La Part des Oiseaux
77 pages
Français

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La Part des Oiseaux , livre ebook

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Description



Une lettre, un matin. Vos nom et prénom, votre adresse sur l’enveloppe ; écriture inconnue. Rien au verso. Le timbre est un peu de travers. Bizarre, dites-vous ? Restez-en là : ne l’ouvrez surtout pas !

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Informations

Publié par
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EAN13 9782374534749
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Présentation
Une lettre, un matin. Vos nom et prénom, votre adresse sur l’enveloppe ; écriture inconnue. Rien au verso. Le timbre est un peu de travers. Bizarre, dites-vous ? Restez-en là : ne l’ouvrez surtout pas !
Freddy Woets
La Part des Oiseaux
Suivi de Le Silence éternel des écluses Skolka Liet, Skolka Zim Alta Aqua Léviathan Polaroïd Brise de verre Issir... Tistre...
Les Éditions du 38
À David, mon fils.
LA PART DES OISEAUX
Je me sens irréel, comme fait avec du nuage, comme ces êtres qui se composent et se décomposent au soleil couchant . Jules Renard
Oh, you weak, beautifull people who give up with such grace. What you need is someone to take hold of you - gently, with love, and hand you life back you . Tennessee Williams
Le samedi matin, le courrier vient vers onze heures et demie. Il n’y a qu’une tournée.
Il n’y avait qu’une seule lettre.
Épaisse, un peu chiffonnée. Postée, dans le quinzième. Le vendredi, à 18 heures. Avec une vignette bleue et son vol de papiers pliés à 60 centimes. Rien au verso. Humide. Je remonte. Me sers un café. L’adresse est écrite en capitales légèrement maladroites. La maladresse de ceux qui n’aiment pas les capitales, mais ont peur d’être mal lus.
À l’intérieur, un bristol, des photos déchirées, du marc de café et quelques cheveux, une moiteur pâle de poubelle. Sur le bristol, au stylo-bille : « Je suis redescendue à trois heures du matin, j’ai fouillé dans les poubelles de l’immeuble, j’ai retrouvé le sac, j’ai ressorti ses photos. Je ne pouvais pas les laisser dans les ordures. Je ne peux pas les garder non plus. J’ai ouvert le Bottin au hasard, je suis tombée sur vous. Je vous les envoie, faites-en ce que vous voudrez. »
Sur certains morceaux de photo, on voit un homme. Quarante, cinquante ans. Je rassemble le puzzle « À la plage », le puzzle « En forêt », le puzzle « Costume trois-pièces, près d’une Bentley avec le sourire : Eh ! C’est une blague, hein ? », le puzzle « Au Trocadéro ».
Je reprends le bristol. Une écriture nerveuse. À la fois ronde et aiguë… Avec les « a » comme un oiseau qui va s’envoler et les « t », qui se protègent du vent… La carte sent le marc. Les quelques cheveux sont châtains. Une façon comme une autre de se débarrasser d’objets encombrants. Postés dans le quinzième. Elle y habite ? Elle y passait ?
C’est qui, cet homme ?
Je le fous à la poubelle ?
Pauvre homme.
Nothing lasts, not even the stones .
Je remets les morceaux de photo dans l’enveloppe, l’enveloppe dans un placard et le bristol sur la table.
 
« Je ne pouvais pas le laisser dans les ordures… Je ne pouvais par le garder… » Impossible avec toi, impossible sans toi ; même dans la poubelle.
Pas d’épitomé dans l’épandage.
Je vis seul. Elles se ressemblent toutes, quand elles sont nues. La première fois, c’est vide. 
Mais les inconnues habillées, celles à qui on ne parle pas, on ne parlera jamais, assises, debout, passant là à quelques mètres…
Le téléphone sonne.
— Allo ?
Silence, respiration :
— Vous avez reçu… reçu…
— Oui, oui, j’ai tout reçu.
Un blanc.
Qui dure.
— Je compr…
Elle raccroche.
Elle m’écrase lentement la pomme d’Adam avec un poing de feutre.
Ensuite, le chatouillement ; on ne sait pas si on a envie de gifler ou d’embrasser. Agréable, exécrable. C’est le mélange qui frappe.
« J’ai ouvert le Bottin au hasard, je suis tombée sur vous. » Je n’aurais pas dû naître au hasard de l’alphabet.
Au hasard ? Une ancienne connaissance ? Pourquoi m’aurait-elle envoyé la photo déchirée d’un homme ? Avec du marc et quelques cheveux, tombés de la brosse ? On se rencontre, on se quitte, le temps d’une chanson d’ascenseur. Alors, le hasard. Je l’ai peut-être croisée, debout, assise, passant à quelques mètres… Une femme habillée.
Aujourd’hui, elle a le front moite. Un ongle cassé. Cassé à trois heures du matin, en fouillant la poubelle, à la recherche de l’homme. Elle a envie de briser tous les miroirs. De déménager.
Je sors l’enveloppe du placard, scotche les puzzles. Plutôt sympa, comme mec. Un homme attachant qui s’est très mal conduit… Je ne le connais pas. Je prends une grande enveloppe de papier kraft, y enferme le tout, retour au placard.
Le téléphone sonne. Je débranche le répondeur avant l’annonce. Une dizaine de sonneries. Sur le journal électronique : **********. Liste rouge.   
Elle veut s’excuser ? Se justifier ; je lui laisse le temps de commencer sa phrase et : clac ! Branleur. L’autre, là, le déchiré, un gamin aussi ? Il paraît que nous sommes attachants. «  Je suis redescendue à trois heures du matin, j’ai fouillé dans les poubelles de l’immeuble, j’ai retrouvé le sac, j’ai ressorti ses photos. » Qu’est-ce qu’il a pu lui faire ? Ou ne pas lui faire ?
 
— Vous avez reçu… reçu…
Elle semblait essoufflée.
Elle m’a empêché de dire : « Je comprends… »
Je comprends les gens qui descendent fouiller les poubelles à trois heures du matin pour retrouver des photos qu’ils ont déchirées. Avez-vous bu ? Êtes-vous ivre ? Je comprends les gens qui boivent. Il m’arrive d’être ivre le matin. Avant l’ouverture des magasins. Et le rester de la journée. Je comprends. Mais elle m’a écrasé lentement la pomme d’Adam avec un poing de feutre. Elle m’envoie ses déchets, elle me frappe. «... au hasard, je suis tombée sur vous. » Une balle perdue. Elle souffre. Il est déjà midi et demi. On n’a peu de certitudes Je devrais être ailleurs à faire autre chose. C’est samedi.
 
Sur le chemin de la boulangerie, je pense à la vendeuse.
Une jeunesse à l’esprit vif, aux minces rondeurs sous le gros pull et le tablier rose. J’aimerais de la voir nue, de profil. Elle n’est pas là.
— Votre collègue n’est pas là ? je demande à sa collègue.
— Non. Elle n’a pas téléphoné, ni rien. C’est sympa !
La certitude de l’absence. Je sors, baguette en main, l’imagine nue, de profil, à dormir contre un homme. Plutôt que vendre du pain. Ce serait bête qu’elle ne vienne plus. J’ai tellement envie de la voir nue, de profil. Les cartes à jouer, c’est de face jusqu’à la taille. Les sirènes et les vendeuses de boulangerie aussi.
Place Blanche : les cyclistes. Un matin, j’étais ivre à dix heures, j’ai acheté une carte postale avec le Moulin Rouge et je suis parti sur un délire de dynamo, du leurre d’ailes qui tournent et d’électricité de la Butte fournie par des cyclistes enfermés dans le moulin. Je l’ai adressée à un ami. On est des marrants, des drôles. Des naufragés de cartes postales, des déchirés des photos. Et elles ? Les Autres, les femmes ?
— Vous avez reçu… reçu…
Eh merde ! Je serre tellement la baguette, qu’elle plie. Qu’elle cède. Toute la sainte semaine, la vendeuse à l’esprit vif se retient de hurler d’être là, derrière ses brioches, à sourire à de vieux grisons qui flirtent si mal. Les dentelles en papier, le marbre noir, le court-métrage à la boulangerie et les lettres anonymes. 
Pas de message sur le répondeur.
Je mange une demi-baguette. Avec du café coupé à la chicorée comme chez moi, dans le Nord !
Si ça continue, je vais entendre siffler le silence.
 
Mon silence de quelques hectares. Un quadrilatère. Des rues en pente, un boulevard, quelques rues parallèles au boulevard. Un réseau de métro. Les stations et les places dans les rames ça ne fait pas grand-chose. On se met toujours aux mêmes endroits. Une immense perspective où tout serait écrit en petits caractères. 
Mon silence, mon existence. C’est tentant, ça rime. À devenir sourd. On va n’importe où, l’esprit ailleurs parce qu’il y a un fax à trois briques, une nouvelle radiophonique, le rire d’une fille qui s’appelle Annick et mange un sandwich au paprika. N’importe quoi. On va. Dans un silence plus fort que tout.
Le silence d’une lettre ouverte près du silence du café noir. «... au hasard, je suis tombée sur vous. » les « o » bien droits, les « t » qui se protègent du vent et les « a » qui voudraient s’envoler… Je regarde les cheveux, une loupe d’horloger fichée à l’œil droit. Le sentiment d’approcher la foufoune d’une endormie. Je relis l’adresse. Les capitales un peu tremblées. Elle écrivait, un doigt posé sur la colonne du Bottin pour ne pas perdre la ligne : hop, dans la Bocca d’ombra. Elle se demande la tête que j’ai.
Il est déjà trois heures moins vingt : l’après-midi, le trou du cul du temps. Un horizon un peu penché, quand c’est la nuit.
Le téléphone sonne.
Je plonge : « Allo ! »
— Excusez-moi pour tout à l’heure, clic ! raccroche-t-elle.
Le téléphone sonne.
— Allo !
Silence, respiration.
— Ne raccrochez pas…
Je le dis doucement, presque avec tendresse. Un millimètre après l’autre…
Respiration.
Je ferme les yeux.
— Je ferme les yeux, que je murmure.
— Pourquoi ? chuchote-t-on.
— Comme ça… Un millimètre… après l’autre. Vous avez mal ?
— Oui…
— Je n’ai rien jeté. Je garde tout.
— Merci.
— Ne raccrochez pas…
— Si. Merci…
Elle raccroche. Doucement. Le déclic a la lenteur d’une pénétration. Il me fait chaud. Elle n’est que quelques lignes, quelques mots qui peuplent le silence. 
Je garde tout.
Vous voilà rassurée.
Vous vous levez, un doigt posé sur le combiné ; une douleur au dos, au genou, au cœur ? Qu’est-ce qu’il a fait, cet homme ? Si je le jette, je vous perds aussi. J’ai un samedi à passer et du temps à perdre.
Si je photographiais des inconnues au Polaroid ?
 
Le lendemain, je signe mes livres dans la lumière crémière et le roulement de plancher d’un chapiteau. Une femme maigre et grande, qui écrit sur le Moyen-Âge, me fait remarquer les décibels du bois. Sous chapiteau, bien sûr. L’habitude des cathédrales. Au stand en face, une affiche annonce que l’homme et la femme sont nés des larmes de Rê, devant le monde inachevé. L’homme de l’œil droit, la femme de l’œil gauche. C’est plus beau que le paquet d’argile, la côte arrachée, la pomme et le pied dans le derrière. Les larmes de Rê. Trente-cinq degrés à l’ombre, de lourds encensoirs. Elle somnole. J’enfouis ma bouche dans sa touffe moite. Quels étaient leur odeur, leur goût à l’époque des Larmes de Rê ? Isis, rime avec

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