Lais bretons (XIIe-XIIIe siècles)
728 pages
Français

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Lais bretons (XIIe-XIIIe siècles) , livre ebook

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Français

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Description

Un corpus de lais constitué sur plusieurs décennies.

Dans notre mémoire littéraire, l’apparition des lais narratifs bretons a fait deux fois événement : pour les auditeurs du XIIe siècle, qui en ont fait un succès littéraire – déterminant ainsi la constitution d’un genre qui a fait école – mais aussi pour nous, lecteurs contemporains, qui n’avons cessé, depuis leur découverte, de les éditer, de les traduire, d’en commenter l’énigmatique attrait. En proposant de lire côte à côte les lais de Marie de France et plusieurs lais anonymes, le présent volume voudrait faire apparaître la cohérence d’un corpus constitué sur plusieurs décennies. Choisis pour la richesse des résonances qu’ils offrent avec les lais de Marie, les cinq lais anonymes ici présentés bénéficient d’une édition et d’une traduction nouvelles. Les lais de Marie de France ont été traduits d’après l’édition de Jean Rychner, entièrement revue.

Découvrez côte à côte les lais de Marie de France et 5 lais anonymes, et laissez-vous surprendre par les résonances de ces textes.

EXTRAIT

Ces quatre-là aimaient la dame
et s’évertuaient à briller à ses yeux.
Chacun consacrait tous ses efforts
à gagner sa personne et son amour.
Chacun la courtisait de son côté
en y mettant tous ses soins

A PROPOS DE LA COLLECTION

De la production littéraire du Moyen Âge français, le lecteur moderne ne connaît guère que quelques noms et quelques œuvres, la plupart justement célèbres. Le pari de cette nouvelle collection est de leur donner une plus large diffusion en proposant des éditions remises à jour, assorties de traductions originales et de tout ce qui peut en faciliter la compréhension. Mais il a paru tout aussi important d’associer à ces valeurs établies des œuvres moins connues, souvent peu accessibles, capables cependant de susciter à leur tour le plaisir de la découverte.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2018
Nombre de lectures 3
EAN13 9782745350893
Langue Français

Extrait

nos enfants,
Gabriel, Juliette Madeleine, Rapha l
INTRODUCTION L INVENTION DES LAIS
I LES LAIS BRETONS : QUESTIONS DE GENRE
" Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes ann es
Des hymnes d esclaves aux mur nes
La romance du mal aim
Et des chansons pour les sir nes.
Apollinaire, Alcools " La Chanson du mal aim
L A PUISSANCE S DUCTRICE DES LAIS
Dans notre m moire litt raire, le surgissement de ces r cits brefs qu on appelle les lais narratifs bretons a fait deux fois, pourrait-on dire, v nement : pour les lecteurs du XII e si cle, qui en ont fait un succ s litt raire, et pour nous, lecteurs contemporains, qui n avons cess , depuis leur exhumation la fin du XVIII e si cle, de les diter, de les traduire, d en commenter l nigmatique attrait 1 . Le corpus que nous a l gu le Moyen ge est pourtant extr mement restreint : les lais narratifs bretons sont n s dans le dernier tiers du XII e si cle, mais leur floraison, pour reprendre une image ch re Marie de France, n a donn lieu qu une trentaine de textes de quelques centaines de vers, et la mode de ce type de r cit s est teinte en moins d un si cle pour ne survivre qu titre posthume, d s la seconde moiti du XIII e si cle, dans des recueils manuscrits labor s apr s la mort du genre. Encore la chance seule a-t-elle permis certains d entre eux de se conserver, copi s sur quelques feuillets de parchemin rest s blancs, dans un livre pour l essentiel consacr autre chose ; quelques-uns, morts sans s pulture, ont sombr dans l oubli 2 .
Jadis comme aujourd hui, ces r cits en vers satisfont une attente, la fois insaisissable et sp cifique, et semblent relever d un plaisir esth tique particulier, qui s nonce volontiers en termes de puissance s ductrice, f t-ce pour en signaler la frivolit , la vanit , ou le danger. Avant la fin du XII e si cle, un clerc anglais qui faisait profession d historien dans l entourage du roi Henri II, Denis Piramus, d plorait avec v h mence le succ s, aupr s du public de cour, de ces " vers de lais mis en r cit par " dame Marie :
( ) E dame Marie autresi
Ki en rime fist e basti
E compassa les vers de lais,
Ke ne sunt pas del tut verais ;
Et si en est ele mut loee
Et la rime par tut amee,
Kar mut l aiment, si l unt mut cher
Cunte, barun e chivaler
E si en aiment mut l escrit
E lire le funt, si unt delit,
E si les funt sovent retreire.
Les lais solent as dames pleire :
De joie les oient e de gr ,
K il sunt sulum lur volent . 3
L accusation, suscit e par la jalousie d un crivain (trop) s rieux face au succ s d une concurrente plus appr ci e, est bien plus qu un t moignage de d pit, formul par un ancien po te qui s avoue repenti 4 . Elle atteste la conscience partag e d une forme narrative nouvelle, saisie comme telle la fois par la communaut cl ricale et par les lecteurs la cs. Cette nouveaut po tique est d embl e associ e une figure d autorit , d sign e par un pr nom et un statut, " dame Marie - nous y reviendrons. L auteur, noble et femme, noble mais femme, est d autant plus d cri e que son uvre s impose par sa force et sa nouveaut : le programme d criture pr sent dans le prologue qu on lui attribue et les prises de position affich es au seuil de Guigemar , le premier lai du c l bre recueil Harley, contre de potentiels d tracteurs, font ici lointainement r sonner les arguments d une v ritable querelle litt raire, une des premi res de la litt rature fran aise :
Celui deivent la gent lo r,

Ki en bien fait de sei parler.

Mais quant il ad en un pa s

Humm u femme de grant pris,

Cil ki de sun bien unt envie

Sovent en d ent vileinie :

Sun pris li volent abeissier ;

Pur ceo comencent le mestier

Del malveis chien coart, felun,

Ki mort la gent par tra sun.

Nel voil mie pur ceo leissier,

Si gangle r u losengier

Le me volent a mal turner :

Ceo est lur dreit de mesparler !
Guigemar , vv. 5-18)
Denis Piramus nous donne une id e de la r ception qui a t r serv e aux lais, en leur temps. la cour, hommes et femmes trouvaient leur lecture, semble-t-il, un insatiable plaisir : on se les faisait copier, lire et relire encore, irr sistiblement attir par la " joie qu ils dispensaient, en d pit de leur nature purement fictive ou, tr s certainement, cause d elle. Tel saint Bernard, qui d non ait l inanit des images profanes envahissant les clo tres et en reconnaissait par l m me la puissance d vocation, Denis l obscur a reconnu malgr lui l existence d un " delit purement profane pour la simple fiction, dont il nonce en creux la valeur et la sp cificit esth tiques 5 .
D autres textes contemporains reviennent sur la s duction des lais narratifs. Gautier d Arras notamment, dans un roman crit vers 1180, Ille et Galeron , accuse les lais de tromper la vigilance du lecteur par des facilit s d criture. Dans le roman, la digression litt raire consacr e aux lais intervient au moment d voquer l amour naissant entre les deux protagonistes :
Mes s autrement n alast l amors,
li lais ne fust pas si en cours
nel prisaissent tot li baron.
Grant cose est d Ille et Galeron :
n i a fantome ne alonge,
ne ja n i troverez men onge.
Tex lais i a, qui les entent,
se li sanblent tot ensement
com s e st dormi et songi . 6
Pour Gautier d Arras, la litt rature f erique, repr sent e par les lais, donne voir des " fantomes la conscience engourdie d un lecteur peu exigeant. L accusation de " mensonge , encore associ e aux lais narratifs, s est ici d plac e ; le romancier n oppose plus la fiction l criture historique, comme Denis Piramus, mais pense la v rit en termes po tiques : les lais sont accus s de proposer une vision simplifi e et fallacieuse du sentiment amoureux en cultivant l invraisemblance et le merveilleux. Autant dire en retour qu ils sont devenus en 1180 une r f rence incontournable, ne serait-ce qu titre de contre-mod le, pour un crivain qui pr tend crire une fiction amoureuse en vers.
U NE TRANGET PO TIQUE : L AMPLIFICATION BR VE
Sous la plume de Gautier d Arras, les lais sont voqu s en termes g n riques, sans qu il soit fait mention de " dame Marie . Le r cit d Ille et Galeron , dont la trame s inspire ouvertement du lai d liduc , a t crit pour B atrix de Bourgogne, imp ratrice d Allemagne, et pour Thibaut de Blois, sur le continent. Il faut donc supposer qu la fin des ann es 1170, du temps des romans de Chr tien de Troyes, les lais taient reconnus dans la production litt raire fran aise, insulaire ou continentale, comme une forme narrative identifiable, associ e un corpus et des traits sp cifiques : " amour et merveille 7 en constituent le socle fondamental, aux plans th matique et po tique. La " joie dispens e aux lecteurs et que jalouse Denis Piramus fait r sonner le " joi qui est au c ur de l activit lyrique du troubadour et du trouv re, laquelle l historien avoue s tre essay . Elle lie troitement criture du r cit et exploration du sentiment amoureux, invention et d sir. C est pourquoi le prologue des lais et la mise en sc ne fantasm e des d tracteurs, dans Guigemar , adopte un vocabulaire explicitement emprunt la lyrique courtoise pour figurer son auteur : face aux " losengiers qui veulent rabaisser son " talent , la fois don d criture et d sir en ancien fran ais 8 , Marie adopte la posture forte, audacieuse et in branlable, du sujet lyrique, qui fait " mestier d explorer le monde des sentiments par l criture. Chr tien de Troyes usera du m me proc d au d but de son Chevalier la Charrette , v ritable mise en roman de l thique et de l rotique des po tes, pour exprimer sa position d crivain face une d dicataire aussi courtoise que lettr e, la comtesse Marie de Champagne.
Contemporains de la naissance du roman, les lais participent donc d un mouvement d ensemble qui porte la production narrative en langue vernaculaire dans la seconde moiti du XII e si cle. " Conter de Tristan, de Troie, d Arthur ou de Narcisse, c est mettre l expression du sentiment amoureux, r invent par la lyrique courtoise, l preuve du r cit, c est ouvrir un espace litt raire en fran ais qui traite l exp rience amoureuse comme une donn e centrale dans la construction et l histoire du sujet courtois, essentielle son inscription dans la vie f odale. Au sein de cette litt rature fran aise en plein essor, les lais narratifs occupent n anmoins une place part : les t moignages agac s des contemporains que nous avons cit s, qui les isolent clairement des autres types de r cit centr s sur l amour, rendent compte de cet cart.
La singularit po tique des lais peut s exprimer par un paradoxe : Marie, comme ses contemporains, revendique sa nouveaut tout en inscrivant son entreprise litt raire dans une filiation - elle " re-conte , c est- -dire travaille partir d un mat riau pr existant, en l occurrence une chanson : de la chanson originelle, le lai aurait donc retenu l exigence de bri vet . Mais ce jeu de reprise donne ici naissance une forme narrative insolite, ramass e. D s lors, les lais r sultent d une amplification, mais qui s crit " par brief sermun , comme l affirme le prologue de Milon :
Ici comencerai Milun

E musterai par brief sermun

Pur quei e coment fu trovez

Li lais ki issi est numez.
(vv. 4-8)
Aussi les lais ont-ils pu tre per us comme des monstres po tiques : tout en s inscrivant dans la pratique de l amplification, c l br e par tous les trait s de rh torique latins et li e l l vation du style, ils sont travaill s par une po tique de la brevitas qui les fait parfois consid rer comme les anc tres de la nouvelle 9 ,

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