La blessure du réel
242 pages
Français

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La blessure du réel , livre ebook

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Description

Ce livre cherche à penser les conditions modernes de la création poétique et artistique, en dehors des facilités actuelles liées à un discours passe-partout qui autorise toutes sortes de dérives, en reprenant un fil conducteur pas tout à fait perdu mais de moins en moins visible, une généalogie (certes non exhaustive) : celle qui part de la pensée de Vico (XVIIIe siècle) et de son anthropologie philosophique anti-cartésienne, et qui se propose de réhabiliter l'imagination pensante des poètes, mais aussi celle de certains philosophes qui ont osé penser contre la philosophie, ou sur ses marges.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2011
Nombre de lectures 28
EAN13 9782296471269
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA BLESSURE DU REEL
la poésie et l’art à l’épreuve du monde
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-56484-8
EAN : 9782296564848

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
P ASCAL G ABELLONE


LA BLESSURE DU RÉEL
la poésie et l’art à l’épreuve du monde


L’H ARMATTAN
Introduction Œuvre, monde, présence : la parole exposée
Le poème est solitaire. Solitaire et en chemin.
(Paul Celan, Le Méridien )


Le monde de notre aujourd’hui désenchanté, déchiré par des contradictions peut-être irrémédiables, semble avoir renoncé jusqu’à la notion même d’œuvre, faisant de son absence ou de sa dispersion fragmentaire le leitmotiv fondateur de toute « production artistique ». Cela nous impose de repenser la question de son mode d’être, délimité par l’horizon du faire humain, qui est en premier lieu une tension originaire vers la réalisation, rencontre entre soi et le monde, mise à l’épreuve mais aussi inscription de cette tension dans une communauté (fût-elle « inavouable ») et dans une histoire. Les œuvres répondent à un mouvement d’incarnation à chaque fois singulier et non répétable, à un essor, à la recherche d’un accomplissement et d’une plénitude qui toutefois paraissent désormais hors d’atteinte, objets d’un deuil. Et pourtant, elles ne peuvent être reconduites à un simple « faire » artistique s’auto-légitimant à partir de son propre discours, comme le prétendent certaines esthétiques sur la scène de l’actualité. Ce qui compte, c’est le rapport agonistique (on serait tenté de dire « tragique ») à la temporalité, en même temps finitude et passion de l’infini ; concentration dans son être propre – l’ici et maintenant de sa réalité mondaine – et rayonnement qui porte au-delà de son « corps » sensible. Cela demande que l’on interroge à nouveau la tradition – nom essentiellement pluriel – en tant qu’elle est d’abord le lieu d’une tout autre légitimation, qui ne va pas de soi, problématique dans son devenir et dans l’enchaînement du continu et du discontinu, du permanent et du mouvant, irrévocable et pourtant en danger d’oubli. Comme le rappelle profondément Hans-Georg Gadamer {1} , tout adieu, toute prise de congé est d’abord une reconnaissance, et il appartient à l’essence de la tradition de sauvegarder ce qui, du passé, « se conserve comme non passé ». L’œuvre artistique est alors, indépendamment des genres et des territoires où elle s’inscrit, la réalisation d’un sens « inouï » du monde, du monde comme sens « inouï », ce qui ne se réduit pas au « sensé » et au « raisonnable » mais ouvre sur le danger de sa disparition ou de son impossibilité.
Certes les œuvres sont toujours des « interprétations », et en tant que telles, elles sont pensantes, mais en même temps, si elles sont vivantes, dit Merleau-Ponty, « le sens qu’on leur donne après coup est issu d’un autre jour, c’est elle [l’œuvre] qui se métamorphose et devient la suite, les réinterprétations interminables dont elle est légitimement susceptible ne la changent qu’en elle-même… {2} ». Interprétant et interprété trouvent dans la parole et dans l’œuvre leur lieu commun d’échange, qui est aussi une épreuve du temps et du monde, l’expérience décisive de leur historicité et de leur finitude. Comme l’affirme Benjamin, l’interprète doit « donner à voir dans le temps où elles sont nées [les œuvres] le temps qui les connaît – c’est-à-dire le nôtre {3} . »
La modernité a remis en question, parfois profondément, le sentiment même de cette appartenance de l’œuvre d’art au sol d’une tradition, mais le saut dans une liberté sans origine, au cœur du projet moderne, ouvre au danger de la futilité et du désespoir. Corrélativement, tout attachement à une tradition comme système de valeurs, simple perpétuation d’un habitus académique, s’avère dérisoire sans l’ouverture préalable à l’épreuve du présent. En cela, le passé n’est pas seulement ce qui a été, mais, indissociablement, ce que nous sommes , et toute l’entreprise herméneutique ne cesse de redéfinir la situation de passé-présent-futur qui, à chaque envoi, de nouveau se donne. Le dire de la poésie, comme les pratiques de l’art, dans la perspective d’une pensée qui ne légifère pas sur elles mais s’y ouvre et s’en laisse transformer ou in-former, sont comme les nœuds d’une expérience cruciale où se joue le sens du monde, et où celui-ci trouve le lieu d’une compréhension et d’un dévoilement. Le dire de la poésie, le faire de l’art s’offrent à une interrogation qui est d’abord écoute, dialogue. Par là, leur « œuvrer » constitue un autre mode de la connaissance, qui ne prétend à aucune saisie appropriante de la réalité. Le champ de l’élaboration et de l’apparition des formes, de l’expérience sensible et de son expression par la parole, la couleur, les sons, permet l’émergence d’un autre visage de la vérité, appel et floraison de l’inattendu, indissociable de l’aventure et du risque de la liberté, dans l’horizon moderne défini par l’expansion quasi illimitée des savoirs sectoriels et spécialisés. Cette vérité, c’est la puissance de commencement, la puissance d’origine propre à toute grande œuvre d’art. Entrer en rapport avec cela signifie alors ne pas faire des œuvres autant de prétextes à discours, mais tenter de trouver la distance juste, la bonne oreille ; chercher à entendre en quoi l’art, comme le dit fortement Jan Patočka, demeure « intégralement […] une preuve de la liberté spirituelle de l’homme {4} ».


* * *


Quelle généalogie de la modernité se dégage-t-il de ces quelques essais, qui ne prétendent nullement rendre compte d’une totalité exhaustive de faits artistiques ou poétiques, mais tentent, bien plutôt, de parcourir le chemin d’une question ?
Cette question est celle de l’art, de la poésie, non plus comme production, fût-elle « libre », de formes ou de sens, mais comme appel à un réel, cheminement vers lui, tentative pour accéder à ce qui, étant sans accès, se présente pourtant, déchire, ouvre, donne.
La poésie et l’art ne sont pas sans dehors , enfermés dans les règles auto référentielles d’un jeu. Ils sont, tout au contraire, exposés au dehors, lieu chiasmatique de commencement et fin, qui met l’œuvre à l’épreuve du monde. Mimesis, adaequatio , convenientia , ressemblance sont autant de termes qui permettaient qu’une médiation active, créatrice d’espaces de traduisi-bilité réciproque, opère entre les mots, les formes et le monde. Ces médiations, qui constituaient en somme l’espace de la « représentation », déclinent en même temps que s’estompe le système représentatif comme exigence majeure et structure fondamentale du rapport de l’art au monde, ce qui ne signifie nullement que toute représentation disparaît, mais plutôt qu’elle se maintient comme exposée en permanence à sa propre « crise ».
Il est nécessaire d’explorer, à partir de là, la problématique de la « présentation » en tant qu’elle réfère, non pas à une spatialité abstraite, homogène, mais à un site, à un « avoir lieu » de l’événement de l’œuvre, ou de l’événement traversant l’œuvre : « éclair de l’être » (Maldiney). Cette pensée de la présentation, à son tour, ne jouit pas d’une sereine possession de la présence comme si celle-ci séjournait dans le lieu ouvert du poème, du tableau, de la forme, ou, mieux, dans le lieu qui par eux a été entrouvert. Elle est inquiétée par ce qui ne se laisse en aucun cas présenter comme tel, l’imprésentable, l’infigurable (mais sans doute faudrait-il distinguer ces deux termes, l’infigurable pouvant être ce qui ne se laisse présenter que sans figure).
Les formes, dit Merleau-P

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