé-riode de son Histoire qu’il est devenu courant de nommer les « années de plomb ». Les récits dont nous allons traiter ont tous été rédigés en français 2 re Varlam CHALAMOV :Récits de la Kolyma, 1 traduction française en 1980 pour les éditions Maspéro. 3 Anne-Lise STERN :Le Savoir-déporté. Camps. Histoire Psychanalyse, Paris : Seuil, 2004, page 269. Les italiques sont de l’auteure. 4 Le Musée de la Citadelle de Besançon permet de lire toute une collection de lettres de délation.
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sauf un, l’ouvrage de Mohamed Raïss qui a été traduit depuis l’arabe, et qui parut d’abord sous forme de feuilleton dans un journal arabophone d’opposi-tion au régime marocain. La publication de ces témoignages, quand leur auteur est un Marocain résidant au Maroc, n’est possible qu’après la mort du roi Has-san II intervenue en juillet 1999. Le premier de ces textes, celui d’Ahmed Marzouki, paraît presque dix ans après sa libération en 1991. Auparavant, une censure efficace s’exerce, mais ses motifs sont bien différents de celle à la-quelle nous venons de faire allusion. Elle s’appuie sur la diffusion d’un senti-ment de terreur généralisé à l’ensemble des couches sociales du pays. Il nous paraît donc indispensable de fournir en premier lieu une rapide chronologie des principaux événements politiques et sociaux qui ont scandé la vie du Ma-e roc et des Marocains au XX siècle. La brièveté de cette chronologie est justi-fiée par l’étude des textes qui nous occupent : les événements dont nous dres-sons la liste y sont tous longuement évoqués et commentés.
Chronologie des principaux évènements du e5 XX siècle au Maroc
1912 : Traité de protectorat de la France sur le Maroc. 1953-1955 : le sultan Mohamed Ben Youssef est déporté en Corse puis à Madagascar avec sa fa-mille, et remplacé par Ben Arafa sur ordre de la Résidence française.
1956 : Indépendance du Maroc après le retour triomphal du sultan qui devient roi du Maroc sous le nom de Mohamed V. Création des Forces Armées Royales intégrant les combattants nationalistes et confiées au prince héritier
5 Pour le détail de l’ensemble de ces événements que nous résumons, consulter les ouvrages de Zakya DAOUD :Maroc, les années de plomb; Didier LE SAOULT et Marguerite ROL-LINDE :Émeutes et mouvements sociaux au Maghreb; les trois livres d’Ignace DALLE :Les Trois rois,Le règne de Hassan II une espérance brisée,Hassan II entre tradition et absolu-tisme; Mehdi BENNOUNA :Héros sans gloire:; Bernard CUBERTAFOND Pour com-prendre la vie politique au Maroc; Stephen SMITH :Oufkir, un destin marocain. On peut y ajouter l’ouvrage polémique de Moumen DIOURI :Réquisitoire contre un despote et celui d’Abraham SERFATY :Dans les prisons du roi. Toutes ces références sont utilisées dans ce travail et présentées en bibliographie. Hassan II est l’objet de deux livres d’entretien accordés à des journalistes :Sous les cèdresd’Ifraneoù il répond à Georges VAUCHER en 1962, alors qu’il vient très récemment d’accéder au trône, etLa Mémoire d’un roien 1993 où il est questionné par Éric Laurent. Il est en outre l’auteur deLe Défipublié en 1976, véritable tour de force où il réussit à éviter totalement le sujet de la terreur d’État. Ce livre présente un contentement de soi sans faille.
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