La mort à ma table
85 pages
Français

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La mort à ma table , livre ebook

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Description

Une passion amoureuse perdue puis retrouvée tisse la trame de fond du destin peu banal d’Aurélie et d’Antoine qui se retrouvent une dernière fois dans la transition du mitan de leur vie. Depuis leur rencontre à l’adolescence, où l’insouciance et le plaisir meublaient leur quotidien, les
années de séparation ont créé tristesse, malaise et désillusion pour Aurélie.
Épuisé par sa course folle, Antoine s’est, quant à lui, fragilisé. L’amour authentique entre ces âmes soeurs viendra à bout de tous les défis semés sur leur chemin.
Réunis avec des amis à l’occasion de l’anniversaire d’Aurélie, Antoine est appelé à quitter la fête subitement. Ce départ imposé fera basculer la vie de l’amoureuse abandonnée. Sa marche nébuleuse sur des pavés brûlants la guidera vers l’acceptation et la résilience. Personne ne peut se soustraire à son propre destin. Histoire troublante et fascinante…

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 mai 2018
Nombre de lectures 6
EAN13 9782897263409
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Je crois que, lorsqu’on est allé très loin
dans la douleur, on en ressort différent,
avec un sens des valeurs changé.
Aujourd’hui, je trouve presque tout dérisoire.
Sauf l’art, la musique et les rapports
avec certains êtres.
Jean-Louis Trintignant
Entrevue au journal Le Devoir
Septembre 2007


Chapitre un
La fin
S amedi, treize heures vingt, un homme meurt. Cet homme, c’est toi, mon mari, mon âme sœur. Tu as quarante ans. Tu es beau ! Je t’aime follement. Mercredi, je fête rai mes trente-sept ans et ma fille, son septième anniversaire. Ma vie s’arrête. Je meurs avec toi.
***
Je dois revenir ici, à l’auberge La rose bleue, pour comprendre et écrire notre histoire. Je m’installe dans la chambre 315, qui fut notre nid d’amour, et je pleure.
***
Nos regards ne se sont pas croisés depuis huit ans, lorsque nous nous retrouvons dans une foire culturelle. Nous nous sommes donné rendez-vous près de la scène publique. Comme à mon habitude, je préfère arriver à la dernière minute à mes rendez-vous. Paradoxal quand même de vouloir repousser ce moment intense, ce rendez-vous tant souhaité. Te faire patienter me procure un certain plaisir, car je sais ton désir semblable au mien et je te devine tout aussi bêtement anxieux, comme moi, de nous retrouver. Comme si nous avions peur de nous revoir. Comme si nous craignions que l’amour entre nous n’existe plus. Mes horaires surchargés et mon manque d’organisation caractérisent ma vie activement folle, et mon emploi du temps est constamment chamboulé. Tu me sais active, indépendante et continuellement débordée de projets, de rendez-vous. Légèrement en retard, je marche vers la scène. Inéluctablement, en t’apercevant au loin, mon cœur se met à battre la chamade et je flageole sur mes jambes, comme au premier jour. Je n’arrive pas à le croire, je te retrouve enfin, une énième fois. Nous nous sommes perdus et retrouvés si souvent.
Honnêtement, nous ne nous sommes jamais vraiment perdus. Nous vivions l’un dans l’autre. Tes sentiments pour moi ont toujours été partagés. C’est avec cet amour inexplicable et indéfectible, cette passion dont l’ardeur n’a cessé après toutes ces années, que nous venons à la rencontre l’un vers l’autre. Nos pas, d’abord modérés, s’accélèrent en nous rapprochant l’un de l’autre. Dans la foule, nous ne sommes que deux. Ma vue se brouille, devant mes yeux un voile, un écran de poussière m’empêche de voir clairement. Mes oreilles n’entendent que le silence, mon pas devient machinal. Subitement, une nette impression de me transformer en spectatrice d’un film m’envahit. Je ne fais plus partie de l’action, je perds le contrôle de ma volonté. Mon corps ne m’appartient plus, il réagit par automatisme. On me guide, mais je reste indifférente.
Bientôt, l’univers se referme sur nous deux. Ceux qui nous accompagnent disparaissent dans le flou de la foule curieuse qui se métamorphose en une masse sans grand intérêt. Enfin près l’un de l’autre, je respire ton parfum, le même qu’autrefois. Je sens ton corps comme si nous nous étions laissés hier. En te faisant la bise, je reconnais ton odeur, et mes lèvres, une fois de plus, sont égratignées par ta forte barbe de deux jours. Tout cela éveille de doux souvenirs. Précieux souvenirs. Je quitte mon rôle de spectatrice lorsque nous nous plions maladroitement, de manière protocolaire, au jeu des présentations des amis qui nous accompagnent.
Comme nous en avons l’habitude, une fois réunis et seuls, nous offrons un spectacle de gentillesse et de bienséance l’un pour l’autre, mais au fond, tous autour sentent cette passion et ce désir brûlants, presque dévorants. Chez certains, nous provoquons envie et jalousie, mais d’autres se sentent rassurés qu’un tel bonheur existe. Chose certaine, notre nervosité mutuelle révèle la difficulté d’être l’un près de l’autre sans pouvoir nous toucher. Cette retenue perceptible crée une situation ridicule à faire rire. La mise en scène des présentations achevée, le rideau se referme; nous sommes enfin seuls au monde. Nous nous réfugions dans un bar à l’étage, et comme rien d’autre n’a d’importance, enfin, nous commençons à boire et à bavarder… comme nous le faisons à chacune de nos rencontres. Pas une minute à perdre, les heures sont comptées. Nous ne gardons que le principal et négligeons les moments inintéressants des dernières années de nos vies. Les nouvelles en bref tissent les liens entre nous et amenuisent la distance et le temps écoulé depuis notre dernier rendez-vous.
Tu viens de mettre fin à une relation de dix ans dans un éclat d’infidélité, tout comme moi d’ailleurs, et tu es las de vivre. Je suis étonnée par la rapidité avec laquelle tu enfiles trois verres de bière. Je ressens ton malaise d’être assis près de moi après tant d’années. Je comprends et je partage ce sentiment d’inconfort mêlé au désir et à la timidité. Peut-être ce malaise naît-il de l’insistance de mon regard ? Je te bois, je remplis tout mon être de toi, tous mes sens s’en imbibent. Nous nous aimons depuis le premier jour; nous n’y pouvons rien. Nous n’avons rien demandé. C’est là, c’est tout.
Je me sens t’observer, te scruter et j’enregistre chacune de tes mimiques, chacun de tes gestes. Je rattrape le temps perdu, craignant de poser mes yeux sur toi pour la dernière fois. Absorbée par tes paroles, je suis éblouie par cette force terrestre humaine et anéantie par la rapidité du temps qui passe. Je voudrais arrêter ce moment, là, maintenant, l’immobiliser, le retenir. Me vient tout à coup une scène de Cris et chuchotements , du cinéaste Ingmar Bergman, que nous affectionnons tous les deux. Agnès, le personnage principal, à l’article de la mort, prononce ces paroles : « Je suis si heureuse, je voudrais arrêter le temps ! » Tout se confond, le temps, les mots, les corps, les sentiments. Plus rien n’existe sans l’effort de notre pensée. Vais-je mourir comme Agnès après cet instant de bonheur sublime et parfait? Apothéose!
Je ne vois pas tes cheveux gris, les cernes sous tes yeux, tes rides. Mes yeux te dévorent tout entier. Petit à petit, je ne t’écoute plus. Mon esprit divague vers notre passé. Mes lèvres brûlent de te dire combien j’ai besoin de ta présence. Que je ne compte plus les jours où je veux mourir parce que je suis loin de toi. Je t’aime encore davantage. Je regrette d’être partie au moment de mes dix-huit ans. J’étais jeune, j’étais sotte, je n’avais aucune idée de ma vie sans toi.
Je ne dis rien. J’étouffe. Les mots s’abîment les uns contre les autres au fond de ma gorge. Ils meurent comme aurait dû mourir cet amour après une vingtaine d’années. Pourtant, rien n’a changé. Ce sentiment amoureux m’habite toujours, avec une force et une ténacité plus vivantes que jamais. Comme si le temps, ce traître, n’avait fait qu’amplifier cet amour, cette passion qui me consume.
Tout à coup, je ressens un vertige. Je perds pied et je n’arrive plus à trouver appui. Je me sens basculer dans le vide. J’ai peur de cette rencontre, de nos propos. Je veux reculer, rebrousser chemin. Je refuse d’être assise là avec toi. L’idée me vient qu’après cette soirée, ma souffrance ne sera que plus profonde, plus lancinante. Ma plaie rouverte ne sera que plus vive, plus douloureuse. Je viens seulement de comprendre le prix exorbitant de nos retrouvailles, car la vie ne me laissera pas tranquille.
Ton insistance à me poser une question – je ne l’avais pas entendue la première fois – me ramène dans ce bar où tu fumes cigarette sur cigarette, tout en enfilant nerveusement les bières. Je t’écoute et cette sensation de bonheur réapparaît. L’alcool me fait tourner la tête, me berce, et cet état d’euphorie chasse les sentiments sombres et douloureux cherchant à prendre racine en moi.
***
Nous ne comptons plus les consommations. Seuls le plaisir toujours renouvelé d’être ensemble et le bien-être que l’alcool procure nous permettent cette aisance à s’ouvrir l’un à l’autre. Je dois avouer notre penchant naturel à nous livrer aux confidences. Notre intérêt indéfectible et mutuel nous plonge à coup sûr dans des nuits blanches passées à discuter. La connaissance de l’autre va dans les moindres détails. Ce que nous cherchons à taire, l’autre le devine. Dans ce même élan de confidences,

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