Les géo-graphismes de Peter Sís
314 pages
Français

Les géo-graphismes de Peter Sís , livre ebook

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314 pages
Français

Description

Cet ouvrage se propose de visiter l'œuvre de Peter Sís, auteur/illustrateur de livres pour enfant dont le travail reflète une passion pour les cartes et les voyages. Depuis plus de trente ans, l'auteur-illustrateur représente différents espaces du monde de manière figurative et symbolique. S'il n'est pas géographe, Peter Sís est un formidable « géographiste », utilisant différentes formes d'expression graphique à travers lesquelles cet habitant de la terre s'objective.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2015
Nombre de lectures 29
EAN13 9782336392431
Langue Français
Poids de l'ouvrage 11 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

de
Christophe Meunier
Les géographismes de Peter Sìs
Découvrir, explorer, rêver des espaces
Préface de François Place
Les géo-graphismes de Peter Sìs Découvrir, explorer, rêver des espaces
Christophe Meunier
Les géo-graphismes de Peter Sìs Découvrir, explorer, rêver des espaces
Préface de François Place
L'HARMATTAN
© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-07292-0 EAN : 9782343072920
Préface La quatrième porte Dans une maison de Prague, un garçon dessine à la plume, penché sur un petit bureau. Il s’applique, il tire légèrement la langue et parfois, il lève la tête pour contempler la danse paresseuse des flocons derrière la fenêtre. La neige étouffe les bruits de la ville, elle assourdit même la ferraille et la cloche du tramway qui passe au loin, à l’autre bout de la rue.Ce garçon-là, ce garçon des années 1950, est un drôle de garçon. Il vit derrièreun mur si haut et si noir qu’on l’appelle le rideau de fer. C’est un mur qui tranche l’espace, un mur capable d’arrêter le temps. Le garçon, dans sa vie, dessinera beaucoup de pierres, beaucoup de briques, beaucoup de murs et de murailles. Et il ne le sait pas encore, mais il s’envolera un jour au-dessus des toits blottis sous la neige, il franchira les frontières en dépliant ses bras comme dans un tableau de Chagall. Je m’avance en évitant de faire craquer le parquet. Je regarde par-dessus son épaule et je retiens mon souffle. Il ne m’a pas entendu. Pourtant, il devrait. C’est un garçon qui sait écouter les fantômes. Pour leur donner la parole, il fait naître des formes au creux du silence qu’ils habitent. Je crois que c’est la buée de sa respiration dont il suit les contours, cela donne des petits nuages griffés à l’encre blanche qui prennent vie en se déposant sur le papier.Il faut que je m’assoie. Que je prenne le temps, maintenant, de regarder. La plume gratte patiemment le papier, le dessin avance à petits pas serrés en poussant devant lui des licornes et des hippogriffes, des ours et des moines tibétains, des étoiles, des îles, des châteaux hérissés de tourelles, et puis un homme en pâte à pain ou en argile blanche qui traverse une place de marché en se dandinant. Drôle de bonhomme, avec une pierre sertie au beau milieu du front. C’est peut-être le Golem, il ne faut pas oublier que nous sommes à Prague, la ville des mystères et des sortilèges.
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En tout cas, cette créature, ce Golem, a senti ma présence et me jette un regard courroucé. Je pousse un cri. De surprise, le garçon lâche son porte-plume. Sous mes yeux, il se met à grandir à toute vitesse. L’homme mûr qu’il est devenu grimpe sur la table, bouscule une rangée de flacons d’encre et de peinture etcontourne au pas de course un pot hérissé de crayons, de pinceaux et de plumes. Je me lance à sa poursuite en l’appelant: Peter ! Peter! J’entends ses pas sonner sur le pavé, un pavé qu’il a dessiné pierre à pierre, tout comme les maisons, les rues, lesarches, les ponts de cette ville où j’ai tant de peine à le suivre. Je débouche brusquement sur une place, et, tandis que, plié en deux, je m’efforce de reprendre mon souffle, je l’aperçois qui saute à pieds joints et disparaît dans la chaussée, sans un bruit. Cela fait comme une pierre dans l’eau, les ondes se propagent jusqu’au bord de la feuille de papier en effaçant les merveilleuses figures dont elle était recouverte. Me voilà seul au milieu de cette étendue rendue à la blancheur du vide. -C’est la première porte, me dit une voix en tchèque (tiens, je comprends le tchèque, c’est à la fois très normal et très bizarre). Tu la vois ? Je regarde à gauche, rien ; je regarde à droite: rien. D’où vient cette voix? De l’autre côté de la feuille? Allez, je t’aide un peu. Prends un crayon, et dessine-la. Dessine une porte. Quelle porte ? N’importe laquelle.J’attrape un crayon et je trace un grand rectangle: -Voilà, c’est fait! - Ah non, tu as oublié la poignée, dit la voix. Quoi ? La poignée. Tu as déjà vu une porte sans poignée ? Je dessine la poignée, et la porte s’ouvre aussitôt. J’ai le temps d’apercevoir, en la franchissant, cette inscription incisée au revers de la porte : « Le dessin ». Cette pièce est bien sombre et bien étroite, il suffit de tendre le bras pour atteindre le mur du fond. Je veux faire demi-tour, mais la porte s’est refermée. Soudain, le sol tremble et je suis tiré vers le haut. Je monte, je monte, j’ai sans doute dessiné sans le vouloir une porte d’ascenseur. Quand la cabine se stabilise enfin, dans un chuintement
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pneumatique, je m’aperçois que je suis arrivé au sommet d’un gratte-ème ciel ! De là-haut, je vois distinctement la 5 avenue, Madison avenue, l’East River, l’océan Atlantique, et là-bas, toute petite, l’Europe. Il vaut mieuxne pas trop se pencher. En bas, un camion de pompiers passe, sirène hurlante. Le son qui s’en échappe émet des couleurs et forme des angles aigus. Il y a aussi de drôles de personnages, des cow-boys baroques en carton ondulé, des taxis jaunes, des chiens touffus tenus en laisse par des dames à perruque perchées sur des talons de trois étages. Cela ne fait aucun doute, je suis arrivé à New-York, un New-York de papier, le New-York de Saul Steinberg.  À la nuit tombée, des centaines de milliers de petits carrés s’allument aux façades. L’un de ces carrés, qui brille davantage que les autres, encadre une silhouette penchée sur une table à dessin. Je connais cette silhouette. C’est lui, c’est Peter Sis. Je crois bien qu’il a une petite fille et un petit garçon, maintenant. Peter les prend sur ses genoux et tend la main vers une minuscule boîte rouge. J’aimerais bien entendre l’histoire qu’il va leur raconter, mais je suis beaucoup trop loin et d’ailleurs, entre sa fenêtre et la terrasse où je me tiens, la rumeur de la circulation fait un vacarme infernal. Les lumières de la ville s’évanouissent les unes après les autres dans l’ombre gigantesque des gratte-ciel. Il ne reste bientôt plus que sa fenêtre d’allumée. Il me semble que Peter me fait un signe, oui, je suissûr qu’il s’est tourné vers moi. Il a dessiné à l’encre blanche un poisson à tête d’homme qui nage dans ma direction, aussi vaste qu’un dirigeable et plus léger qu’un soupir. C’est beau. Son ventre laisse deviner le damier des rues qu’il survole. Je grimpe sur son dos. Sur mon poisson volant, je fonce vers l’océan, la mer et le ciel confondus dans un même bleu profond. Ah qu’il est bon de voler dans ces images! L’air est si pur que je peux tout voir, tout observer, même l’invisible, les monstres marins, les vagues et les lignes de la carte. J’aperçois trois caravelles qui font voile vers l’Amérique et plus loin, perdu dans la broderie des côtes italiennes, un savant rivé à son télescope qui s’efforce de percer le secret des étoiles. «C’est Galilée», me précise le poisson en tchèque, avant d’obliquer vers le nord-est. Ainsi, nous remontons le temps ! Peu après, nous franchissons le terrible mur de fer, survolant les villes froides, leur glacis de paroles interdites et de rêves engloutis. Au bout de l’horizon s’étend une longue ligne de crêtes blanches. Ce sont les montagnes du Tibet,
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